Le curé d’une paroisse périphérique de Barcelone (l’une des régions les plus touchées par le coronavirus et aussi l’une des plus sécularisées, politisées et cosmopolites de la péninsule) exprime sa douleur devant ce qui a été imposé aux fidèles à l’occasion de la pandémie du covid-19.


Hygiénisation (*) et stérilisation de la foi

(*) Néologisme aussi en espagnol, non encore pris en compte dans le dictionnaire de l’Académie. D’autres mis aussi en italique dans la traduction dans le texte.

P. Francesc M. Espinar Comas (**)
Curé de – El Fondo de Santa Coloma de Gramenet
Germinans-germinabit  
Traduction de Carlota

Beaucoup penseront que le Carême est terminé et même le temps pascal. Évidemment le calendrier nous dit que nous avons bien célébré l’Ascension et la Pentecôte ; néanmoins le moment historique que nous sommes en train de vivre est bien loi d’être la « Pâque ». Et, étant donné que les mots Carême et Quarantaine sont des synonymes dans notre langue, nous pouvons constater que le  moment de sortir de nos tombes n’est pas encore arrivé. Tout au moins pas totalement. En effet, il semble que le temps s’est soudain distendu et que le jour du Vendredi Saint est en train de s’étaler lentement en une séquence très dense dans le contexte de notre temps de travail sans précédent. Un véritable « Temps de la Passion », loin d’être métaphorique, loin de se terminer.

En effet, nous pourrions dire que le Carême pour nous a commencé le 24 février (2020) et n’est pas encore fini puisque Pâques est passé sans possibilité de célébration pour les gens. Évidemment, tous ont fait tout leur possible pour créer des “célébrations domiciliaires” et essayant d’imiter la Sainte Liturgie. Mais c’est justement ce qu’il faut pointer. C’était une simple “imitation”, une “fausse messe”, virtuelle. Nous avons prié, nous avons jeûné et en quelque sorte nous avons célébré. Mais qu’avons-nous eu? Une fête certainement très attendue, mais malheureusement, sans celui dont on fête l’anniversaire. L’attente par conséquent continue.

Certainement, cette année, beaucoup d’enseignants et de prédicateurs ont pu vraiment dire que le Christ “est ressuscité dans nos cœurs” puisque, selon eux, la résurrection n’est pas un fait historique, réel, et que par conséquent, on doit la célébrer, mais que c’est quelque chose purement intérieur et symbolique. Et c’était tellement intérieur que peu s’en rendirent compte eux  et en tout cas les gens “ne pouvaient pas courir vers le sépulcre” pour lui rendre gloire et témoigner. Je pense en particulier à ceux, nombreux, qui n’allaient à la messe que pour Noël et Pâques, peut-être comme ultime recours pour ne pas perdre complètement le contact avec leur foi et sauver leurs âmes. Cette année on leur a aussi refusé cette grâce. Un coup de pioche dévastateur par conséquent pour la foi des plus petits. En effet, tous n’étudient pas la théologie ou n’ « examinent » pas les Écritures, et par ailleurs, on ne demande pas à une personne baptisée de le faire, mais il suffit de participer aux moyens “normaux” de salut, c’est à dire, aux sacrements.  Oui, cela fait partie des Cinq Préceptes Généraux de l’Église, une de ces choses que l’on a cessé d’enseignement depuis quelques générations. Par conséquent, il a été facile et commode d’éliminer le précepte dominical (cette année aussi le précepte pascal) pour ceux qui déjà n’y croyaient pas.

Après plus de cinquante ans de spiritualisation (il serait plus correct de dire « évaporation ») des dogmes catholiques durant lesquels la prédication s’est plus fixée sur les démonstrations de l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, il en résulte que la nouvelle pastorale s’est concentrée, jusqu’à l’implosion, dans les moyens de grâce « extraordinaires ». En abaissant les sacrements et la liturgie de l’Église, à une expression d’ « une communauté ecclésiale », finalement, aujourd’hui, nous avons atteint un objectif de plus, un point de non-retour. Mais l’urgence sanitaire a également fait une brèche dans le communautarisme postconciliaire, balayé par un coup de balai, ou mieux par une toux. Du cri « plus de messe et moins de messes » des prêtres-ouvriers soixante-huitards, nous en sommes arrivés à « la messe, c’est fini, restez chez vous ». C’était inévitable.

