De ce voyage dont on célèbre ces jours-ci le 10ème anniversaire, on a surtout voulu retenir le discours prononcé à Westminster Hall – l’un des discours politiques majeurs du Pontificat. Mais en fouillant dans les replis des textes du voyage, Andrea Gagliarducci a trouvé une pépite méconnue, le simple et assez bref discours prononcé devant les élèves des écoles catholiques (voir annexe) dont il nous propose sa lecture personnelle. Qu’on la partage ou pas, il faut lui savoir gré de nous donner le plaisir de la (re)découverte d’un texte éminemment « bénédictin ».

Il y a dix ans, Benoît XVI au Royaume-Uni.

Ce que nous avons oublié

Andrea Gagliarducci
Vatican Reporting
20 septembre 2020
Ma traduction

Ces jours-ci, on a commémoré le dixième anniversaire du voyage de Benoît XVI au Royaume-Uni. Le Pape émérite s’était rendu en Terre d’Albion du 16 au 19 septembre 2010, y avait béatifié John Henry Newman, avait prononcé à Westminster Hall l’un des discours les plus connus du pontificat, avait poursuivi le dialogue œcuménique.
On parlait d’un voyage qui serait un échec, il y avait un fort mouvement d’opinion, surtout de la part d’intellectuels athées britanniques, qui contestaient la visite du Pape, tandis que d’autres pointaient du doigt le fléau des abus – là aussi, Benoît XVI devait rencontrer des victimes, priant avec elles, en privé, sans clameur.

Il était donc naturel pour moi de reprendre le voyage et de revoir les discours, avec un sentiment de nostalgie [ndt: Gagliarducci parle de « sentiment d’amarcord », En dialecte romagnol, « amarcord » signifie « je me souviens » – io mi ricordo). et en pensant qu’au fond, rien ne me surprendrait. Je me trompais. Il y a un texte, du voyage de Benoît XVI au Royaume-Uni, qui est resté caché dans les replis de l’histoire, et qui est pourtant fondamental pour comprendre le pontificat et – je dirais – le sens de la mission de l’Église. C’est le discours que Benoît XVI prononça devant les élèves durant la Célébration de l’éducation catholique le 17 septembre 2010

C’est un texte purement bénédictin et en même temps, qui semble tellement éloigné des textes de Benoît XVI que nous sommes habitués à lire et relire.

C’est un texte qui commence par une provocation d’un sens très fort:

J’espère que parmi ceux d’entre vous qui m’écoutent aujourd’hui, se trouvent des futurs saints du vingt-et-unième siècle. Ce que Dieu veut plus que tout pour chacun de vous c’est que vous deveniez des saints. Il vous aime beaucoup plus que vous ne pourrez jamais l’imaginer, et il veut ce qu’il y a de meilleur pour vous. Et de loin, la meilleure chose pour vous c’est de grandir en sainteté

Benoît XVI dit encore aux jeunes qu’il se peut qu’ils n’y aient pas encore pensé, et qu’ils croient probablement qu' »être des saints n’est pas pour eux ». Et il explique :

Quand je vous invite à devenir des saints, je vous demande de ne pas vous contenter de seconds choix. Je vous demande de ne pas poursuivre un objectif limité, en ignorant tous les autres.

Car oui, explique-t-il, nous vivons dans un monde où le modèle est celui des célébrités, nous voulons la gloire et la richesse, et nous pouvons aussi être « très doués dans certaines activités et professions », mais cela seul « ne peut jamais nous satisfaire, jusqu’à ce que nous visions quelque chose de plus grand ».

Le pape propose donc une solution « très simple »: « Le vrai bonheur doit être recherché en Dieu ». Et il ajoute:

Nous devons avoir le courage de placer nos espoirs les plus profonds uniquement en Dieu : pas dans l’argent, dans une carrière, dans la réussite mondaine ou dans nos relations avec les autres, mais en Dieu. Lui seul peut satisfaire le besoin le plus profond de notre cœur.

