Les médias exultent parce que le Pape vient de décider de lever le secret pontifical sur les affaires de pédophilie cléricale. Méfiance, donc. Peu de commentateurs se sont interrogés sur les implications de cette « transparence », réclamée à cor et à cris par les ennemis de l’Eglise. Le P. Scalese me signale un article de la revue en ligne tempi.it qui pose les vrais problèmes.


Le Pape, le laissons-nous choisir par les juges et les médias ?

L’abolition du secret papal cache un risque : il pourrait devenir une arme entre les mains de ceux qui veulent le mal de l’Église.

Emmanuele Boffi
Tempi
18 décembre 2019
Ma traduction

Matteo Matzuzzi a raison d’écrire sur Il Foglio que l’abolition du secret pontifical se traduira par un gigantesque cas Spotlight [allusion au célèbre film]. Il est si facile de le prédire que l’on devrait presque avoir honte d’écrire une telle banalité. Pourtant, aujourd’hui, les journaux célèbrent le « tournant historique » et le « choix destiné à faire date » du pape François. La question mérite d’être examinée sous tous les angles car s’il est vrai que le fléau de la pédophilie au sein du clergé est un problème qui doit être affronté avec force, il est tout aussi vrai qu’une telle réforme comporte un risque qui ne peut être sous-estimé.

Ce qui a changé

Que s’est-il passé ? Le Corriere le présente ainsi: « François a aboli le secret pontifical pour les causes canoniques d’abus sexuels d’enfants commis par les prêtres. ‘Les plaintes, les procès et les décisions ne sont pas couverts par le secret pontifical’, lit-on dans le Rescrit du Pape qui rend publique et exécutive l’Instruction ‘Sur la confidentialité des causes’ « .

Cela signifie que les documents de procédure relatifs aux cas d’abus conservés dans les archives des services du Vatican et des diocèses peuvent être remis aux magistrats chargés des enquêtes dans les différents pays, à leur demande. L’inviolabilité du secret de la confession reste inchangée (ce qui n’est pas tout à fait acquis quand on voit ce qui se passe en Australie), mais, autre nouveauté, les prêtres seront jugés par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour « l’acquisition, la détention ou la divulgation, à des fins libidineuses, d’images pornographiques de mineurs de moins de 18 ans par un religieux « . Jusqu’à hier, le crime canonique de pornographie juvénile se référait à des images d’enfants de moins de 14 ans, maintenant 18 ans.

Jean-Paul II et Benoît XVI

Les journaux ont un beau jeu de donner la parole aux victimes d’abus, exultant parce que « la muraille noir est tombée ». « C’est ainsi que se font la justice et la transparence » (Corriere).

Le « tournant » de François est applaudi presque partout, mais il est utile de revenir sur l’article paru aujourd’hui dans Il Gazettino, signé par Massimo Introvigne pour comprendre les termes de la question. Introvigne y rappelle qu’en 2001 déjà, Jean-Paul II avait inclus les abus sexuels d’enfants parmi les « delicta graviora » (crimes les plus graves) réservés à la compétence de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. La prescription avait été fixée à 10 ans à partir du 18ème anniversaire de la victime. La référence à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et une si longue période de prescription ont donc été utilisées pour mettre un frein aux abus et frapper les auteurs. Dans le même ordre d’idées, Benoît XVI a poursuivi « avec la révision du motu proprio de son prédécesseur en date du 21 mai 2010. Dans les nouvelles normes, la prescription est portée à 20 ans en cas d’abus sur mineur, toujours calculée à partir du 18e anniversaire de la victime. Déjà en 2010, le pape Ratzinger avait inclus parmi les crimes canoniques (mais pas parmi les « plus graves ») l’achat, la détention ou la divulgation de pornographie enfantine, comprise alors comme se rapportant aux enfants de moins de quatorze ans. La prescription a donc été prolongée: non plus dix ans, mais vingt ans, toujours calculés non pas en fonction de l’abus, mais en fonction du jour où la victime atteint l’âge de dix-huit ans. Ceux qui ont abusé d’un enfant de cinq ans en 2011 pourraient donc encore être poursuivis en 2044, trente-trois ans après les faits, un délai très long ».

Au moins, l’Église propose un parcours

Pour comprendre ce que l’Eglise fait « en positif » pour lutter contre la plaie, il y a aujourd’hui sur Repubblica un bel entretien avec don Ermes Luparia, diacre permanent, psychologue et psychothérapeute, qui dirige la Communauté du Mont Thabor au Divin Amour de Rome. « C’est l’un des rares centres italiens qui accueille des prêtres et des religieuses d’Italie et de l’étranger souffrant de diverses formes de malaise; parmi eux, des prêtres pédophiles », écrit Repubblica. Là, les religieux en difficulté sont aidés, par une vie de prière et de travail, à retrouver un équilibre. [Dans le cas des accusés pour pédophilie], quand le procès civil arrive au jugement, que se passe-t-il? demande le journaliste. S’il est prévu de la prison, répond le prêtre, le religieux est accompagné en prison. Souvent, grâce au parcours effectué, il y arrive avec une conscience nouvelle ». Luparia souligne également que « nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que certains comportements soient définitivement mis de côté. Je voudrais dire que seule l’Église propose cette voie. D’autres pédophiles sont en prison sans que personne ne les soigne ni ne les sensibilise ».

