Pour Aldo Maria Valli (qui vient de publier un livre sur le synode et que je rejoins complètement ici), les catholiques « conservateurs » n’ont pas vraiment de quoi se réjouir du contenu de Querida Amazonia. Le Pape y élève l’incertitude (sous couvert de synodalité) au rang de magistère, mettant ainsi l’Eglise en une sorte d’état de « révolution permanente », et il abdique le rôle de roc que lui a confié Jésus.

La remise des clés à Saint Pierre, Le Pérugin (v. 1480), Chapelle Sixtine

“Querida Amazonia”:

l’ambiguïté systématique et les deux Églises qui s’affrontent

(17 février 2020, ma traduction, mise en gras de moi))

Après la publication de Querida Amazonia, je remarque que du côté conservateur (je l’appelle ainsi pour me faire comprendre, mais en réalité je devrais dire du côté vraiment catholique), on se réjouit que dans l’exhortation, le pape ne dise pas un seul mot sur le célibat sacerdotal et le sacerdoce des femmes. Au-delà des hypothèses sur les raisons du choix papal (véritable remise en cause ou simple repositionnement stratégique?), beaucoup s’exclament « péril évité » et d’autres vont jusqu’à remercier l’Esprit Saint. Maintenant, je ne veux pas faire l’habituelle Cassandre, mais il me semble qu’il n’y a pas de quoi être tellement satisfaits. En réalité, la gagnante, c’est l’ambiguïté, selon le célèbre modèle Amoris laetitia. Avec la circonstance aggravante qu’ici l’ambiguïté est encore plus accentuée, car on ne sait même pas si et et jusqu’à quel point François assume le document final du synode.

C’est comme d’habitude. Le pape ouvre des processus, pour reprendre une expression qui lui est chère, laissant aux différents épiscopats le soin de réguler les cas concrets. Mais ce faisant, Pierre abandonne l’Église à la confusion et abdique son rôle de roc.

La conférence de presse de présentation de Querida Amazonia dans la salle de presse du Saint-Siège avait quelque chose de surréaliste. Les intervenants ont en effet soutenu que l’exhortation post-synodale du pape confirmait la discipline du célibat sacerdotal, mais qu’en même temps le parcours vers l’ordination d’hommes mariés est toujours ouvert. Nous sommes en plein dans ce que je me suis permis à de nombreuses reprises d’appeler l’Église du « oui, mais aussi non », du « non, mais aussi oui ».

Au fil du temps, la théorisation de cette ambiguïté systématique se précise de plus en plus, et le mot clé est synodalité. Ce n’est pas un hasard si, lors de la conférence de presse, le cardinal Michael Czerny, l’un des deux secrétaires spéciaux du synode amazonien, a déclaré que la question des viri probati n’était pas « close » et restait « non résolue », et que tout cela faisait partie du « processus synodal ».

Le synode des évêques, né après le Concile Vatican II comme instrument pour aider le pape à gouverner l’Église, se transforme ainsi en alibi non pas tant pour révolutionner l’Église (comme certains le voudraient), mais pour la laisser dans un état chronique d’incertitude et d’indétermination, de sorte qu’il n’y ait jamais de parole définitive.

Ainsi, la contradiction n’est plus un obstacle à surmonter à travers l’exercice de l’autorité, mais un état que l’autorité fait sien. Et l’incertitude ne doit plus être affrontée et résolue, mais assumée comme caractéristique naturelle de l’enseignement et du magistère papal.

J’ai été frappé par le fait que, dans un commentaire sur Querida Amazonia, un observateur a écrit un article intitulé « Et si nous avions mal compris?« . Je suis le premier à reconnaître que souvent les documents de l’Église ne sont pas de compréhension facile et immédiate, mais désormais les vaticanistes sont obligés de se comporter presque comme des devins. Tels des haruspices, nous devons nous déplacer parmi les textes à la recherche de signes, pour comprendre non seulement ce qu’ils signifient, mais aussi quel est leur degré d’autorité. Et dans tout cela, il y a clairement quelque chose qui ne fonctionne pas, car la première forme de charité que le successeur de Pierre doit exercer, pour confirmer les frères dans la foi, c’est la clarté, c’est la clarté de son enseignement.

Sur Duc in altum, j’ai essayé de suivre pas à pas le processus synodal amazonien qui, sous de nombreux aspects, recoupait le chemin synodal allemand, et j’en ai donc tiré un petit livre que j’ai voulu intituler Le due Chiese. Il sinodo sull’Amazzonia e i cattolici in conflitto (Les deux Églises. Le Synode sur l’Amazonie et les catholiques en conflit) , car il me semble que le fait saillant, à ce stade, est l’extrême division au sein de l’Église catholique. La théorie de l’ouverture de processus, quelle que soit sa signification, a conduit à une fragmentation devenue intenable. Et il n’est pas vrai, comme l’a récemment prétendu le cardinal Parolin, que les catholiques s’affrontent sur des questions de pouvoir. Dire cela, c’est n’avoir qu’une vision politique de l’Église et ne pas saisir le profond malaise de beaucoup de fidèles. En réalité, les catholiques s’affrontent sur le contenu de la foi, et ce n’est pas tant le pouvoir qui est en jeu que la Vérité.

Retracer, comme je le fais dans le livre, ce qui s’est passé pendant le synode amazonien (y compris la Pachamama) ne signifie donc pas ressentir un goût pervers à raviver la polémique, mais essayer d’apporter une contribution, aussi petite soit-elle, à une prise de conscience des enjeux.

Traitant de l’ambiguïté comme la méthode désormais structurelle du « nouveau paradigme » amazonien-germanique, don Alberto Strumia écrivait hier sur Duc in altum que c’est une chose inacceptable, parce que Jésus a enseigné « Que ta parole soit: oui, oui, non, non », et « le plus vient du Malin ». Dans notre Sainte Mère l’Eglise catholique, il ne peut y avoir de place pour l’ambiguïté. Et ceux qui croient que grâce à cette « liquidité », l’Église peut mieux atteindre le monde se trompent. En réalité, sur cette voie, l’Église ne fait qu’épouser la fausse sagesse du monde, centrée sur l’idée que la vérité n’existe pas et que la chercher est inutile.

Et comment qualifier tout cela autrement que de suicide? D’ailleurs, les données en provenance du Brésil et de l’Allemagne, pour citer les deux entités à la tête des processus synodaux dont nous avons été témoins ces derniers temps, nous disent que là, l’Église catholique en est à la faillite, avec une hémorragie continue des fidèles.

Mais tout le monde n’est pas prêt à assister passivement à la tentative obstinée de suicide.

La résistance continue.

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