Avec l’exhortation, l’élan réformateur du pontificat a été stoppé net, les progressistes ont cessé d’avoir le vent en poupe, et le Pape est plus isolé que jamais. Mais surtout, il se retrouve en contradiction flagrante avec lui-même, car c’est lui qui a voulu ce débat sur le célibat des prêtres, et qui l’a orienté dans un sens opposé à sa décision finale. C’est du moins l’opinion de Marco Politi, vaticaniste au long cours ex de Repubblica, qui collabore aujourd’hui à un autre quotidien de gauche, et qui livre ici une analyse très fine.

La lecture la plus courante aujourd’hui de la surprise Querida Amazonia chez les bergogliens qui persistent à défendre l’hypothèse de la continuité, c’est que les conservateurs, mais aussi les médias s’étaient montés la tête et que le Pape n’a jamais eu l’intention de toucher au célibat sacerdotal. Ce qu’il a confirmé de manière éclatante, prenant tout le monde à revers avec l’exhortation post-synodale. Et chez les catholiques conservateurs, c’est la claque qu’il aurait lui-même infligée aux progressistes, dont il n’était finalement pas si proche qu’on le disait. Les deux lectures sont évidemment erronées, ou du moins partielles, une façon, pour chacun des deux bords, de se rassurer, ou plutôt de ne pas voir la réalité en face. En réalité, le pape n’avait pas le choix, sa décision est motivée – dit Politi – par le fait qu’il a compris que le rapport de forces au sein de l’Eglise, au moins sur ces questions, ne lui est pas ou plus favorable (Politi ne fait aucune allusion au livre Benoît/Sarah, mais il est clair que ce livre a contribué à faire basculer ledit rapport de forces).
La conclusion de l’article est toutefois une note d’espoir pour la gauche de l’Eglise… et un point d’interrogation inquiétant pour les conservateurs: « Le document du synode, voté par les évêques, reste sur la table… On ne peut pas l’effacer. François, disaient-ils à Buenos Aires, ‘a une tête d’homme politique’. Si des espaces s’ouvrent, il peut toujours sortir du tiroir les délibérations sur les diacres mariés à ordonner prêtre. Leur valeur n’a pas de date de péremption ».


Le Pape François a été stoppé.

Et à partir d’aujourd’hui, il se retrouve plus seul

Marco Politi
Il Fatto Quotidiano (via Corrispondenza Romana)
13 février 2020
Ma traduction

Le Pape Bergoglio a été stoppé. Le document post-synodal consacré à l’Amazonie ne dit pas un mot sur la possibilité d’ordonner des hommes mariés comme prêtres et est également silencieux sur la possibilité de donner un statut spécial aux femmes, qui dirigent les communautés catholiques dispersées dans la forêt amazonienne.

Arrivé au moment de prendre la décision, le pape François a freiné brusquement, conscient que l’opposition à un tournant était ramifiée et forte et d’autant plus puissante qu’elle était souterraine.

C’est une défaite pour l’élan réformateur du pontificat. L’opposition, menée par le cardinal Müller – ex-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi – crie victoire. « C’est un document de réconciliation », déclare Müller, ajoutant avec un langage éloquent : il servira à éviter la formation de factions intra-ecclésiales, à réduire le risque d’abandon silencieux ou la manifestation d’une « opposition ouverte ».

Une grande personnalité de la Curie, ex-président de la Conférence épiscopale française, le cardinal Roger Etchegaray, disait en son temps: « Dans les premiers temps, François profitera d’une sorte de lune de miel, mais ensuite viendra le moment où il se retrouvera dos au mur ».
Le moment est venu.

Pour François, il n’est pas seulement dur de devoir constater que les rapports de force au sein de l’Eglise ne sont pas, sur ces questions, en sa faveur. La difficulté dans laquelle il a été mis est exacerbée par le fait que Bergoglio se trouve maintenant en contradiction ouverte avec lui-même. C’est lui, en effet, qui a ouvertement encouragé la discussion sur le thème des viri probati. C’est lui qui a voulu que le sujet soit traité au synode, lui qui a choisi le cardinal Claudio Hummes comme rapporteur général ouvertement en faveur de cette solution et c’est encore lui qui a autorisé que le document préparatoire, l’Instrumentum Laboris, contienne un passage explicitement consacré au sujet.