Et quand on se lie d’amitié avec Dieu, quand on apprend à mieux le connaître – explique Benoît XVI – on veut qu' »un peu de sa bonté infinie se reflète dans sa propre vie », on commence

« à voir la cupidité et l’égoïsme, et tous les autres péchés, pour ce qu’ils sont vraiment, des tendances destructrices et dangereuses qui causent de profondes souffrances et de grands dommages, et vous voulez éviter de tomber vous-mêmes dans ce piège. Vous commencez à éprouver de la compassion pour ceux qui sont en difficulté et vous voulez faire quelque chose pour les aider. Vous voulez venir en aide aux pauvres et aux affamés, réconforter ceux qui souffrent, être bon et généreux. Lorsque vous commencez à vous préoccuper de ces choses, vous êtes déjà pleinement sur le chemin de la sainteté ».

C’est l’invitation à regarder vers un horizon plus large, celui qui, au fond, se trouve dans les [« bonnes »] écoles catholiques. Mais c’est aussi une description de tout ce qui ne doit pas être fait. Benoît XVI dit, au fond, que tout le bien qui est fait n’est jamais suffisant si vous ne gardez pas les yeux fixés sur Dieu. Que la mission de l’Église ne consiste pas seulement à faire le bien, mais à viser la sainteté.

Dans un discours simple et direct, on peut trouver beaucoup des problèmes qui ont été afffrontés avec beaucoup plus de mots: la crise des vocations missionnaires, qui naît précisément du fait que l’on se concentre beaucoup sur les questions sociales, en laissant un peu de côté l’annonce de l’Évangile; la nécessité de la sainteté, qui contient aussi l’idée des « saints d’à côté » très développée aujourd’hui par le Pape François; l’attention pour le pauvre, l’orphelin et la veuve, qui n’est pas une fin en soi, mais naît précisément du fait de se conformer à l’amour de Dieu.

Benoît XVI n’utilise pas de termes négatifs dans son discours, mais des termes positifs. Il implique et cherche à impliquer. Il fournit un grand idéal. Il sait que souligner que ne pas s’occuper des migrants est un péché n’a pas le même effet que fournir la raison de cet amour et de cette sollicitude. Son discours n’est pas un appel aux armes. C’est un appel à remettre le Christ au centre.

Dans ce discours, il y a, au fond, le centre des problèmes de l’Église aujourd’hui. Perdue dans des débats pseudo-intellectuels ou politiques sur la participation des femmes au ministère sacerdotal, sur la sexualité ou l’homosexualité, l’Eglise a perdu le centre de son langage qui est celui de la sainteté. Tout vient de là. Si l’on perd l’objectif dernier, on se retrouve face à de nombreux avant-derniers objectifs qui, pourtant, ne donnent pas les réponses. C’est peut-être la raison pour laquelle l’Église semble incapable de parler aux gens de notre temps.

Mais ce discours m’a aussi fait penser à notre profession de journalistes qui écrivent sur le Vatican. Comme tout le monde, nous sommes à la recherche de nouvelles et de titres. Mais savons-nous vraiment comment nous concentrer sur ces questions ? Sommes-nous vraiment capables de mettre en évidence ce qui compte vraiment ?

Ce discours de Benoît XVI est resté presque oublié dans les replis de l’histoire, couvert par un ensemble certainement très intéressant et captivant. Pourtant, ce discours faisait partie de cet ensemble, et il en était une partie fondamentale.

Je crois qu’aujourd’hui, notre tâche de journalistes est d’abord d’aller le relire, même des années plus tard, comme nous le faisons avec un texte de notre plume que nous ne reconnaissons presque plus. Soudain, nous en voyons les erreurs, ou la puissance, ou les deux, alors qu’avant nous étions trop impliqués dans les émotions.

Nous devons probablement réapprendre à exercer ce sain détachement et cette humilité épistémologique. Nous devons parler aux gens non pas avec l’idée de débattre, mais avec l’idée d’écouter. Je suis sûr que les étudiants se souviennent de ce discours d’il y a dix ans, et que certains l’auront mis en pratique. Mais il n’a pas trouvé d’oreilles pour l’écouter. Cela arrive, et cela arrive à beaucoup. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons le tenir pour acquis.

