Magnifique commentaire de Riccardo Cascioli à la parution du livre « Des profondeurs de notre cœur ». Et une réponse à ceux qui critiquent, par aveuglement ou idéologie, la décision de Benoît XVI de « rompre le silence », forçant le cardinal Sarah à publier une ferme mise au point. Maintenant, le Vatican essaie de s’en sortir en répandant la fable de l’identité de vue entre les « deux Papes » (mais alors, pourquoi sortir l’artillerie lourde à travers les tweets rageurs et même calomniateurs des progressistes?)

(Image d’archives)

En silence mais sans se taire: Benoît XVI défie la « nouvelle Église ».

Riccardo Cascioli
La NBQ
14 janvier 2020
Ma traduction.

Le livre écrit par le Pape Benoît XVI et le Cardinal Sarah arrive comme une bombe sur la tentative de changer la doctrine du célibat ecclésiastique, dont le Synode sur l’Amazonie a été une étape fondamental. Maintenant, le Pape François, dont on attend l’exhortation apostolique post-synodale, se trouve en grave difficulté: donner suite aux exigences du Synode signifie créer une fracture dans l’unité de l’Église. Mais Benoît et Sarah enseignent aussi que l’unité de l’Église n’est possible qu’autour de la Vérité. Et à ceux qui font des objections aux interventions du pape émérite, le cardinal Sarah donne une leçon: « Avec ce livre, le pape Benoît XVI n’a pas rompu le silence. Il en offre le fruit ».

Il sera vraiment difficile de surestimer la portée perturbatrice de la nouvelle initiative du pape émérite Benoît XVI avec le cardinal Robert Sarah. Le livre écrit à quatre mains, est né comme une réflexion sur ce qui s’est passé à l’occasion du Synode de l’Amazonie en octobre dernier, mais considéré comme l’épicentre d’une crise profonde qui touche toute l’Église. En ce sens, il est la continuation d’un discours: il se relie aux notes de Benoît XVI sur les abus sexuels et au livre du cardinal Sarah « Le soir approche et déjà le jour baisse ».

Les anticipations [que nous avons pu lire] se concentrent sur la défense acharnée du célibat sacerdotal, mais il n’y a pas que cela dans le livre, même s’il faudra attendre sa sortie en librairie pour en savoir plus.

Il y a certainement la perception d’une gravité sans précédent de la crise qui frappe l’Église. « Impressionnante », ainsi la qualifie le cardinal Sarah dans l’interview du Figaro, et il parle de confusion et de désarroi. En réalité, peut-être que le temps de la confusion est déjà dépassé, nous sommes déjà entrés dans le temps de l’apostasie. Et c’est pourquoi Benoît XVI intensifie ses interventions, plongeant au cœur de certaines dérives qui risquent de porter atteinte à l’identité même de l’Église.

La publication en avril de ses réflexions sur les racines des abus sexuels, qui contredisaient les conclusions du sommet sur le thème que le Pape François avait voulu au Vatican en février dernier, était déjà remarquable. Une intervention substantielle dans laquelle émergeait implicitement une correction de l’exhortation apostolique « Amoris Laetitia« . A Sainte Marthe, on avait eu du mal à masquer le sentiment d’agacement que l’intervention du Pape émérite avait créé, mais on avait continué comme si de rien n’était. La discrète intervention suivante, de soutien aux enseignants licenciés de l’Institut Jean-Paul II sur le mariage et la famille, victimes d’un « coup d’État » visant à annuler l’héritage de saint Jean-Paul II, n’a pas connu un meilleur sort. Là aussi, l’opération « nouvelle église » avait continué comme un rouleau compresseur.

Mais cette fois-ci, face à l’atteinte au célibat, qui est une atteinte à l’identité de l’Église, Benoît XVI et le cardinal Sarah prennent les devants. Il est apparu clairement que le Synode qui s’est tenu au Vatican a été habilement contrôlé afin que l’on puisse arriver à certaines conclusions, surtout en ce qui concerne l’ordination sacerdotale d’hommes mariés et l’établissement de ministères pour les femmes, premier pas pour atteindre les diaconesses et les femmes prêtres. À cet égard, le livre parle de « mise en scène théâtrale », de « manipulations idéologiques » et de « mensonges diaboliques ». Or, le programme prévoirait la publication de l’exhortation apostolique, malgré toutes les controverses et les protestations que le développement et la conclusion du Synode ont engendrées. Jusqu’à hier, rien ne laissait supposer que le Pape ignorerait les demandes du Synode.

Mais aujourd’hui cette initiative de Benoît XVI et du Cardinal Sarah change la donne. C’est un fait qui ne peut être ignoré, c’est un appel très clair du Pape émérite au Pape régnant, de ne pas changer la doctrine sur le célibat sacerdotal en frappant au cœur de l’identité même de l’Église.

