Stefano Magni, sur la NBQ, décortique le mécanisme qui fait que 98% des médias du monde entier considèrent le locataire actuel de la Maison Blanche comme l’Ennemi public n°1 (*). Dernier exemple: un journaliste du NYT évincé pour avoir donné la parole à la défense! Un phénomène qui ne date pas d’hier mais qui prend aujourd’hui des proportions inquiétantes pour la démocratie… et fait beaucoup réfléchir sur les événements récents.

(*) Sous la présidence Obama, ce dernier bénéficiait du même taux stratosphérique de satisfaction de la part des médias, et, curieusement, aussi dans l’opinion française, non concernée, (dés)informée par les mêmes médias, et sondée par des instituts liés à eux.

Les deux minutes de haine, dans « 1984 »

Les émeutes raciales aux Etats-Unis se répandent dans le monde entier comme un virus méphitique à une vitesse supérieure au Covid 19, et chaque bulletin d’information, que ce soit à la télévision ou à la radio, chaque article de journal ou de blog (je parle de la France!] s’ouvre désormais sur le déversement d’insultes contre le Président des Etats-Unis, éreinté, ridiculisé, accusé d’être à l’origine de tous les maux – jusqu’à son épouse qui n’a que le tort d’être belle, élégante et discrète, et qui est pourtant la cible quotidienne des journaux poub… euh, people: autrement dit, très exactement les « deux minutes de la haine » décrites par George Orwell dans « 1984 » . C’est quasiment de l’incitation au meurtre – sinon physique, du moins virtuel. Et les rares qui osent vaguement prendre sa défense prennent bien soin de préciser qu’ils ne sont pas d’accord avec toutes ses idées (voire avec aucune – cf. la citation apocryphe de Voltaire: « je ne partage pas vos idées mais je suis prêt à mourir pour elles« ). Un peu comme pour le Professeur Raoult, mais à la puissance mille.

Ce matin, sur une radio commerciale, Spike Lee (il vient de terminer un film militant sur la guerre du Vietnam vu du côté afro-américain, énième réécriture de l’histoire qui doit sortir ces jours-ci sur Netflix) invité de la « Matinale » a qualifié Donald Trump d' »agent orange à la Maison Blanche »: fine allusion à la couleur de ses cheveux mais surtout au défoliant mortel utilisé par l’Armée américaine durant la guerre du Vietnam (une astuce que le pauvre « journaliste » qui menait l’interview, il vaudrait sans doute mieux dire qui ânonnait le script pré-écrit en forme de dialogue de sourds, puisque le réalisateur noir ne parle pas le français, n’a apparemment pas saisie), qu’il convenait donc d’éradiquer à la faveur des élections de novembre prochain.

Bref, c’est comme au pancrace, tous les coups sont permis.


Médias du monde entier, unissez-vous contre Trump

Stefano Magni
9 juin 2020
La NBQ
Ma traduction

Le monde des médias se retrouve uni sur au moins un point : la haine de Donald Trump. Un monde qui conditionne l’opinion publique plus que tout autre. L’affaire du New York Times en est une démonstration de plus, avec la démission d’un rédacteur en chef coupable d’avoir accueilli un avis favorable du président.

Stefano Magni

Le monde se retrouve uni sur au moins un point: la haine de Donald Trump. Par « monde », nous entendons le monde des médias, celui qui recueille, analyse et exprime les nouvelles et les opinions, conditionnant l’opinion publique plus que tout autre. Il est objectivement très difficile de trouver un journal sérieux avec une solide réputation du côté du président américain. Et le mécanisme de sélection des nouvelles et des opinions devient de plus en plus rigoureux: si vous êtes d’accord avec Trump, vous perdez votre emploi. L’exemple le plus récent et le plus frappant est la démission forcée de facto de James Bannet du New York Times, non pas coupable d’avoir personnellement écrit un article en faveur du président, mais d’avoir accueilli, en tant que rédacteur en chef de la section Opinion, une opinion favorable exprimée par le sénateur républicain Tom Cotton.
La semaine dernière, le New York Times avait demandé à Cotton d’écrire son opinion sur l’Insurrection Act, la loi permettant d’utiliser l’armée pour réprimer un soulèvement interne. Le sénateur républicain a écrit en faveur de l’application de l’Insurrection Act, qui venait d’être invoqué par Trump. Sa publication a provoqué une véritable insurrection de journalistes et de collaborateurs du quotidien, dont beaucoup ont appelé à la grève. La journaliste Nikole Hannah Jones, lauréate du prix Pulitzer, a écrit sur son profil Twitter: « En tant que femme noire et journaliste, j’ai honte de cette publication ».

Le quotidien a d’abord essayé de se défendre, en affirmant que la politique éditoriale de la rubrique Opinion était également de tenir compte de l’opinion minoritaire (par opposition à la ligne éditoriale). Puis elle a changé de ligne, affirmant que l’article ne répondait pas aux normes éditoriales. Le rédacteur en chef de la rubrique Opinion, James Bennet (en fonction depuis 2016) a donc démissionné et son adjoint a été transféré à la section « Actualités ».