Après une première phase de suspension totale et immédiate des sacrements sans aucune indication pour les fidèles, nous sommes passés à la «messe en streaming», à la «numérisation de la foi» et à une virtualisation de la vie chrétienne. Par conséquent, alors que la société civile est en phase 1 et en phase 2 (phases progressives de dé-confinement en Espagne, à partir d’un point zéro), les catholiques modernistes (qui, en ce qui concerne la révolution, ne suivent pas le monde mais le précèdent), nous ont déjà introduit dans la phase 3, c’est-à-dire, la phase de la messe pour les personnes saines, la messe pour les chrétiens responsables, la messe pour ceux qui acceptent de se soumettre à une nouvelle loi, celle du chrétien désinfecté, aseptisé, et finalement « stérilisé ».

Ceux qui ne voudront pas se soumettre à ce “traitement sanitaire de la foi”, seront exclus de la vie de l’Église et de la célébration des mystères sacrés. Quelqu’un a-t-il pensé que le problème ne sera que celui des vaccinations obligatoires sans lesquelles plus personne ne pourra aller travailler et faire ses courses ? L’Église aussi aura son protocole sanitaire d’accès aux églises. La vérité est nous nous trouvons en face d’une ghettoïsation progressive de la foi, avec une confiscation de l’autonomie et de la liberté dans la vie de l’Église, qui est désormais sous le contrôle presque total d’un état totalitaire et d’une hiérarchie qui lui est soumise. Pire encore, d’un infâme conseiller à un démantèlement spirituel sans précédent.

Peut-être que personne ne s’attendait à ce que la persécution contre la foi en Occident ne commence de cette manière suave, humanitaire et sanitaire, motivée par une urgence de santé publique apparemment « très raisonnable ». Néanmoins, elle a commencé. Non seulement en Espagne mais dans d’autres pays européens. En Suisse, par exemple, dans le canton du Tessin, l’heure de religion à l’école a été supprimé en bloc sans aucun motif (et c’est peut-être bon, quoique prévisible), y compris dans sa forme d’ «enseignement à distance», alors que les autres matières ont repris leur cours habituel.

En fait, l’ennemi a très bien compris que les persécutions sanglantes sont contre-productives pour lui, parce qu’il sait mieux que nous, le sang des martyrs génèrent de nouveaux chrétiens. Saint Léon le Grand l’explique parfaitement : « Si cet ennemi cruel et orgueilleux avait pu pénétrer la sagesse de la Divine Miséricorde, il aurait essayer d’adoucir et de calmer l’esprit des Juifs au lieu de leur inspirer une haine injuste par crainte de perdre l’esclavage de tous les pécheurs, alors qu’il persécutait la liberté de Celui qui ne lui devait rien » (Sermon 11 De Passione Domini)

En vingt siècles d’histoire de l’Église, à partir de la défaite subie à la crucifixion et à la mort du Christ à travers les persécutions violentes de l’histoire contre les chrétiens, l’ennemi a accumulé, entre les victoires et les défaites, une longue expérience de stratégie militaire. Il a parfaitement compris que la collision frontale, la haine féroce et l’intention manifeste affaiblissent son action et la mettent en évidence. Par exemple si aujourd’hui était approuvé un décret, – comme cela s’est passé au Mexique dans la décennie des années 1920 contre tous les catholiques et les prêtres qui ont été fusillés sur les places publiques -, stipulant que tous ceux qui manifestent la foi chrétienne en public, seront torturés et emprisonnés, l’origine luciférienne de ces lois serait claire, et la foi recevrait une grande impulsion et un  grand développement, et le résultat serait finalement très bénéfique.