Mais surtout, François se trouve en contradiction avec un principe qu’il a défendu dès le début de son pontificat: le principe de synodalité, selon lequel les évêques sont appelés à participer avec le Pape à la direction de l’Eglise. Pour mémoire, François a même publié un document pour permettre la tenue de synodes d’évêques ayant un pouvoir délibératif. Et maintenant qu’un synode comme celui sur l’Amazonie prend une décision à la majorité des deux tiers, il l’ignore et ne la mentionne en aucune façon.

L’année dernière, le général des jésuites, le père Arturo Sosa, confessait qu' »une lutte a lieu au sein de l’Église » et que des forces agissent ayant pour but d’influencer le prochain conclave et le choix du successeur de François. L’arrêt imposé à l’ordination des hommes mariés et au diaconat féminin s’inscrit dans cette guerre civile souterraine, qui agite la catholicité. Le pape François a perçu qu’il n’avait pas suffisamment d’alliés dans l’épiscopat et parmi les cardinaux monde pour imposer un tournant. Parce que quand ils sont conservateurs, les papes sont tout-puissants, mais quand ils sont réformateurs, ils doivent tenir compte des rapports de force au sein de l’Église.

En langage symbolique, François a rapporté lundi dernier à une délégation d’évêques américains que sur le thème des prêtres mariés, il « n’a pas senti l’Esprit Saint à l’œuvre » dans le moment actuel. C’est ce que raconte l’archevêque John Charles Wester de Santa Fe. Paradoxalement, les adversaires de Bergoglio utilisent également cet argument de manière narquoise. Sur internet, on peut lire que « depuis maintenant quelques jours, le Saint-Père a (heureusement) été conduit par le Saint-Esprit à revenir à des conseils plus modérés… Ses sorties sur les migrants et les innovations déplacées dans l’Église catholique avait depuis un certain temps aliéné les fidèles. Et la main de l’Esprit Saint, dans son immense grandeur, … a incité Sa Sainteté à avoir une attitude plus sobre ». La guerre est la guerre, disent les Romains.

Le coup d’arrêt provoque également des contrecoups. Il est difficile de croire que l’annonce à l’improviste du cardinal Reinhard Marx qu’il ne souhaite plus se représenter en mars pour un second mandat à la tête de la Conférence épiscopale allemande n’a aucun lien avec les résultats du synode. Marx, grand soutien des réformes bergogliennes, doit avoir compris qu’une phase de stagnation s’est ouverte dans le réformisme du pontificat. Et il ne veut certes pas passer les prochaines années à défendre le « non » papal au clergé marié et au diaconat féminin : des questions sur lesquelles lui-même et une grande partie du catholicisme des deux côtés de l’Atlantique sont extrêmement sensibles.

Le pape François se retrouve aujourd’hui plus seul, ayant causé la déception d’une masse notable de ses soutiens. Le document post-synodal Querida Amazonia est très beau et stimulant dans la partie concernant les injustices qui touchent les indigènes, l’importance de la sauvegarde de la nature, la protection d’un environnement culturel, la nécessité d’impliquer dans la liturgie catholique des éléments fondateurs des traditions spirituelles des peuples amazoniens. Et pourtant, le coup pour le tournant manqué sur les prêtres mariés reste fort.

Parce que le problème des paroisses sans prêtres est désormais dramatique partout. Un curé chargé de suivre cinq-six-dix paroisses (comme cela arrive même en Italie) n’est plus un guide de communauté, mais risque de devenir un fonctionnaire qui court d’un centre à l’autre.

Néanmoins, le document du synode, voté par les évêques, reste sur la table. Il représente une instance de la hiérarchie ecclésiale amazonienne. On ne peut pas l’effacer. François, disaient-ils à Buenos Aires, « a une tête d’homme politique ». Si des espaces s’ouvrent, il peut toujours sortir du tiroir les délibérations sur les diacres mariés à ordonner prêtre. Leur valeur n’a pas de date de péremption.

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