Le Pape François se trouve maintenant dans une impasse: s’il suit les conclusions du Synode en ce qui concerne l’ordination des hommes mariés, il assumera la grave responsabilité non seulement d’ignorer le Pape émérite, mais de créer ainsi une fracture avec la tradition de l’Église. Dans le livre, il est en effet clairement rappelé que la chasteté, pour la vocation sacerdotale, est « ontologique » et que cette conscience remonte aux origines de l’Église.

Si, par contre, pour éviter de dangereuses fractures, il arrête le processus qu’il a mis en route, cela apparaîtra comme un retentissant rétro-pédalage qui lui ferait perdre le consensus des progressistes de tous poils qui anticipaient déjà la consécration définitive d’une « nouvelle Église », ne se distinguant pas dans la pratique des confessions protestantes. Ce n’est pas pour rien que les habituels « gardiens de la révolution » ont déjà répandu des rumeurs sur de prétendues manipulations du pape émérite, qui ne serait plus en mesure de comprendre et de vouloir. Des mensonges évidents, car quiconque a récemment eu un contact avec Benoît XVI sait très bien que, malgré sa fragilité physique, il a une lucidité de pensée enviable.

Quoi qu’il en soit, deux aspects ressortent de ce livre et doivent être mis en évidence.


Bien qu’il s’agisse de facto d’une correction de ce pontificat, il n’y a pas le moindre sentiment de rébellion contre le pape régnant. Bien au contraire : Benoît XVI et le cardinal Sarah professent explicitement une « obéissance filiale au pape François » et ce n’est pas une expression de façade. Cela peut sembler paradoxal vu les effets prévisibles, mais ce livre se présente comme « une contribution à l’unité de l’Église ». « Si l’idéologie divise, la vérité unit les cœurs », disent les deux. Autrement dit: il ne peut y avoir d’unité sans une « recherche ouverte de la vérité ». Ce qui doit être recherché, c’est l’unité autour du Christ, autour de sa révélation, et non pas un accord de politicien. Il est donc pathétique que les responsables de la communication du Vatican tentent de minimiser en disant qu’au fond Benoît XVI et François disent la même chose.

C’est seulement à la lumière de cette vision de l’unité que l’on peut comprendre pourquoi cette intervention est un véritable acte d’amour aussi envers le Pape. C’est une grande leçon qui explique ce qu’est le mystère de l’Église, et qui devrait donner du courage à ces prêtres et à ces évêques qui, tout en étant conscients de la dérive et de la confusion dans l’Église, sont restés jusqu’à présent silencieux à cause d’une obéissance ambiguë et mal comprise au Pape. Si l’amour pour la Vérité manifesté par certains cardinaux et évêques – évidemment immédiatement marqués comme « ennemis du Pape » – n’a pas suffi, on peut espérer qu’au moins l’amour de Benoît XVI pour l’Église incitera d’autres personnes à avoir le courage de la vérité.

La deuxième question concerne l’objection la plus courante qui est adressée au pape Benoît: en démissionnant, il a dit qu’il se tairait, pourquoi alors continue-t-il à parler et à se mettre en travers des décisions du pape François? Le cardinal Sarah répond dans l’interview du Figaro:  » Avec ce livre, le pape Benoît XVI n’a pas rompu le silence. Il en offre le fruit ». C’est une réponse très importante, car nous sommes tous tentés de réduire le silence à une simple absence de parole. Et de voir la renonciation au sens politique, un pas de côté qui implique de s’écarter du chemin et de laisser le champ libre aux nouveaux « maîtres ».

Il n’en est pas ainsi pour l’Église : le silence n’est pas vide, il n’est pas absence; le silence est présence, c’est laisser sa vie être remplie par la Présence. Dans la préface du livre du cardinal Sarah La force du silence, le pape Benoît explique que le silence signifie « entrer dans le silence de Jésus de qui sa parole est née ». Depuis sept ans, Benoît XVI vit ce  » silence avec Jésus  » qui lui permet de mieux comprendre la Parole du Seigneur.
C’est ici, entre autres, que naît la profonde harmonie avec le cardinal Sarah, maître du silence. Et c’est de ce silence que naît la conviction exprimée dans le livre et dite avec saint Augustin: « Je ne peux pas me taire ».

Face à la menace qui pèse sur l’Église, le pape émérite, rempli de la parole de Dieu, ne peut pas rester silencieux, il doit tout faire pour éviter que la barque ne chavire. A plus forte raison donc, le jugement de Benoît XVI et du cardinal Sarah ne peut être écarté avec les catégories politiques et idéologiques habituelles qui distinguent les hérauts de la « nouvelle Eglise ». Et il enseigne quelque chose d’important à chaque chrétien.


