Le 19 décembre 2008, Nicolas Sarkozy se rendait au Vatican accompagné d’une suite pour le moins bigarrée (sinon carnavalesque, avec la présence de l’ « humoriste » Bigard) et y rencontrait Benoît XVI pour la première des deux visites de son quinquennat (la seconde ayant eu lieu deux ans plus tard, en octobre 2010, après le voyage du Saint-Père en France). Dans son livre de mémoires tout juste sorti, « Le temps des tempêtes« , il raconte sa visite sur presque 9 pages. Douze ans ont passé, l’agacement ponctuel s’est estompé – et surtout on a vu tellement pire depuis qu’on peut jeter sur l’événement un regard moins sévère. Même s’il y a quelques entorses à la vérité (il y a des erreurs factuelles) et s’il se donne le beau rôle, le portrait qu’il dresse du Saint-Père est bienveillant et surtout a le mérite d’aller à contre courant de ce qu’on lisait à l’époque. Extrait

La une du Figaro du 21 décembre 2008
Le Saint-Père n’est pas « tout de blanc vêtu », il a revêtu la mozette rouge et l’étole qu’il réservait aux chefs d’état de pays présumés « catholiques ».


Nombreuses photos ici.
Mon site avait consacré de très nombreux articles à la visite (en particulier, au récit de l’entretien en tête-à-tête, qui n’a duré que 25 mn, et non 1 heure!… et Sarkozy a bel et bien « fait attendre le Saint-Père »), regroupés dans deux dossiers:

Le temps des Tempêtes

Editions de L’observatoire, Paris, juillet 2020
pages 311 et suivantes

A la fin du mois de décembre, je fus reçu au Vatican pour la première fois par le Pape Benoît.

[Ici se situe le récit de l’arrivée Place Saint-Pierre et la visite de la Basilique]

(…)  Je restai un long moment fasciné par la Pietà, la merveille de Michel-Ange qu’il a sculptée à l’âge de 22 ans, et dont le voile de marbre semble prêt à s’envo­ler au premier courant d’air. Il est impossible d’imaginer qu’il s’agisse d’une pierre si froide et si dure, tant l’en­semble apparaît aérien, léger, vivant. Cette sculpture est à proprement parler surnaturelle de beauté et de présence. Je serais bien resté plus longtemps, à simple­ment admirer et à m’imprégner de cette atmosphère si particulière. Il fallait cependant se presser, on ne pouvait faire attendre le Saint-Père. Nous passâmes ensuite par la chapelle Sixtine, qui, pour l’occasion, avait été vidée de toute présence, ce qui est un privilège rare et précieux. Puis, nous gagnâmes les appartements privés du pape. Nous franchîmes des salons aux marbres épais et colo­rés. Des galeries remplies de chefs-d’oeuvre de la pein­ture italienne. Puis, nous stationnâmes quelques minutes dans une grande pièce aux boiseries brunes. Je me fis la remarque qu’il n’y avait pas un bruit. De rares personnes marchaient d’un pas feutré. J’étais impatient de cette rencontre. Enfin, je franchis une porte et me retrouvai dans une large pièce assez dépouillée. Le pape m’atten­dait à l’intérieur, debout, tout de blanc vêtu avec des chaussures rouges. Son bureau était constitué d’une large table de bois. Il n’y avait pas de téléphone. Il prit un siège. Il m’en désigna un autre juste en face de lui. Nous étions seuls. Il n’y avait ni interprète ni collaborateur. Il parlait un français admirable et sa culture était large, éclectique, approfondie. Son regard était apaisé et bon. Son sourire tellement bienveillant qu’il illuminait tout son visage. Je pouvais sentir une intelligence vive et malicieuse. C’est une impression étrange que de se trouver seul face au pape, et de disposer d’une heure de conversation privée.