Plutôt, il nous faut élargir le regard. C’est ce que nous a dit Benoît XVI. Élargir notre regard pour rechercher les choses les plus importantes. Cela ne vaut pas seulement pour la sainteté. Cela s’applique également au journalisme.


Annexe

DISCOURS DU SAINT-PÈRE AUX ÉLÈVES

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Chers Frères et Sœurs en Christ,
Chers jeunes amis,

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Je désire tout d’abord vous dire combien je suis heureux d’être ici avec vous aujourd’hui. Je vous salue très chaleureusement, vous qui êtes venus ici, à l’Université Sainte-Marie, des écoles catholiques et collèges de tout le Royaume-Uni, et tous ceux qui regardent à la télévision ou par internet. Je remercie Monseigneur McMahon de son chaleureux accueil. Je remercie les membres de la chorale et de l’ensemble orchestral pour l’agréable musique qui a introduit notre célébration, et je remercie Mademoiselle Bellot et Elaine pour ses aimables paroles au nom de tous les jeunes présents. Dans le contexte préparatoire des Jeux Olympiques de Londres, cela a été un plaisir d’inaugurer cette Sports Foundation, nommé ainsi en l’honneur du pape Jean-Paul II, et je prie afin que ceux qui viendront ici, rendent gloire à Dieu par leurs activités sportives, tout en procurant satisfaction à eux-mêmes et aux autres.

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Il n’arrive pas souvent qu’un Pape, ou même une autre personne, ait la possibilité de parler à des étudiants de toutes les écoles catholiques d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Écosse à la fois. Et puisque j’ai cette chance en ce moment, j’aimerais beaucoup vous dire une chose. J’espère que parmi ceux d’entre vous qui m’écoutent aujourd’hui, se trouvent des futurs saints du vingt-et-unième siècle. Ce que Dieu veut plus que tout pour chacun de vous c’est que vous deveniez des saints. Il vous aime beaucoup plus que vous ne pourrez jamais l’imaginer, et il veut ce qu’il y a de meilleur pour vous. Et de loin, la meilleure chose pour vous c’est de grandir en sainteté.

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Il se peut que certains d’entre vous n’aient jamais pensé à cela auparavant. Il se peut que certains d’entre vous pensent qu’être un saint ce n’est pas pour eux. Permettez-moi vous expliquer ce que je veux dire. Quand nous sommes jeunes, nous pensons facilement aux personnes que nous respectons, aux personnes que nous admirons, aux personnes à qui nous voulons ressembler. Ce peut être quelqu’un que nous rencontrons dans notre vie de tous les jours et que nous tenons en grande estime. Ou cela pourrait être quelqu’un de connu. Nous vivons dans une culture de la célébrité, et les jeunes sont souvent encouragés à se modeler sur des personnalités du monde du sport ou du spectacle. La question que je vous pose est celle-ci : quelles sont les qualités que vous percevez dans d’autres personnes et que vous souhaiteriez beaucoup avoir vous-mêmes? Quel type de personne aimeriez-vous être réellement?

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Quand je vous invite à devenir des saints, je vous demande de ne pas vous contenter de la seconde place. Je vous demande de ne pas poursuivre un but limité en ignorant tous les autres. L’argent permet d’être généreux et de faire du bien dans le monde, mais à lui seul, il ne suffit pas à nous rendre heureux. La haute qualification dans l’activité professionnelle est une bonne chose, mais elle ne nous satisfait pas si nous n’avons pas en vue quelque chose de bien plus grand. Elle peut nous rendre célèbre, mais elle ne nous rendra pas heureux. Le bonheur est quelque chose que nous voulons tous, mais un des grands drames de ce monde est que tant de personnes ne le trouvent jamais, parce qu’elles le cherchent là où il n’est pas. La clef du bonheur est très simple – le vrai bonheur se trouve en Dieu. Nous devons avoir le courage de mettre nos espérances les plus profondes en Dieu seul, non pas dans l’argent, dans la carrière, dans les succès de ce monde, ou dans nos relations avec d’autres personnes, mais en Dieu. Lui seul peut satisfaire les exigences profondes de nos cœurs.