Mais avec des dogmes vidés [de leur contenu], l’épuisement spirituel, la sécularisation de la vie chrétienne réduite à la “protection de la santé” du corps au lieu d’être un remède pour les maladies de l’âme, c’est une tactique beaucoup plus fructueuse pour l’ennemi qui veut entraîner autant d’âmes que faire se peut, sans clameur ni révolte, et même si c’est possible avec leur consentement volontaire motivé, comme l’on dit, par le « sens commun ».

En effet, aucune personne saine d’esprit, ne serait-ce que pour une excellente raison (par exemple la santé ?) ne renoncerait d’une manière spontanée à sa liberté et son intimité. Pour cette raison, la plupart des chrétiens comme le reste de la population, ne se rendent pas compte qu’ils font partie d’un grand processus de déconstruction anthropologique qui, à travers la plus que raisonnable « protection de la santé » et la confrontation à une « urgence sanitaire », se dirige à grands pas vers un système de contrôle social de plus en plus fin et envahissant, étendu et généralisé.

Sous le prétexte de la santé, il est facile de manipuler la pensée de quelqu’un qui pense trop à sa santé. C’est évident : « Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6 :21). Une fois identifié le «trésor » de l’homme du XXIème siècle, qui est l’idole de sa santé et de son bien-être, il sera facile de contrôler son cœur.

Romano Amerio, l’avait bien compris, quand dans son œuvre maîtresse « Iota Unum » il signalait la somatolâtrie [néologisme construit sur le grec σωμα – corps], le culte du corps, comme une idole non seulement du monde contemporain mais aussi de l’Église contemporaine, également humaine : humaine et par conséquent « compromise » avec les affaires de la terre.  Et c’est ainsi qu’à partir de la si précieuse et estimée « théologie du corps » (ndt Jean-Paul II – 1987), l’on est passé à un « corps sans théologie » puisqu’au moment de la pandémie post-chrétienne, tu ne peux plus prendre au sérieux cet avertissement évangélique : « N’ayez pas peur de ceux qui tuent le corps, mais n’ont pas le pouvoir de tuer l’âme; mais craignez plutôt celui qui a le pouvoir de faire périr votre âme et votre corps dans la Géhenne » (Mt 10:28).


Dans la tromperie de la toute-puissance médicale, tous, y compris les catholiques de bonne foi, ont oublié de se demander : « Lequel d’entre vous, pour beaucoup que cela vous importe, peut ajouter une heure à sa vie ? (Lc 12,25). Et la hiérarchie ecclésiale d’aujourd’hui a accepté et désiré une dévaluation radicale de ce qui devrait être le plus précieux, la liturgie et les sacrements, en renonçant à la célébration des “mystères sacrés” même avant et sans que l’état l’ait demandé (les églises étaient fermées avant les bars et les restaurants, vous en souvenez-vous?). En effet, je crois que les mystères sacrés ont cessé d’être d’authentiques mystères depuis la Réforme Liturgique de 1969. Mais passons sur cette question.

Peut-être pensiez-vous mes chers compagnons prêtres et évêques, de gauche et de droite, traditionnalistes et progressistes, qu’après avoir retiré la messe et les sacrements et nous avoir donné le substitut virtuel du surnaturel, les gens maintenant nous suivraient dans la mise en scène de la « messe stérilisée », expression grotesque d’une foi stérilisée incapable d’attirer même un extraterrestre ? Et si en d’autres temps, il arrivait parfois qu’une âme éloignée de la foi entrât, même par erreur, muée par une intervention intérieure de la grâce, cela ne sera plus possible si cette personne n’a pas tous les papiers nécessaires et en règle, les mains propres et la tête rendue hygiénique avec une solution hydro-alcoolique.

