Marcello Veneziani est l’un des intellectuels qui, dès les premiers jours de la pandémie, n’a cessé de s’interroger sur ses implications, plus sur celles morales, spirituelles, sociales que sur celles économiques. Il a évolué petit à petit, comme notre connaissance du virus, sans toutefois dévier de sa ligne critique de la gestion de la crise. Il ne lit pas dans l’avenir, mais il nous fait participer à ses inquiétudes, qui sont réelles. Voici , à confinement conclu, ses dernières réflexions dans l’hebdomadaire « Panorama ».

(Couverture de « Courrier International »)

La peur de vivre et la cage de la santé

Marcello Veneziani
16/6/2020
Panorama, n. 25
Ma traduction

Mais allons-nous ou non revenir à la liberté et à la démocratie d’avant la pandémie? Retrouverons-nous, quand et comment, les places noires de monde et le travail au bureau, les élèves à l’école et les étudiants à l’université, le visage découvert et les relations amicales? Ou bien les changements intervenus au cours des trois derniers mois ont-ils définitivement modifié notre système de vie, de travail, d’études, de loisirs et de citoyenneté, ont-ils imposé les cages sanitaires après les cages salariales ?

Ou, pour être plus mauvaise langue, les restrictions imposées au nom de la pandémie seront-elles étendues et appliquées pour changer pour de bon nos relations humaines et productives et nous rendre plus dociles au pouvoir politique et technocratique, scientifique et sanitaire, économique et financier? L’extension sine die de l’école à distance, outre qu’elle détruit l’essence communautaire de l’école et la relation vitale entre l’enseignant et l’apprenant, veut en réalité former les nouvelles générations au travail à domicile, au smart working, plus pratique pour les entreprises, moins coûteux et moins dispersif, réduisant les employés à des monades, loin de toute agrégation sociale, syndicale, culturelle et conviviale et rendus incapables de faire la distinction entre public et privé, entre temps de loisir et temps de travail, entre domicile et caserne? Et combien de mécanismes de contrôle et de prévention seront utilisés au-delà du temps de la mesure sanitaire, et exerceront-ils une surveillance plus capillaire sur les citoyens, leurs préférences, leur consommation, leur traçabilité lors de leurs déplacements? Et la vaccination obligatoire qui se profile, n’est-elle pas une forme inquiétante de contrôle sur la liberté, la santé et la domination d’une tyrannie pharmaceutique, comme toujours justifiée au nom du bien? Tout cela ne vous rappelle-t-il pas le communisme qui, pour fonder la société parfaite, la meilleure société, pour imposer un avenir meilleur, un homme nouveau et une nouvelle société, a ensuite été contraint d’utiliser tous les moyens de contrôle et de répression, jusqu’à la déportation et au génocide ?

Un essaim de questions qui constituent en fait une mosaïque d’angoisses. On a parfois l’impression que s’instaure un dispositif économico-sanitaire qui, au nom de la peur – vieille source de tous les pouvoirs, surtout despotiques – génère une forme de totalitarisme appliqué à une société moléculaire de masse. L’idée que nous devrons vivre avec le virus, que tôt ou tard il reviendra, ou qu’un autre arrivera, sous des formes nouvelles et donc dangereuses, est associée à la recommandation obsessionnelle de ces mois: ne baissez pas la garde, gardez votre vigilance élevée. En d’autres termes, ne revenez pas à la normalité et à la liberté, faites en sorte que cet état d’urgence, d’isolement et de restriction se poursuive indéfiniment.

A qui tout cela profite-t-il? Qui a tout à gagner dans cette situation? Ceux qui restent au pouvoir, avec l’alibi de l’urgence. Ceux qui vendent des produits pharmaceutiques, des programmes de contrôle, des outils technologiques de surveillance ou d’autres lignes de produits, y compris idéologiques, voire pseudo-médicaux, jusqu’aux livres omniprésents et bien rémunérés des virologues-star. Bref, tous ceux qui spéculent sur cette situation et bénéficient de sa poursuite. Ceux qui détiennent dans ces conditions un vaste pouvoir, jusqu’au pouvoir de vie et de mort sur la population, ont tout intérêt à rendre permanente et chronique la situation dans laquelle la pandémie nous a projetés. Le fait que la Chine, un régime totalitaire mêlant marché, prophylaxie et communisme, soit devenue le modèle de référence rend la situation actuelle encore plus préoccupante.

Je vais donc tenter de résumer les caractéristiques de la nouvelle humanité qui se profile, dans laquelle tout ce qui semblait une tendance individuelle répandue mais privée devient au contraire un système et un modèle social: 1) La solitude globale des citoyens, connectés mais isolés, reliés mais dissociés, séparés par la distance de sécurité. 2) La prison sans murs, c’est-à-dire la liberté déjà limitée à l’intérieur, vidée de son contenu, dans laquelle le rejet est introduit dans le comportement individuel comme une forme de précaution pour soi-même et pour les autres; une liberté niée dans ses fonctions et expressions élémentaires, totalement dissociée de la nature, de la réalité, de l’histoire. 3) la réduction de l’existence à la vie nue à préserver à tout prix, gardée par un biopouvoir qui oblige le citoyen-usager-patient à renoncer à tout ce qui pourrait mettre en danger la vie nue, même si c’est nécessaire à l’intelligence, à l’âme, à la vie sociale et communautaire du citoyen. 4) Le remplacement de la religion et du sacré par la technologie et les soins de santé, avec l’hospitalisation universelle qui en découle.
(…)


A ce stade, ce qu’il faudrait, c’est une nouvelle vague d’athéisme envers le nouveau dieu, la Santé, ou plutôt le système totalitaire, produit par l’intersection des idéologies égalitaires, du capitalisme technologique et du contrôle pharmaceutique; [un athéisme] fondé sur la peur de Dieu (la peur de la contagion), le salut des vies humaines même au prix de la perte de toute raison de vivre.

Bien sûr, rien n’est écrit au départ, la menace peut perdre de sa force et se dégonfler en cours de route, comme cela arrive avec les virus; l’avenir est ouvert à toute solution, au triomphe du Biopouvoir ou de ceux qui s’y opposent. L’homme est mortel mais il ne se met pas en cage.

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