(MàJ).

Le temps n’est plus aux pronostics à trois heures de la publication du document tant attendu sur lequel les experts des deux bords vont se précipiter pour y trouver (fonction logicielle de recherche aidant) le « mot magique », avant de se déchirer à belles dents. En réalité, il y a tellement de problèmes en suspens dans le monde, et les hommes d’Eglise eux-mêmes les abordent si mal (sans parler du risque que la fameuse exhortation ne se réduise essentiellement à un manifeste politique et écologiste). Une réflexion de Robert Royal, directeur du blog theocon « Catholic Things« .

Mise à jour (11h30):

Il semble désormais certain que le « mot magique » ne figurera pas dans le texte final.
C’est sans doute un motif de réjouissance. Mais ne tombons pas dans le panneau, comme le disait ces jours-ci Alessandro Gnocchi. Et méfions-nous de ceux qui commencent à dire que les méchants conservateurs auront fait « beaucoup de tapage pour rien« : il n’est pas du tout certain que l’exhortation apostolique aurait été ce qu’elle va être sans tout ce tapage préventif, justement (sans doute faut-il compter le livre co-signé par Benoît XVI dans ledit « tapage« ). Et les réactions aux anticipations distribuées à dessein à des destinataires ciblés, jointes au livre, auront probablement fait comprendre au Pape qu’il ne pouvait tout simplement pas aller aussi loin… pour le moment. Ce qui compte, c’est qu’avec ce Synode (dont on comprend mal, s’il ne parle que de l’Amazonie, pourquoi il a été organisé à Rome avec toute l’emphase d’un événement de portée mondiale; c’est pour le coup qu’on peut dire: much ado about nothing) il aura, selon la formule qu’il affectionne, « initié un processus ».

Robert Royal

Un tournant, cette semaine?

(10 février 2020, ma traduction)

Cette semaine pourrait marquer un tournant dans le catholicisme moderne. Mercredi, l’Exhortation apostolique post-synodale sur l’Amazonie sera publiée. Depuis cet événement déstabilisant (la Pachamama n’était que le désordre le plus flagrant), nous semblons nous diriger vers des changements majeurs en matière de célibat des prêtres, de diaconesses et – à plusieurs égards – à propos de la nature même de l’Église.

La rumeur court à Rome que récemment,le pape François pourrait avoir reculé un peu sur ces questions, peut-être en raison de la polémique sur le livre du cardinal Sarah/Benoît XVI défendant le célibat sacerdotal. L’Exhortation pourrait « seulement » recommander l’établissement d’une commission sur le célibat. Si c’est vrai, nous aurons encore un autre cas d’ambiguïté papale. Les fidèles devront essayer de déterminer si la commission a vraiment pour but d' »étudier » ou de créer une attente – comme cela s’est produit dans les années 1960, avec la Commission pontificale sur le contrôle des naissances.

Quoi qu’il en soit, intentionnellement ou non, la papauté actuelle a ramené quelque chose que nous pensions mort en 1978 avec l’élection de Karol Wojtyla: le sentiment que pratiquement tout dans l’Église est à saisir, non seulement le célibat et les diaconesses, mais aussi le mariage, la sexualité, l’Enfer, le Diable, la Communion, l’autorité d’enseignement. Jorge Bergoglio est peut-être pape à Rome, mais ces jours-ci il semble souvent que beaucoup des idées qu’il envisage sont fabriquées en Allemagne.

Au cours du synode allemand de ces derniers jours, par exemple, une laïque a rejeté les objections du cardinal Woelki selon lesquelles un groupe mixte clérical/laïc convoqué pour établir des règles est une négation – une protestantisation – de la nature réelle de l’Église. Elle a affirmé que son « modèle d’autorité » n’était plus valable. François a publié quelques déclarations opposées à ces positions, mais sans grand effet.

Mais pourquoi pas? De hautes personnalités du Vatican établissent également leurs propres règles. Le pape a récemment rencontré le président argentin, Alberto Fernandez, qui est pro-avortement, divorcé et vit avec une « domestic partner » (la deuxième depuis son divorce). Rien de tout cela n’a empêché l’évêque Marcelo Sanchez Sorondo, lui aussi argentin, à la tête du Conseil pontifical pour les sciences sociales, de leur donner à tous deux la communion lors de la messe. Mgr Sanchez Sorondo a qualifié de « fanatiques » la journaliste américaine Diane Montagna et d’autres Américains qui s’interrogent sur un tel laxisme.

Etes-vous fanatique si vous croyez au Catéchisme de l’Eglise catholique ?

Toute personne qui désire recevoir le Christ dans la communion eucharistique doit être en état de grâce. Toute personne consciente d’avoir péché mortellement ne doit pas recevoir la communion sans avoir reçu l’absolution dans le sacrement de la pénitence. [CEC §1415]

Le président argentin et sa petite amie sont peut-être allés se confesser et ont promis de vivre chastement. Et se sont repentis de leurs intentions de légaliser le meurtre de bébés. Même si c’est peu probable, ce serait bienvenu. Mais si c’est le cas, cela aurait pu être précisé pour éliminer toute possibilité de scandale ou de confusion sur la discipline de l’Eglise – bien préférable à la calomnie des personnes qui prennent la réception de l’Eucharistie au sérieux.

