Tommaso Scandroglio voit l’épidémie/pandémie (c’est l’avenir qui tranchera) comme une bifurcation, littéralement une ligne de partage des eaux, qui séparera la chronologie et nous-mêmes en un avant et un après. Il est évidemment difficile de prédire l’avenir, qui dépendra de l’étendue du désastre, que nous ne verrons qu’après coup, mais les changements qu’il énumère ici appartiennent déjà au présent.


Resserrés, mais dilatés:

avec le Covid 19, nous ne sommes déjà plus les mêmes.

Tommaso Scandroglio
La Nbq
19 mars 2020
Ma traduction

Le Coronoavirus inocule dans nos vies des nouveautés sociales et psychologiques substantielles, certaines temporaires, d’autres, nous le croyons, durables : un usage différent de l’espace et du temps, un recours à l’essentiel en abandonnant la contingence politique: qui pense encore à Greta Thumberg ? Et surtout la certitude que le véritable patient zéro est l’Union européenne.

Il est banal de dire que le Coronoavirus inocule dans nos vies des nouveautés sociales et psychologiques substantielles, certaines temporaires, d’autres, nous le croyons, durables. Voyons quelques-unes d’entre eux, sans prétendre à l’exhaustivité.

Concentration de l’espace.

On ne sort plus. L’horizon logistique, et donc humain et social, est le périmètre de notre maison. Le monde habité est égal aux mètres carrés de notre maison, qui pour certains s’étend à certains annexes importantes comme le bureau ou l’atelier. Pour certains, le cloître est vécu comme le 41 bis (L’article 41 bis du code de procédure pénal italien, qui établit un régime carcéral strict pour les chefs de la mafia), pour d’autres, le domicile obligatoire est une occasion de dilater le cœur. Pour certains, la contrainte est contraignante (en Chine, c’est un boom des divorces), pour d’autres, elle libère (un boom des naissances est prévu dans 9 mois). Pour certains, l’assignation à résidence est une compression de sa propre personnalité, une castration de l’ego, pour d’autres, une expansion inattendue de l’ego où la limite devient opportunité.

Dilatation du temps.

Peut-être est-ce le résultat de la condition indiquée précédemment ou peut-être pas, le fait est que la perception du temps qui passe a trouvé une extension psychologique particulière. D’ailleurs, Saint Augustin aimait déjà à dire que le temps est distensio animi (déploiement de l’âme, ndt). Certains, ou beaucoup d’engagements ont sauté et nous avons donc gagné quelques heures supplémentaires. Dans le Coronavirus, le temps ne s’écoule pas plus lentement, il s’écoule d’une manière différente. Les engagements rythmaient les journées, ils étaient donc des points de référence pour comprendre le cours du temps, comme les panneaux de signalisation sur l’autoroute: en les lisant, vous comprenez ce qui vous reste à parcourir. Enlever ces références nous fait flotter dans une sorte de vide temporel. Cela contribue à un certain sentiment de désorientation que beaucoup de gens accusent. Le même désarroi qui saisit ceux qui marchent dans le désert où les éléments verticaux du paysage sont absolument absents et où il est donc très difficile de mesurer les distances. Comme pour l’effet de la concentration spatiale, l’expansion temporelle peut conduire certaines personnes à se sentir perdues, d’autres à se retrouver, peut-être grâce aussi au silence qui a augmenté le volume de la voix de notre conscience.

Une vie lyophilisée.

Nous sommes revenus à l’essentiel. Ce moment, peut-être, a permis à un certain nombre de personnes de comprendre que les dîners, les apéritifs, les salles de sport, les spectacles, les centres commerciaux, les sorties en ville sont des aspects enrichissants de notre existence, mais qu’ils ne sont pas l’essentiel, qu’ils sont des cadeaux et non des choses dues. Une taille de printemps utile pour tailler de la vie quotidienne aussi les fruits pourris.

Ce qui est oublié.

