Retour sur l’événement qui a occupé hier les premières pages des médias qui scrutent les nouvelles de l’Eglise (et dont je voulais attendre confirmation avant d’en parler). Difficile de ne pas y voir le dernier acte (pour le moment) de la saga du fameux livre à quatre mains, et du rôle pas clair du secrétaire de Benoît XVI. Difficile, aussi, de maintenir la fiction d’une entente cordiale entre François et son prédécesseur. Difficile enfin de ne pas remarquer que désormais, les nouvelles en provenance du Vatican consistent systématiquement en un aller-retour entre rumeurs/fake news présumées (d’un côté) et mensonges officiels/communiqués soviétoïdes qui ne leurrent plus personne (de l’autre) [*].

(*) Un autre épisode récent, la « régularisation » cousue de fil blanc de l’affaire des claques sur la main d’une fidèle présumée chinoise, le 31 décembre…

Voici les compte-rendus de Marco Tosatti (qui en parlait dès hier son son blog Stilum Curiae – où j’avais découvert la nouvelle – et qui reprend en l’étoffant son article aujourd’hui sur La NBQ) et Aldo Maria Valli. Ils résument bien ce qu’on peut lire ailleurs, à partir du scoop du Tagespost.


Ne reviens plus. Et Gänswein est mis à la porte

Marco Tosatti
La NBQ
6 février 2020
Ma traduction

Le pape Bergoglio a mis le préfet de la Maison pontificale et secrétaire de Benoît XVI, l’archevêque Georg Gänswein, en congé illimité. Le Vatican parle d’alternance normale. Mais d’après ce qu’a reconstitué la NBQ, François l’aurait littéralement mis à la porte: « Je ne veux plus te voir ». Les raisons d’une rupture annoncée entre cohabitation difficile et rôle inconfortable de médiateur dans l’affaire du livre écrit par Benoît XVI et Sarah.

Le pape Bergoglio a mis le préfet de la maison pontificale, l’archevêque Georg Gänswein, en congé illimité. C’est-à-dire qu’officiellement, Gänswein est toujours préfet de la maison pontificale (un organisme qui, selon certains, pourrait même disparaître avec la réforme de la Curie), mais il n’exerce pas sa fonction. Au contraire, d’après ce que nous savons, il lui a été demandé de ne même plus se rendre à son bureau. La décision avait déjà été prise il y a quelque temps, et de fait ceux qui suivent de près le déroulement des cérémonies et des rencontres papales avaient remarqué l’absence du prélat allemand. Mais hier, le Tagespost, un journal catholique allemand, avait donné la nouvelle, même s’il l’avait présentée d’une certaine manière dubitative.
Le journal écrivait:

« Le pape François a accordé au préfet de la maison pontificale, l’archevêque Georg Gänswein, un congé de durée indéterminée. On se sait pas quand Gänswein reprendra ses fonctions. Les milieux vaticans l’ont confirmé à ce journal. Le secrétaire privé du pape émérite reste en fonction en tant que chef de la préfecture, responsable de la tenue des audiences publiques du pape, mais il est libéré pour consacrer plus de temps à Benoît XVI ».

Mais la réalité, telle que nous l’avons constatée à partir de sources proches de l’intéressé, est décidément différente. L’archevêque Gänswein n’a rien demandé au Souverain Pontife, et encore moins d’être mis en congé de son office pour une durée indéterminée. Des rumeurs circulent depuis des jours au Vatican sur une rencontre orageuse entre les deux hommes, qui se serait terminée par la cassure. Mais ce ne sont que des rumeurs, non invraisemblables vu le caractère impulsif et irascible du pontife.

En réalité, les choses se sont passées différemment. Le pape Bergoglio aurait simplement dit à l’archevêque: « Je ne veux plus te voir ». Le préfet lui a demandé: « mais je reviendrai, et quand? » Et à cela, le Souverain Pontife n’a donné aucune réponse. Mais quand Gänswein lui a demandé: « Mais puis-je quand même venir au bureau? » Le Souverain Pontife a répondu: « Il vaudrait mieux pas, de toute façon Mgr Sapienza est là ». Mgr Leonardo Sapienza, le régent de la maison papale.

Il faut rappeler qu’il n’y a jamais eu, comme le disent les Anglais, beaucoup d’amour perdu entre le pape Bergoglio et le préfet de la maison pontificale. Qu’il n’était souvent pas traité avec gentillesse et respect, même en public, au point de provoquer une réaction d’indignation envers le pontife à au moins une occasion (?). Et il ne fait aucun doute que Mgr Gänswein a vécu assez difficilement cette situation. Mais c’est une chose de vivre une situation difficile, c’en est une autre d’être mis à la porte.

À l’antipathie réciproque s’est ajouté le grand scandale éditorial. Le motif fut le livre et ceux qui l’ont écrit, et malheur à celui qui s’est retrouvé au milieu, essayant sinon de pacifier au moins de servir de médiateur entre des poussées trop divergentes pour permettre un accord.

Le livre écrit par Benoît XVI et le cardinal Robert Sarah, « Des profondeurs de nos cœurs », sur l’importance pour l’Église du célibat sacerdotal a profondément irrité le Souverain Pontife. Si, comme cela semble être le cas, l’exhortation apostolique qui devrait être rendue publique la semaine prochaine ne contient pas de mention de viri probati et de célibat, malgré ce qui a été écrit dans le Document final du Synode sur l’Amazonie, il sera difficile de ne pas émettre l’hypothèse que la publication du livre n’y a pas également, et peut-être substantiellement, contribué.

