à l’occasion de la sortie de sa biographie de Benoît XVI, « Benedikt XVI, Ein Leben » (voir « Benedikt XVI, Ein leben »: les mots du biographe). Traduction complète.


« Il n’y aura plus personne comme lui »

Peter Seewald, biographe de Benoît XVI, explique pourquoi Joseph Ratzinger est un théologien moderne et pourquoi il l’est resté comme préfet et comme Pape.

Die Tagespost
Guido Horst
Oliver Maksan
30 avril 2020
Traduction VB

M. Seewald, êtes-vous soulagé que la biographie, le livre soit désormais publié?

Oui, je le suis. Car rédiger une biographie d’un siècle, comme celle de Joseph Ratzinger, était une tâche certes très agréable, mais aussi extrêmement accaparante. Il faut d’innombrables prières pour se donner du courage et une bonne dose de persévérance pour la mener à son terme.

Vous décrivez en détail le développement spirituel du jeune Ratzinger, les œuvres qui l’ont influencé. Diriez-vous qu’après sa « période de maturation », il était un théologien moderne ?

Il l’a été dès le début. Déjà en tant qu’étudiant au premier semestre, il se passionnait pour la naissance d’une nouvelle spiritualité. Il dévorait toute la littérature sur le sujet et s’enthousiasmait pour une philosophie de la liberté. Son directeur de thèse, Gottfried Söhngen, l’a conduit à une théologie de l’histoire plutôt qu’à une théologie purement spéculative. Il découvre très tôt la nouvelle école française et reconnaît en Henri de Lubac et Hans Urs von Balthasar des modèles précurseurs. Ses étudiants l’ont remarqué. Il y avait une nouvelle approche de la tradition, combinée à une réflexion et un langage jamais entendus auparavant.

Et pourtant, Ratzinger a commencé plus tard à réaliser que lui et, par exemple, Karl Rahner vivaient théologiquement sur « deux planètes différentes ». Sans parler de Hans Küng. Qu’est-ce qui a conduit le théologien du Concile et plus tard membre du Synode de Würzburg à sortir du « camp des progressistes » ? Est-il simplement resté fidèle à lui-même ?

Oui, avec certaines modifications. La théologie de Ratzinger a été achevée très tôt, et la continuité de son enseignement est impressionnante. Rahner était très enthousiaste à l’idée de collaborer avec son jeune collègue sur le Concile, mais cela n’a fonctionné qu’imparfaitement. Le futur pape était proche de chercheurs non conventionnels, dérangeants , très modernes, de gens qui n’étaient pas dans le courant dominant. Il se considérait lui-même comme un théologien progressiste. Cependant, le fait d’être progressiste était compris de manière très différente de ce qu’il est aujourd’hui. Il s’agissait d’un effort pour s’éloigner de la tradition – et non de la volonté de se démarquer à tout prix. Déjà en tant que peritus au Concile, il a refusé de sacrifier à l’air du temps. Il est resté fidèle à cette approche. À cet égard, il dit vrai lorsqu’il dit que ce n’est pas lui qui a changé, mais les autres.

Est-ce bien l’ancien collègue de l’époque de Tübingen, Hans Küng, qui, au début de l’ère préfectorale du cardinal Ratzinger, a créé l’image du « théologien réactionnaire » à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi ?

La relation Küng-Ratzinger est une histoire très passionnante, mais aussi très tragique. Il n’y a jamais eu de véritable amitié, même si les deux s’appréciaient et d’une certaine manière s’estimaient. En fait, Küng est le principal responsable d’une réputation de Ratzinger, construite sur des manipulations et des mensonges. Ses accusations ont préparé l’image déformée du « Grand Inquisiteur ». Il est notamment responsable de la légende du traumatisme et de la transformation de Ratzinger suite à la rébellion de 1968, qui en réalité n’a jamais existé. A chaque heure, il ne laisse rien au hasard dans sa tentative de critiquer son ancien collègue. Si sa calomnie avait été examinée de manière critique dans les médias dominants, il n’y aurait jamais eu de « Panzerkardinal ».

En 2005, l’année de l’élection du Pape Benoît, vous étiez depuis longtemps en relation avec Joseph Ratzinger et vous aviez publié en collaboration avec lui deux livres d’entretiens. Attendiez-vous alors quelque chose de différent, peut-être plus, du pontife allemand ?

Je pense que le bilan du Pape Benoît est plus que respectable. Si quelqu’un parle encore aujourd’hui d’un pontificat raté, c’est soit qu’il est mal informé, soit qu’il veut délibérément faire passer une idée qui correspond à ses intérêts idéologiques. Le seul fait d’avoir réussi une transition sans rupture après le pontificat de Jean Paul II, un « pape du siècle », était un grand exploit. Benoît XVI, face à un déclin naissant du christianisme, a eu la lourde tâche du renouvellement de la foi. Son charisme exceptionnel et sa catéchèse ont attiré des millions de personnes, y compris celles qui s’étaient éloignées de l’Église. Ce n’est pas un hasard si l’on a parlé de la fièvre « Benedetto ». Elle s’est terminée avec l’affaire Williamson, où, comme j’en témoigne dans mon livre, une campagne de désinformation des médias a trompé le public.