Où sont passés les migrants, le réchauffement climatique (le virus a-t-il au moins réussi à garder Greta Thunberg chez elle ?), les diatribes politiques? Tout s’est évaporé, tout a été cannibalisé par Sa Majesté le Coronavirus. Instinct de survie. Si la maison brûle, vous vous enfuyez et ne vous souciez plus de la fuite du robinet. La damnatio memoriae a frappé l’obsession souverainisme-populisme-nationalisme. La plupart des États européens et pas seulement ont fermé leurs frontières. C’est aussi ce se passe pour les régions, les villes et les foyers. L’UE elle-même dans son ensemble s’est déclarée zone rouge, une zone interdite à la fois à l’entrée et à la sortie. C’est l’éclosion de routes aériennes annulées, de ports fermés, de trains bloqués, de frontières infranchissables, de postes de contrôle, de portes barrées: celles de nos maisons, qui ne s’ouvrent même plus aux frères et aux neveux. Même ceux qui, jusqu’à hier, appelaient haut et fort à jeter des ponts et à démolir des murs se sont maintenant empressés de fermer les portes des églises. Ce qui semblait être une morale absolue très solide – l’accueil sans si et sans mais – s’est maintenant liquéfiée à la température douce mais aussi inquiétante de 37,5°. Certains le lisent comme une dérive solipsiste (référence à la position philosophique qui définit le moi comme la seule réalité, ndt), certains comme une renaissance de l’hortus conclusus médiéval. Il est cependant indéniable que le fouet rhétorique européiste sur l’ouverture des frontières se trouve, temporairement, en soins intensifs. Pas un mot ne s’est élevé des Palais sacrés de l’Union européenne sur la fermeture des frontières car lorsque les faits, nus et crus, viennent non pas frapper à votre porte, mais la faire tomber, les idéologies humanitaires dorées s’avèrent être en étain. Sauvons d’abord nos peaux, et ensuite nous reparlerons d’une Europe des peuples unis. Et comme cela, les bureaucrates de Bruxelles sont désormais disposés à troquer l’inclusivité contre un masque.

L’Italie est une terre de miracles (ndt: et nous?).

De nombreuses distinctions peuvent et doivent être faites, mais il semble incontestable que l’aphorisme « vouloir c’est pouvoir » a trouvé dans certains cas son application effective sur le sol italien. Le Coronavirus a réussi, parfois, une entreprise qui semblait impossible: tuer la bureaucratie italienne. Si, il y a quelques jours encore, il fallait des mois, voire des années, pour obtenir un appareil respiratoire supplémentaire dans un hôpital, à coup d’appels et de papiers timbrés, et que l’on construisait des hôpitaux qui restaient comme des cathédrales dans le désert, non utilisés par quiconque, aujourd’hui, en quelques jours, l’équipement arrive, des « thérapies intensives » de 400 places sont mises en place, des pavillons sont agrandis, des centaines de zones de pré-triage sont aménagées en dehors des hôpitaux, des médicaments sont approuvés, et cela même dans le Sud. Il est clair qu’il y aura des vols et que tout ce qui a été promis ne sera pas réalisé (et non pas parce que nous sommes italiens, mais parce que nous sommes les fils d’Adam), mais certains résultats sont sous les yeux de tous. Evidemment, une fois l’urgence passée, tout, pour reprendre un stéréotype journalistique, reviendra à la normale, y compris en termes de bureaucratie.

Positivisme scientifique.