Benoît XVI est intouchable, et, en substance, Sarah aussi; mais une certaine forme de défoulement vengeur, on peut l’accorder à un être humain, non? Alors on officialise une séparation entre le pape et le préfet, qui flottait depuis un certain temps dans l’air des Palais sacrés. Personne ne parie sur la possibilité de réintégration de Gänswein dans ses fonctions, probablement même pas la personne directement concernée.

Le Vatican pour sa part minimise:

« L’absence de Mgr Gänswein lors de certaines audiences ces dernières semaines est due à une redistribution ordinaire des différents engagements et fonctions du Préfet de la maison pontificale, qui tient également le rôle de secrétaire particulier du Pape émérite ».

Gänswein, comme l’écrit Tagespost, pourra se consacrer plus assidûment à Benoît XVI.
Il est certain, la liste des éminents « décapités » s’allonge: après Müller, le Grand Maître de l’Ordre de Malte Matthew Festing, le Dr. Polisca [médecin personnel de Benoît XVI, congédié dès 2014], le Général Giani, et une longue série de noms moins connus, il y a maintenant aussi Gänswein.

Cette décision pourrait peut-être conduire, si l’archevêque libéré de ses fonctions officielles décidait de parler librement, à une révélation intéressante sur les causes et les modalités de l’événement le plus traumatisant de l’histoire de l’Église de notre temps, à savoir le renoncement de Benoît XVI [ne rêvons pas!!].


Gänswein « desaparecido« , coincé entre deux papes

« Pas de congé. L’absence de Gänswein lors de certaines audiences ces dernières semaines est due à une redistribution normale des différents engagements et fonctions du préfet de la maison papale qui, comme on le sait, occupe également le rôle de secrétaire particulier du pape émérite ».

C’est la réponse du directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, aux journalistes qui l’ont interrogé sur l’absence de Mgr Gänswein lors des dernières audiences de François et sur la nouvelle, donnée par le journal allemand Die Tagespost, selon laquelle Georg Gänswein aurait été mis en congé pour une durée indéterminée par le pape François.

Les sources que nous avons interrogées expliquent qu’en fait, il n’y a pas eu, au moins officiellement, de mesure de congé. L’absence de Mgr Gänswein (qui dure depuis le 15 janvier) n’est pas non plus due à des raisons de santé. Le pape émérite Benoît XVI et le préfet de la maison pontificale vont tous deux bien. On ne sait cependant pas si et quand l’archevêque Gänswein reviendra en public aux côtés de François.

Il est naturel que le fait de ne pas voir l’archevêque Gänswein à côté de François (remplacé par le père Leonardo Sapienza, régent de la Maison pontificale) ait déclenché des rumeurs et des spéculations après les tensions de ces dernières semaines dues à la publication du livre Dal profondo del nostro cuore, consacré à la question du célibat sacerdotal et signé par le cardinal Robert Sarah avec Joseph Ratzinger/Benoît XVI. Il est tout aussi évident que la « disparition » de Gänswein doit être mise en relation avec l’histoire de la signature du pape émérite sur le livre du cardinal Sarah.

Affirmant que la nouvelle du congé aurait été confirmée dans les « cercles du Vatican », Die Tagespost a écrit que le secrétaire privé du pape émérite reste en fonction en tant que chef de la préfecture de la Maison pontificale, mais qu’il est libre de passer plus de temps avec Benoît XVI. Le contexte, explique le journal, est la publication du livre du cardinal Sarah sur le célibat sacerdotal, auquel Benoît XVI a contribué avec un essai. Une initiative que François aurait vécu comme une forme de pression sur lui en vue de l’exhortation apostolique post-synode amazonien, un document qui devra aborder, entre autres, la question de l’éventuelle ordination des hommes mariés pour faire face à la pénurie de prêtres.

Comme on s’en souvient, en janvier dernier, Gänswein et Sarah ont fourni des versions différentes du rôle de Ratzinger dans la préparation du livre et des accords conclus. « Le pape émérite n’a approuvé aucun projet de livre à double signature, il n’a ni vu ni autorisé la couverture, c’était un malentendu », a déclaré Gänswein; mais Sarah a répondu que Ratzinger avait été informé de tout et était satisfait du livre.

Mgr Gänswein, s’entretenant avec Die Tagespost, a démenti que le pape François soit intervenu personnellement dans l’histoire du livre de Sarah et Ratzinger pour défendre le célibat.

Dans le livre, l’essai de Joseph Ratzinger/Benoît XVI, intitulé « Le sacerdoce catholique« , fait éprouver la nostalgique de l’enseignement du pape allemand. Rédigé dans un style serré, il procède avec des arguments aussi profonds que clairs, donnant au lecteur le moins préparé l’occasion de remonter aux racines du choix du célibat sacerdotal. À la fin, rappelant son ordination sacerdotale, Benoît XVI écrit que par les paroles de Jésus, « Consacrez-les dans la vérité. Ta parole est vérité » (Jean 17:17),

« ce que signifie réellement l’ordination sacerdotale au-delà de tous les aspects cérémoniels, s’est profondément imprimé dans mon âme: cela signifie être purifié et pénétré encore et encore par le Christ afin que ce soit lui qui parle et agisse en nous, et de moins en moins nous-mêmes. Et il m’est apparu clairement que ce processus de ne faire qu’un avec lui et de dépasser ce qui n’est qu’à nous dure toute la vie et inclut sans cesse des libérations et des renouveaux douloureux ».

.

page 70
Mots Clés :
Share This