Andrea Gagliarducci tente de décrypter ce qui se cache derrière la nomination d’un très photogénique prêtre uruguayen « des rues » comme secrétaire de François, poste sans caractère officiel mais qui pourrait contribuer à redorer l’image de l’institution (vraiment?) à l’aube d’une année qui s’annonce pour lui riche en échéances à risque – avec, ou malgré les rumeurs de démission distillées par certains…


Pape François, dernier acte?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
3 février 2020
Ma traduction

La nouvelle que le pape François a choisi comme nouveau secrétaire personnel le prêtre uruguayen Gonzalo Aemilius est particulièrement surprenante tant pour l’annonce que pour le moment choisi.
Jusqu’à présent, le bureau de presse du Saint-Siège n’avait jamais donné d’informations sur qui était le secrétaire du pape, puisque le poste n’est même pas inclus dans l’organigramme de la Curie romaine.
Le fait que le nom du nouveau secrétaire ait été communiqué juste après la messe du premier dimanche de la Parole de Dieu a été remarqué, l’annonce ayant pu éclipser les paroles du pape François.
En effet, la nomination d’un nouveau secrétaire est particulièrement intéressante pour comprendre où va le pontificat. Beaucoup pensaient que le pape n’allait pas chercher d’autre secrétaire après la démission de Mgr Fabian Pedacchio, retourné à plein temps à son poste précédent à la Congrégation des évêques.
Ceux qui connaissent le Pape notent que celui-ci a deux agendas, l’un personnel et l’autre public. Personne ne peut voir l’agenda personnel. Cela signifie que le secrétaire personnel a un impact limité dans la vie du pape François, et qu’il joue un rôle très marginal. Mgr Pedacchio, par exemple, n’a même pas participé aux voyages internationaux du pape François. Le deuxième secrétaire, Mgr Iohannis Lahzi Gaid, est devenu pour l’essentiel la personne de référence du pape pour les relations avec le monde arabe. Mgr Gaid est même membre du Comité pour l’application de la Déclaration sur la fraternité humaine que le pape François a signée à Abou Dhabi, avec le Grand Imam d’Al Azhar le 4 février 2019.

Le profil du père Gonzalo Aemilius est différent de celui des autres secrétaires. Les médias ont particulièrement souligné son engagement en faveur de l’éducation des enfants des rues. Quelques-uns seulement ont fait état des récompenses que le père Aemilius a reçues du Rotary Club. Ces récompenses sont également une reconnaissance du haut niveau de la formation académique du père Aemilius: il est issu d’une famille agnostique et riche d’origine juive, et il s’est converti à l’âge de 16 ans.
Un coup d’œil sur YouTube montre que le père Aemilius est très à l’aise devant les caméras et que c’est un orateur très habile. Séduisant, cultivé, il a d’ailleurs gagné la confiance du pape François grâce à son travail avec les pauvres.

L’amitié du père Aemilius avec le pape François est devenue publique le jour même de l’élection du pape François. À la fin de la semaine, le père Aemilius était à Rome pour saluer son ami, à présent pontife.


D’une certaine manière, le père Aemilius est au pape François ce que l’archevêque Georg Gänswein a été à Benoît XVI. L’archevêque Gänswein est lui aussi séduisant, cultivé, et a un charisme naturel devant les caméras.
Le père Aemilius pourrait poursuivre son activité discrètement, étant donné le rôle que le secrétaire papal a joué jusqu’à présent. Quoi qu’il en soit, sa venue à Rome était prévue car il avait récemment servi d’assistant spirituel au Dispensaire de Sainte Marthe, l’immeuble du Vatican qui fournit des soins aux pauvres.

La nomination du nouveau secrétaire vient compléter la « famille » du pape François dans un moment particulièrement délicat.
Le Conseil des cardinaux se réunira à nouveau du 17 au 19 février, pour donner enfin forme à la réforme de la Curie – bien que le pape François soit déjà en train de la mettre en pratique.


A propos du pape François, on évoque souvent la résistance à ses réformes. Mais les références à la résistance semblent faire partie des tactiques préventives de ceux qui ont un agenda caché pour le pape François [ndt: Gagliarducci fait sienne la fiction d’un entourage papal qui travaille derrière son dos, ce qui me paraît hautement improbable, et d’autant plus après sept ans de pontificat] et le voient menacé. Plutôt que de résistance, c’est surtout de perplexité qu’il s’agit. Ceux qui ont exprimé leur perplexité, soit dit en passant, sont ceux qui se sont montrés plus fidèles au Saint-Siège.

Le pape François approche du septième anniversaire de son pontificat avec un Vatican renouvelé et une composition de la Curie sur le point de changer – 5 des 9 chefs de dicastères ont atteint, ou vont atteindre, l’âge de la retraite. Sur certains points, il semble que le pape François ait fait un pas en arrière. Seul l’avenir nous le dira.
Le premier obstacle se présentera à la mi-février, avec la publication de l’exhortation post-Synode panamazonien. On s’attend à ce qu’il s’agisse d’un texte ambigu ayant un impact politique important, comme s’il s’agissait d’une deuxième encyclique sur l’écologie du pape François. La publication suscitera un débat vif.(…)


Vers le milieu de l’année, le projet final de la réforme de la Curie devrait sortir. Ce sera alors au pape François de jouer: sera-t-il capable d’équilibrer tous les pouvoirs? Et comment pense-t-il que cela fonctionnera ?


La réforme des communications du Vatican travaillerait entre-temps sur le projet d’une « Agence de presse du Vatican », qui viendrait s’ajouter à la radio déjà existante, à l’Osservatore Romano et à Vatican News. Cette nouvelle agence sera-t-elle mieux à même, sur le plan fonctionnel, de diffuser l’information sur le Saint-Siège ?

Toutes ces questions sont ouvertes et doivent être replacées dans leur contexte. Au final, la présence d’un nouveau secrétaire personnel, également apprécié par l’élite latino-américaine, permettra de mieux gérer la pression.

Finalement, le pape a changé, et il a maintenant compris qu’il a besoin, au moins nominalement, d’une équipe en qui il peut avoir confiance. Il se peut que cette équipe soit bien définie, et capable de servir l’institution; ou alors qu’elle change l’institution.

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