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Non seulement Dieu nous aime avec une profondeur et une intensité que nous pouvons à peine essayer de commencer à comprendre, mais il nous invite à répondre à cet amour. Vous savez tous ce que c’est que de rencontrer quelqu’un d’intéressant et d’attirant, et de vouloir être son ami. Vous espérez toujours que cette personne va vous trouver intéressant et attirant, et qu’elle voudra devenir votre ami. Dieu veut votre amitié. Et dès que vous devenez l’ami de Dieu, tout commence à changer dans votre vie. Quand vous commencez à mieux le connaître, vous vous apercevez que vous voulez que votre vie reflète un peu de sa bonté infinie. Vous êtes attirés par la pratique des vertus. Vous commencez à considérer l’avidité et l’égoïsme et tous les autres péchés tels qu’ils sont réellement, des tendances destructrices et dangereuses qui provoquent de profondes souffrances et causent un grand préjudice, et vous voulez éviter de tomber vous-mêmes dans ce piège. Vous commencez à éprouver de la compassion pour les personnes en difficultés et vous désirez vivement faire quelque chose pour elles. Vous voulez aider les indigents et les affamés, vous voulez réconforter les personnes tristes, vous voulez être bons et généreux. Et si tout cela est important pour vous, alors vous êtes bien sur le chemin qui mène à la sainteté.

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Dans vos écoles catholiques, il y a toujours un cadre plus grand qui dépasse les matières que vous étudiez, les différentes compétences que vous apprenez. Tout le travail que vous faites se situe dans le contexte de la croissance de cette amitié avec Dieu et de tout ce qui découle de cette amitié. Aussi vous n’étudiez pas seulement pour être de bons étudiants, mais de bons citoyens, de bonnes personnes. A mesure que vous progressez au sein de l’école, vous avez à faire des choix concernant les matières que vous étudiez, vous commencez à vous spécialiser en ayant une idée de ce que vous allez faire plus tard dans votre vie. Tout cela est juste et bien. Mais rappelez-vous toujours que chaque matière que vous étudiez fait partie d’un plus grand dessein. Ne vous enfermez jamais dans des limites étroites. Le monde a besoin de bons chercheurs, mais une perspective scientifique devient dangereusement étroite si elle ignore la dimension religieuse et éthique de la vie, tout comme la religion devient étriquée si elle rejette la légitime contribution de la science pour notre compréhension du monde. Nous avons besoin de bons historiens, philosophes, économistes, mais si la compréhension de la vie humaine à travers leur domaine particulier est trop étroitement polarisé, ils peuvent nous amener à nous égarer gravement.

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Une bonne école pourvoit à une éducation complète de la personne tout entière. Et une bonne école catholique, en plus de cela, devrait aider tous ses élèves à devenir des saints. Je sais qu’il y a de nombreux étudiants non-catholiques dans les écoles catholiques en Grande-Bretagne, et je souhaite les inclure tous dans mes paroles aujourd’hui. Je prie pour que vous aussi vous vous sentiez encouragés à pratiquer les vertus et à grandir dans la connaissance et l’amitié avec Dieu aux côtés de vos camarades de classe catholiques. Vous leur rappelez par votre présence le plus grand dessein qui existe au-delà de l’école, et, de fait, il est absolument juste que le respect et l’amitié à l’égard des membres d’autres traditions religieuses doivent être parmi les vertus apprises à l’école catholique. J’espère également que vous voudrez partager avec tous ceux que vous rencontrez les valeurs et les intuitions que vous avez accueillies à travers l’éducation chrétienne que vous avez reçue.

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Chers amis, je vous remercie de votre attention, je vous promets de prier pour vous, et je vous demande de prier pour moi. J’espère voir beaucoup d’entre vous au mois d’août prochain, à la Journée Mondiale de la Jeunesse à Madrid. D’ici là, que Dieu vous bénisse tous !

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http://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2010/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20100917_mondo-educ.html
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