Apparemment, le secrétaire personnel de Benoît XVI, l’archevêque George Ganswein (personne à Rome ne semble vouloir le savoir ou le dire avec certitude), a été écarté de son poste de préfet de la maison pontificale la semaine dernière à cause de l’imbroglio autour de ce livre sur le célibat. On a en quelque sorte l’impression que l’attitude cavalière de l’évêque Sanchez Sorondo à propos de l’Eucharistie, « source et sommet » de la vie chrétienne (Lumen Gentium 1§11), ne le mettra pas en danger.

L’Exhortation qui sera publiée mercredi n’aura cependant pas que des répercussions majeures au sein de l’Eglise. Étant donné la place centrale du sacerdoce et du célibat, il sera facile d’oublier que le synode amazonien a également abordé diverses questions d’impact mondial telles que l’environnement et l’économie.

De nos jours, le monde prête très peu d’attention à ce que l’Église catholique a à dire – à moins, bien sûr, que l’Église n’encourage les « leaders mondiaux » à faire ce qu’ils veulent déjà faire, comme dans le cas du changement climatique et de l’ouverture des frontières.

C’est une tragédie – pour le monde – car sans la doctrine sociale catholique (DSC), le monde (comme cela devient plus évident d’heure en heure) n’a aucune idée de ce qu’est la vie humaine, ni à quoi elle sert. Même la notion moderne des droits de l’homme, sans Dieu et sans l’idée de l’homme tel qu’il est fait à son image et à sa ressemblance, n’est qu’une simple abstraction qui dégénère rapidement en une volonté autodestructrice sur des questions comme l’avortement et l’identité sexuelle.

Mais il y a une autre raison pour laquelle la DSC attire si peu l’attention: la façon souvent assez lamentable et partisane dont les principes catholiques sont (mal) appliqués – par les papes, les évêques, les prêtres – à des situations du monde réel qui ne correspondent pas du tout à leurs suppositions. Et pas seulement à propos des peuples indigènes vivant en Amazonie.

Par exemple, l’évêque Sanchez Sorondo a déclaré après un voyage en Chine: « En ce moment, ceux qui appliquent le mieux la doctrine sociale de l’Église sont les Chinois ». Quelqu’un dans sa position peut-il vraiment ne pas savoir cela: que la Chine est un pollueur planétaire, pratique la surveillance sociale et la répression comme aucune autre nation sur terre, et soumet les croyants religieux à la persécution, à la rééducation et au martyre pur et simple ?

Le pape François lui-même a déclaré à plusieurs reprises qu’une troisième guerre mondiale est actuellement en cours, mais de manière fragmentaire, de sorte que nous ne le remarquons pas. Si c’est le cas, nous devrions être en mesure de regarder et de voir ce qu’il dit. Mais il n’y a rien à voir. Pendant la guerre froide, l’Amérique et l’URSS ont mené des guerres par procuration à Cuba, au Nicaragua, au Salvador, au Chili, en Angola, au Vietnam, etc. Mais c’était il y a des décennies.

Aujourd’hui, l’Islam militant est engagé dans le terrorisme et le rétablissement du califat. Toutes les nations fréquentables du monde cherchent à l’arrêter. Et malgré les dizaines de petits conflits armés qui existent toujours à un moment donné, il est difficile de voir comment tout cela s’additionne en une guerre mondiale, sauf dans le sens où le monde déchu est toujours en guerre avec lui-même.

Le pape François dit souvent : « Cette économie tue ». Et c’est vrai, comme toutes les économies. Mais nous avons un système économique mondial qui, malgré tous ses défauts, est proche du miracle. Et en termes économiques à grande échelle, il s’améliore constamment.

L’autre jour encore, lors d’un séminaire spécial du Vatican sur l’économie, il a appelé à une redistribution des richesses à l’échelle mondiale et a souligné que 5 millions d’enfants meurent chaque année dans le monde de causes évitables.

Cinq millions de morts, c’est terrible, mais c’est moins que les 12 millions d’il y a peu de temps. Et il y a de nombreuses façons de « sauver les enfants ». Cinquante-trois millions d’enfants, soit plus de dix fois le nombre de ceux qui meurent à cause de la pauvreté, sont avortés chaque année – sans rien qui ressemble à des initiatives spéciales du Vatican.

Il n’est pas réaliste, je suppose, d’attendre du pape ou des évêques qu’ils fassent une recherche sur Google sur certaines de ces questions et qu’ils regardent ce qui se passe réellement dans le monde. Ils préfèrent les vieilles perspectives socialistes ou les nouvelles perspectives radicales – l’adolescente en difficulté Greta Thunberg à l’environnementaliste scandinave modéré Bjørn Lomborg ; le romantisme de la Pachamama au dur travail d’élaboration de compromis pratiques. Leurs déclarations morales semblent sages et compatissantes, mais dans les circonstances actuelles, elles ne contribuent que très peu aux affaires publiques.

Gardez bien sûr un œil sur la façon dont le célibat, les diaconesses et la gouvernance de l’Église sont traités dans la prochaine Exhortation. Mais n’oubliez pas que d’autres problèmes sont également en jeu.

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