Tom Cotton, à titre personnel, a déclaré qu’il avait été mal compris par la rédaction du New York Times, qui parle de son article comme d’une invocation de l’armée pour réprimer les manifestations. « J’ai demandé l’utilisation de la force militaire comme soutien, seulement si la police était débordée, pour arrêter les émeutes, pas pour l’utiliser contre les manifestations », a déclaré le sénateur, en réponse aux déclarations du grand journal.

Alors que Bennet, en présentant sa démission, a déclaré ne pas avoir vérifié l’article, son auteur, Cotton, a décrit au magazine National Review comment il avait été rédigé: trois projets envoyés l’un après l’autre à la rédaction et corrigés en fonction des demandes de vérification. Dans les deux premiers projets, la rédaction du New York Times a demandé des précisions sur le style et la clarté, et dans le troisième, une vérification plus poussée des faits. Le processus a duré deux jours, lundi et mardi de la semaine dernière, l’article a finalement été approuvé le mercredi matin. Ce n’était donc pas un commentaire improvisé et supprimé parce qu’il contenait des « bobards », qui échappaient au contrôle de la rédaction, c’était un article longuement contrôlé et corrigé. Sa suppression semble, à plus forte raison, être un acte purement politique.

La censure du président et les opinions en sa faveur semblent désormais concerner tous les médias et les réseaux sociaux. Ces derniers, par exemple, donnent un tour de vis très visible, avec Twitter qui a supprimé un commentaire de Trump lui-même et en a jugé un autre « trompeur » (avec abondance de références à une analyse approfondie sur CNN).

Occulter un président, par un grand réseau social, est une nouveauté absolue dans le débat démocratique.

D’autre part, il y a des phrases et des raisonnements attribués au président américain, mais jamais prononcés, ou délibérément mal compris. Pour ne citer que quelques cas au cours des trois derniers mois, Trump n’a jamais suggéré « d’injecter des désinfectants » ou de « s’exposer aux rayons UV » pour se soigner du Covid-19, et pourtant vous le trouverez écrit partout. La bataille autour de l’hydroxychloroquine a commencé quand elle a été citée par Trump comme un remède prometteur et peu après, elle est entrée dans le collimateur des médecins et des chercheurs. Les États-Unis ne sont pas le pays le plus touché par le Covid à cause du manque de prévention de Trump, comme on peut le lire presque partout. Au contraire, par rapport à la population, les États-Unis sont beaucoup moins touchés par l’épidémie que l’Italie et la plupart des pays d’Europe occidentale et la plus grande concentration de victimes se trouve dans le seul État de New York, dirigé par le gouverneur démocrate Andrew Cuomo … qui est présenté comme le véritable héros de la lutte contre l’épidémie. Il y en a assez pour que Trump soit la plus grande victime des bobards, même si les journalistes l’accusent d’être un menteur en série.

Le parti-pris des médias contre Trump n’est pas seulement une impression partisane. Au moins un centre d’étude a tenté de le quantifier : le Shorenstein Center on Media, Politics and Public Policy à Harvard, en 2017, avait analysé les informations des 10 principaux médias américains au cours des 100 premiers jours de l’administration de Trump et avait constaté que le président était beaucoup plus surexposé que ses prédécesseurs et que 98% des rapports étaient considérés comme « hostiles » à son égard. Quatre-vingt-dix-huit pour cent. Selon cette étude, la relation entre les médias et Trump s’est fissurée au fil du temps. Mais au moins deux cas montrent qu’il y a eu une haine préventive [ndt: c’est le moins que l’on puisse dire, au moins en France, mes souvenirs sur la période 2015-2016 sont très précis à ce sujet!}. Le Huffington Post avait relégué la campagne de Trump dans la section « Spectacles » « La raison est simple: la campagne de Trump n’est qu’un spectacle. Nous ne mordons pas. Si vous êtes intéressé par ce que The Donald a à dire, vous le trouverez en même temps que nos articles sur les Kardashians et The Bachelor« .

Pour le New York Times, justement, pendant la campagne, Trump était « un être humain répugnant ». Cela a été écrit en noir et blanc par le journaliste Thomas Friedman, qui appelait même à la rescousse la famille du candidat présidentiel d’alors: « Les enfants de Trump devraient avoir honte de leur père ». Et il concluait par l’exhortation suivante: « les gens comme vous, ne vous montrez plus ».

Ces points de vue se répercutent évidemment des médias américains les plus influents vers les médias étrangers, par l’intermédiaire de leurs correspondants. Giovanna Botteri, correspondante de la RAI aux États-Unis au moment des élections de 2016, après la victoire de Trump, commentait, consternée: « Que va-t-il nous arriver, à nous les journalistes ? Nous n’avons jamais vu une presse aussi compacte et unie contre un candidat à ces élections… que va-t-il se passer maintenant que la presse n’a plus de force et de poids dans la société américaine? »

Comprenez-vous? Ce n’était pas une bataille entre un candidat républicain et un démocrate, mais entre « nous, les journalistes » et le candidat républicain. Personne n’a jamais été aussi explicite, mais le dérapage de Botteri reflète une réalité.

Et c’est peut-être là la véritable urgence démocratique.

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