Et sur Sarah, immédiatement, la machine à fange

Riccardo Cascioli
La NBQ
14 janvier 2020
Ma traduction.



Le Corriere et Repubblica relancent des sources proches de Benoît XVI qui démentent que le pape émérite ait écrit le livre à quatre mains avec le cardinal Sarah, créant ainsi un « giallo ». Prompte réplique sur Twitter de Sarah, qui parle de diffamation très grave, et publie les lettres de Benoît XVI niant le scoop.

« L’embarras au Vatican », « une source très proche de Ratzinger », « Des mots qui changent tout » … La nouvelle lancée hier soir depuis le site du Corriere della Sera par Gian Guido Vecchi ressemble à un polar. Et voilà Repubblica, avec Paolo Rodari. Benoît XVI ne serait pas le co-auteur, avec le cardinal Robert Sarah, du livre Des Profondeurs de notre cœur. « Il n’a pas écrit un livre à quatre mains avec le cardinal Sarah », dit une source non précisée proche du pape émérite (pour Repubblica ce sont « les hommes de Benoît » qui parlent), qui insinue ensuite que le cardinal Sarah a utilisé, sans son consentement, un écrit de Benoît XVI sur le sacerdoce que Sarah lui-même avait demandé à voir.

Un scoop? Non, une boulette de viande empoisonnée. Le livre défendant le célibat et demandant au Pape François de ne pas permettre l’ordination sacerdotale des hommes mariés, même à titre exceptionnel, a dû faire très mal dans certains milieux du Vatican, et la machine à boue s’est donc immédiatement mise au travail.

Dommage pour eux que le cardinal Sarah ait pris des précautions et qu’il ait immédiatement répondu dans la nuit en postant sur Twitter certaines des lettres que Benoît XVI lui a envoyées au fur et à mesure de l’avancement des travaux d’écriture du livre. « Certaines attaques – écrit le Cardinal Sarah sur Twitter – semblent insinuer un mensonge de ma part. Ces diffamations sont d’une gravité exceptionnelle. Dès ce soir, je donne les premières preuves de mon étroite collaboration avec Benoît XVI pour écrire ce texte en faveur du célibat ».

Il s’agit de trois lettres, datées respectivement du 20 septembre, du 12 octobre et du 25 novembre 2019. Dans la première, Benoît XVI remercie pour la lettre reçue du Cardinal Sarah le 5 septembre dans laquelle se trouve la demande d’une contribution sur le sacerdoce « en ces temps difficiles ». « J’avais déjà avant votre lettre – écrit Ratzinger – commencé à écrire quelques réflexions sur le sacerdoce. Mais en écrivant, j’ai senti de plus en plus que ma force ne me permettait plus d’écrire un texte théologique. Puis est venue votre lettre avec la question inattendue d’un texte sur le sacerdoce avec une attention particulière au célibat. J’ai donc repris mon travail et je vous transmettrai le texte lorsqu’il sera traduit de l’allemand à l’italien. Je vous laisse le soin de décider si ces notes, dont je ressens fortement l’insuffisance, peuvent vous être utiles ».

Beaucoup plus serrée la lettre du 12 octobre:  » Je peux enfin transmettre mes réflexions sur le sacerdoce. Je vous les laisse si vous trouvez quelque utilité à mes pauvres pensées ».

Enfin, le 25 novembre, lorsque les travaux ont été achevés:  » Chère Éminence, de tout mon cœur, je voudrais vous dire merci pour le texte ajouté à ma contribution et pour toute l’élaboration que vous avez faite. Cela m’a profondément touché lorsque vous avez compris mes dernières intentions: J’avais en fait écrit 7 pages de clarification méthodologique de mon texte et je suis vraiment heureux de dire que vous avez pu dire l’essentiel en une demi-page. Je ne vois donc pas la nécessité de vous envoyer les 7 pages, puisque vous avez exprimé l’essentiel en une demi-page. Pour ma part, le texte peut être publié sous la forme que vous avez prévue ».

Les textes sont clairs : non seulement le Pape émérite et le Cardinal Sarah ont collaboré étroitement, mais la singulière harmonie entre les deux est évidente; ce qui n’est pas surprenant étant donné les certificats d’estime répétés que Benoît XVI a réservés ces dernières années au Préfet pour le Culte Divin.

Mais la très grave diffamation lancée hier soir fait comprendre jusqu’où les « gardiens de la révolution » sont prêts à aller, et nous pouvons être assurés que nous n’en sommes qu’au début. Mais ce qui s’est passé montre aussi combien les grands journaux et certains Vaticanistes sont fiables.

Mots Clés :
Share This