Était-ce la noblesse des lieux ? Était-ce les vingt et un siècles d’histoire de la chrétienté qu’il représentait ? Était-ce son charisme personnel et sa foi profonde que je pouvais percevoir à chaque instant ? Était-ce tout simplement mon intérêt constant pour toutes les ques­tions touchant à la transcendance et à la spiritualité ? Toujours est-il que je n’abordais pas cet entretien comme je l’aurais fait avec un autre chef d’État, et pourtant le pape était aussi l’un des leurs. Je ressentais une émotion particulière. L’impression de vivre un moment qui ne ressemblait à aucun autre. J’avais vraiment conscience d’être un privilégié au moment d’aborder cette audience. Avec une attention qui me toucha en même temps qu’elle me surprit, le Saint-Père débuta l’entretien en me faisant part de son désir de parler de laïcité, et notamment me dit-il : « De ce concept de laïcité positive tel que vous l’avez représenté dans votre livre, La République, les reli­gions, l’espérance. J’ai été intéressé parce que ce que vous expliquez, c’est tellement différent de ce qui est dit dans votre pays à propos de la laïcité. » J’étais sensible bien sûr à cette marque d’intérêt et à cette courtoisie qui l’avait conduit à s’intéresser au livre que j’avais écrit quatre années auparavant. Je lui précisai que j’allais développer cette idée dans mon discours au Latran, la grande église de Rome, que je devais prononcer l’après-midi même. Je n’avais jamais considéré, en effet, les religions comme des adversaires de la République, cette dernière ayant pour mission d’organiser la vie alors que les premières cherchent à lui donner un sens. Il n’y avait pas matière à contradictions, mais bien plutôt à complémentarités. Je poursuivis en soulignant que je n’aimais, ni ne soutenais aucun intégrisme et que cela valait tout autant pour « l’intégrisme laïcard », que l’on avait vu à l’oeuvre, et avec quelle violence, au début du xxe siècle en France. J’ajoutai que bien peu de Français imaginaient aujourd’hui que l’Église catholique souhai­tât prendre le contrôle de l’État ! Le pape rit beaucoup à cette idée et nous échangeâmes alors sur la disparition préoccupante dans le débat public des grandes voix chré­tiennes intellectuelles comme ecclésiastiques.

(…)

L’entretien touchait à sa fin. Le pape m’interrogea une dernière fois : « Pourquoi la question des religions vous intéresse-t-elle tant ? » « Très Saint-Père, une idée qui a résisté à tout durant vingt et un siècles mérite toute notre attention ! Parfois, cela fait du bien de penser que, peut-­être, il y a un sens à la vie. Tout est si mystérieux, infini, fragile, fugace. Espérer sans certitude peut apaiser. » Sa réponse fut profonde. Il pensa un instant et me confia « Toute ma vie, j’ai réfléchi à la question de la raison et de la foi. Comment concilier l’une avec l’autre? Aujourd’hui, je puis vous dire… » Il marqua un moment de silence. « Monsieur le Président, je crois, après y avoir consacré beaucoup de temps, que la foi est un choix raisonnable ! » Venant du pape, avec cette humilité, cette part de liberté assumée, et cette intelligence si sensible, il était impossible d’ajouter un mot. Il n’y avait plus qu’à remercier.

(…)

Avant de partir, il me donna un chapelet de perles qu’il bénit. Encore aujourd’hui, je l’ai conservé dans mon bureau. Après mon départ de l’Élysée, j’ai essayé de revoir Benoît XVI, en lui écrivant après sa renonciation. J’ai beaucoup aimé sa parole comme sa personne. Il m’a répondu très gentiment qu’il ne recevait plus, qu’il voulait passer le peu de temps qui lui restait à vivre à prier et à réfléchir, et que, par ailleurs, il n’y avait qu’un seul pape et qu’il ne pouvait en être autrement, c’était le pape François. Quelques années plus tard, lorsque j’ai été reçu par celui-ci, il m’a indiqué : « Je sais que vous avez écrit à mon prédécesseur, et que vous entreteniez de bons rapports avec lui. Il m’a parlé de vos relations. Je sais qu’elles étaient confiantes. » J’en ai conclu que les deux hommes devaient échanger plus souvent que les spécialistes du Vatican ne le pensaient.

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