Collaboration avec les autorités civiles

Si donc François continue sur la ligne tracée par ses prédécesseurs, il est indéniable que quelque chose a changé. Dans un commentaire paru dans l‘Osservatore Romano, le juriste Giuseppe Dalla Torre, ancien président du Tribunal de la Cité du Vatican, l’énonce ainsi: il s’agit d’un acte qui « facilite la collaboration avec les autorités civiles ». Voilà la question. L’autorité civile garantira-t-elle une confidentialité adéquate en évitant la chasse aux sorcières? Selon l’archevêque de Malte, Mgr Charles Scicluna, secrétaire adjoint de la Congrégation pour la doctrine de la foi, un tel danger sera écarté parce que les documents

« ne sont pas du domaine public mais, par exemple, la possibilité d’une collaboration plus concrète avec l’État est facilitée, en ce sens que le diocèse qui a une documentation n’est plus tenu au secret pontifical et peut décider – comme il devrait – de bien collaborer, transmettant une copie des documents aussi aux autorités civiles. Le Rescrit lui-même, cette nouvelle loi, parle aussi de la nécessité de sauvegarder la vie privée de la personne, la bonne réputation des personnes concernées, ainsi que leur dignité. Une certaine confidentialité est toujours nécessaire dans le domaine pénal et elle est toujours garantie. Cela ne signifie donc pas que la documentation devient publique, mais que la collaboration avec l’État et d’autres organismes qui ont le droit d’accéder à cette documentation sera facilitée ».

https://www.vaticannews.va/it/vaticano/news/2019-12/scicluna-scelta-epocale-che-toglie-ostacoli-impedimenti.html

L’arme entre les mains des ennemis de l’Église

Qu’il soit permis sur ce point, de soulever quelques questions.

Le mythe de la transparence a été utilisé à maintes reprises pour frapper l’Église. Comme l’écrit à juste titre Matzuzzi « puisque le monde n’est pas composé uniquement de bons Samaritains ou de gentilshommes d’une droiture inattaquable – au Vatican, selon les enquêtes des dernières semaines et les portes qui tournent dans les bureaux qui y sont situés, ils devraient en savoir quelque chose – il est facile de prévoir que le geste du Pape se traduira par une arme de pouvoir incommensurable mise commodément dans les mains de ceux qui n’attendent rien d’autre que d’exposer l’église à la honte publique, mettant – documents en main – sur le banc des accusés prêtres, évêques et cardinaux.

Les exemples ne manquent pas: du plus sensationnel (la démission de Benoît XVI; l’affaire Pell), à ceux énumérés par le vaticaniste du Foglio (comme le cas de Philip Wilson, évêque d’Adelaide, quatre mois aux arrêts puis acquitté). Posant comme postulat au raisonnement que tout acte de pédophilie doit être poursuivi, il est indéniable que le risque de délation calomnieuse ne peut être ignoré. S’en remettre à la discrétion des autorités judiciaires est donc un vœu pieux qui dépasse ridicule.

Garder une personne innocente sous contrôle

Sommes-nous en train d’exagèrer? Lisons plutôt la conclusion d’Alberto Melloni a son éditorial d’aujourd’hui sur Repubblica :

« La fermeté du Pape face aux pulsions nationalistes et antisémites a gagné à l’Eglise l’hostilité cléricalo-fasciste. Il est donc facile de prévoir que – comme ce fut le cas pour le Brexit ou Trump – les grands acteurs internationaux seront actifs: mais en plus ils pourraient faire main basse sur l’élection de l’évêque de Rome en excluant un ou plusieurs candidats avec peu d’accusation: de pédophilie. La seule façon d’éviter ce risque est de s’assurer que le Collège des Cardinaux est totalement exempt de suspicion et que, par conséquent, ceux qui doivent tomber sont déjà tombés. Même au prix de garder une personne innocente sous contrôle pendant un certain temps. Mais pas une papable. Ou un Pape ».

Repubblica, 17/12/2019

Ici est servi sur un plateau d’argent l' »arme » avec laquelle « éliminer » les cardinaux indésirables. Sommes-nous sûrs qu’il vaut mieux que ce ne soit ni les cardinaux ni l’Esprit Saint qui choisissent le prochain Pape, mais les juges et les médias ?

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