La nomination du « jésuite inexpérimenté » Federico Lombardi en remplacement du professionnel des médias Navarro-Valls comme porte-parole du Vatican et celle de Tarcisio Bertone en tant que secrétaire d’État : certaines décisions relatives au personnel ont-elles été un point faible du pontificat du pape Benoît ?

Ratzinger lui-même a décrit la gestion de personnel comme n’étant pas nécessairement sa tasse de thé. En plus, il croyait en une sorte de loyauté indéfectible des Nibelungen*. Je pense qu’avec une équipe plus forte, le potentiel du pontificat de Benoît XVI aurait pu être bien mieux se réaliser.

* Loyauté des Nibelungen : Dans la Première Guerre Mondiale, l’alliance entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie a été décrite comme possédant Nibelungen-Treue se référant à la loyauté à mort entre Hagen et les Bourguignons. Plus généralement, Nibelungentreue est un nom composé allemand, littéralement «loyauté Nibelung», exprimant le concept de loyauté absolue, incontestable, excessive et potentiellement désastreuse envers une cause ou une personne.

Le Pape Benoît n’a publié que trois encycliques, et certains auraient pu en attendre davantage du pape théologien.

Ce ne furent que trois encycliques, mais trois qui avaient du contenu. En tant que pape, il était avant tout un berger, et non un professeur. Qu’il ait, dans son grand âge et avec ses handicaps de santé, dont le public ne soupçonnait rien, aussi pu rédiger une trilogie de Jésus, est presque surhumain. Cette christologie était devenue urgente et nécessaire en raison de la destruction de l’image et du message de Jésus. Aucun pape avant lui n’avait osé s’attaquer à une telle œuvre.

M. Seewald, la main sur le cœur : Comment avez-vous vécu la démission de Benoît XVI ? Vous l’avez bien expliqué dans votre livre, mais l’avez-vous aussi accepté pour vous-même ?

Un pape doit mourir en fonction. C’était presque un dogme. La démission d’un pontife est cependant possible en vertu du droit canon, mais personne ne voulait en faire l’expérience. La démission m’a aussi ébranlé. D’autre part, Benoît XVI avait déjà déclaré en 2010 dans notre livre « Lumière du monde » qu’un pape a non seulement le droit mais aussi le devoir de démissionner lorsque ses forces physiques ou psychiques n’étaient plus suffisantes. L’Église catholique est plus grande et plus répandue que jamais. Les exigences envers le Pasteur Suprême ont changé de façon spectaculaire. Avec son acte, Ratzinger a révolutionné la papauté et a ouvert la voie à une nouvelle force. Il a lutté jusqu’au sang avec la question de la renonciation à ses fonctions. Et on peut le croire quand il dit qu’il est en paix avec cette question, surtout avec son Seigneur, envers lequel il est seul responsable en dernier ressort.

Dans quelle mesure Benoît XVI, comme vous l’écrivez dans la préface, est-il devenu un pape d’un changement d’époque historique, à la fois la fin de l’ancienne époque et le début d’une nouvelle ère ?

Dans son expérience personnelle, Ratzinger passe en revue les expériences historiques d’un siècle tout entier, de la République de Weimar jusqu’à l’ère du numérique. Il connaît en particulier les différentes phases de l’Église, de sa position face à la dictature, de son époque comme « église du peuple » et comme église de la crise dans la société sécularisée. Pendant cinq décennies, dont un quart de siècle en tant que bras droit de Jean-Paul II, il a été en première ligne.

Il fut un bâtisseur de ponts qui a contribué à la redécouverte des méthodes d’agir des Pères et à l’élan de modernisation du Concile, mais qui a aussi très tôt mis en garde contre la falsification de Vatican II, et j’en oublie. Surtout, il a aussi montré que la foi et la raison ne sont pas opposées, mais des volets interdépendants de la connaissance. Sa riche expérience est aussi précieuse que l’or.

Le Pape Emérite a-t-il déjà lu le livre ?

Je lui ai montré quelques chapitres à l’avance. Il devrait pouvoir se faire une idée. Il a particulièrement apprécié la partie sur l’encyclique de Pie XI « Mit brennender Sorge » (Avec une brûlante inquiétude) de 1937 : « C’est un chapitre exemplaire basé sur des informations précises sur la situation historique contemporaine », m’a-t-il écrit, « sur son influence sur ma vie et enfin une analyse complète sur l’église persécutée ».

 Je ne peux pas dire si tous les chapitres lui plairont. Une biographie ne doit pas être un compte-rendu d’audience.

Mon souci était de donner accès à une œuvre irremplaçable pour l’Église et la société – et d’emmener le lecteur dans un voyage aussi passionnant qu’instructif tant sur le plan historique que spirituel. Benoît XVI est d’une actualité intemporelle. La biographie ne traite donc pas seulement des événements passés ou terminés, mais, avec l’héritage d’un des grands de l’Église, elle contient également des directives pour l’avenir. Un homme comme lui ne pourra pas être remplacé.

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