Le mendiant en prière

Combien de vagabonds sans foyer et moins privilégiés que nous, ai-je vus dans ma vie, entrant dans les églises pour rechercher une consolation, craignant de s’approcher des gens « de bien » et propres parce qu’ils ne se croient pas dignes d’être comptés comme membres de la société, peut-être en faisant un signe de croix, et en plongeant ces mains sales et malodorantes dans les bénitiers avec l’espoir que ce geste enfantin leur servira à quelque chose ! Maintenant ce n’est plus possible parce que « L’Église 3.0 », depuis ses édifices stérilisés et stériles mettra un panneau : «aux chiens et aux personnes irresponsables, il est interdit d’entrer». Bon, en fait, non. Les chiens peuvent entrer, on ne sait pas s’ils transmettent le virus… C’est cela l’Église des derniers, des marginaux, des périphéries et du bla-bla-bla.


Il y a une sentence du Seigneur, qui cependant ne nous plait pas, en général, à nous les pasteurs, non pas qu’elle soit dure, mais parce qu’elle est seulement écrite pour nous: « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites qui fermez aux hommes le royaume des cieux; car de cette façon vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent y entrer » (Mt 23,13). Et sur le thème de la propreté et de la santé externes, le Seigneur nous a prévenus : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites qui nettoyez le dehors de la coupe et du plat; alors qu’en dedans ils sont pleins de rapine et d’intempérance ! »(Mt 23,25).

N’ayez pas peur. Il n’y aura pas besoin de mettre des « gardes » aux portes des églises parce qu’il n’y aura pas des foules à y entrer. Si nous nous plaignions auparavant de la diminution de l’affluence des fidèles, nous pouvons être sûrs que d’ici peu nous resterons seulement avec une poignée de germes dans la main, et même pas cela, car nous aurons même transformés en aseptique (plutôt méphitique) l’air que nous respirons. Ne nous préoccupons pas beaucoup non plus du respect de la distance de deux mètres : si nous sommes diligents et que nous faisons bien notre travail, il y aura tellement peu de fidèles que nous aurons quatre, huit ou dix mètres entre un (in)fidèle et l’autre. Mais nous serons des « curés responsables », exécuteurs obéissants des nouveaux diktats de la religion mondiale de la santé.

Le ridicule est en train d’arriver à la cime du grotesque. Ayant déjà dépassé les transformations de la liturgie, nous sommes prêts pour le développement, ou plutôt, pour la mise au point de la religion humanitaire, élitiste et médicalisée dans laquelle les gens ne chanteront pas avec l’enthousiasme des enfants mais avec la monotonie des esclaves : Notre Père qui êtes aux cieux, sanitaire soit ton nom ».

Néanmoins, ce qui, à nous, pauvres sous-officiers sortis du rang, abandonnés parmi les sifflements des balles et les explosions dans les tranchées, sans vivres ni munitions, ce qui nous est resté, ce sont les paroles du seul authentique Docteur qui peut mettre les choses à leur place : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades» (Mt 9 :12). Et cela, chers lecteurs, c’est une grande consolation.

P. Francesc M. Espinar Comas (*)

(**) Le Père Espinar Comas est né en 1961.

Il dessert actuellement la paroisse de Saint- Jean Baptiste, dans la commune de El Fondo de Santa Coloma de Gramenet, dans la périphérie nord-est de Barcelone. Et à voir l’édifice l’on peut vraiment dire que ce prêtre est en périphérie… Sur le site de la paroisse, on apprend qu’il y célèbre la messe en latin le dimanche matin (mais aussi en espagnol à d’autres heures, en non pas qu’en catalan) et que le vendredi après-midi, pour la communauté chinoise, au confessionnal, il y a une tablette où les commandements de la Loi de Dieu sont en mandarin et en espagnol, et à côté le nombre et le genre de péchés. J’en conclus qu’il y a une communauté chinoise d’une certaine importance dans la zone et que même si elle ne maîtrise pas complètement l’espagnol, elle a néanmoins les moyens de se confesser sans avoir à sa disposition un prêtre maîtrisant le mandarin.

Mots Clés :
Share This