Les Italiens, et pas seulement eux, ont toujours été amoureux des médecins. A la fois parce que notre santé physique en dépend et parce qu’il semble que seul en eux se trouve la vérité, quelle qu’elle soit. Ce sont eux qui distillent des affirmations objectives, irréfutables, absolues et impérissables. Cette attitude de faveur envers les scientifiques sera encore plus revigorée après ces semaines pour au moins deux raisons positives. Leur héroïsme, indéniable et dont on ne peut que remercier Dieu, a été un ingrédient incontournable dans chaque émission, article et blog. Deuxièmement, à quelques exceptions près, la profession médicale s’est très bien présentée. Nous ne parlons pas seulement des médecins de terrain, mais aussi de ceux qui sont intervenus dans la presse et à la télévision: compétents, capables de gérer correctement les médias, sérieux, concis dans leur attitude, communicatifs, synthétiques, prudents dans leurs prévisions, pas trop vantards. Essayez de comparer le génie des personnes qui fréquentent habituellement les médias – politiciens, journalistes, VIP, juges – et vous verrez que la comparaison ne tiendra pas la route.

A.C. – A.D.C.

Ce sera peut-être l’effet le plus durable. L’imagination collective divisera les événements passés et futurs en « avant le Coronavirus » et « après le Coronavirus ». Ce sera d’abord un carrefour dans le temps. Cette pandémie entrera dans les manuels scolaires, les mères diront à leurs enfants devenus grandelets que « tu as dit ‘maman‘ pour la première fois au moment du coronavirus », les gens se souviendront de la naissance, du décès de quelqu’un, d’une nouvelle embauche ou d’un licenciement, d’un mariage ou d’un divorce, d’un voyage et de mille autres événements en disant « c’est arrivé avant/après le coronavirus ». Le terme « Coronavirus » perdra son sens dramatique et deviendra une ligne tracée dans le temps pour délimiter une frontière chronologique entre une ante et un post à l’intérieur duquel sera enclos un no man’s land. Mais le Coronavirus prendra également une valeur symbolique d’aventure humaine au niveau mondial, il deviendra, d’un point de vue psychologique, un nouvel archétype, intériorisé dans ses résultats existentiels, plein d’une signification encore plus emblématique et métaphorique que le 11 septembre, aussi parce qu’il a touché chacun de nous, un « nous » qui a embrassé le monde entier. La conscience collective ne sera pas rachetée par cet événement (tout comme il n’est pas rare que ceux qui fument recommencent à fumer après avoir récupéré d’un cancer du poumon parce que l’arbre tombe dans la direction dans laquelle il a toujours penché), mais quelque chose se sera installé dans l’imagination intime de beaucoup, quelque chose de fatal, c’est-à-dire, dans notre société post-chrétienne, lié au destin, à l’inévitable, à l’incontrôlable. Certains chercheront des substituts – l’unionisme: « Ensemble, nous l’avons fait! »; la défonce; la légèreté (l’insupportable légèreté d’avoir survécu) – d’autres découvriront une soif indomptable de choses ultimes, définitives, plus fortes que la mort.

L’Europe, le patient zéro.

Une dernière réflexion non plus sociologique, mais politique. La plus illustre victime de ce coronavirus est l’Union européenne. Le virus a mis en évidence, même s’il était superflu de le faire, que l’establishment européen ne s’intéresse qu’au facteur économique et, en particulier, à celui de certains pays. Que vous puissiez mourir ou vivre ne devient important que d’un point de vue financier, monétaire. Non seulement l’UE est la victime par excellence, mais elle est aussi le patient zéro. C’est à cause d’elle que le virus s’est propagé. Il n’y a pas eu de politiques de prévention transnationales et, lorsque les premiers foyers ont éclaté, rien n’a été fait. Même aujourd’hui, il n’y a pas de centre de commandement de facto pour gérer l’urgence au niveau centralisé, mais chaque pays marche en ordre dispersé. Il existe, de jure, un team de réponse au coronavirus, mais son incidence à ce jour est nulle. Bref, c’est l’opération de façade habituelle. Il est également intéressant de noter que sur les 7 commissaires qui composent l’équipe, 3 se consacrent aux aspects économiques et un seul aux questions de santé. Néanmoins, qu’on nous permette de dire que, lorsque le navire coule, il n’est pas sage d’étreindre le coffre fort pour essayer de sauver l’argent qui s’y trouve.

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