Sur les murs du Borgo Pio, une rue piétonne tout près du Vatican, on a vu apparaître ces jours-ci un dessin d’un artiste de rue (habitué du genre: il était déjà, entre autre l’auteur d’une représentation de François en superman) figurant une icône de saint Etienne invoquant le « vaccin sacré ». Ce qui inspire à un collaborateur de la Bussola une réflexion inédite sur notre foi et sur le rôle de l’Eglise en temps de covid.

L’icône de saint Étienne avec le vaccin, et la foi horizontale

Miguel Cuartero
La NBQ
10 octobre
Ma traduction

Le saint Étienne atypique de Maupall, qui invoque un « vaccin sacré » symbolise une chrétienté qui, tout en accomplissant efficacement son culte liturgique, a cessé de voir « le ciel ouvert » et place son espoir dans l’homme, la médecine et la science. L’œuvre est irrévérencieuse mais décrit bien la perte de la foi dans l’Église à l’époque du Covid-19.

Ces derniers jours, à Borgo Pio, à quelques pas du Vatican, on a vu apparaître une affiche représentant une icône de saint Étienne assez particulière. Le saint, représenté selon les canons classiques de l’iconographie byzantine, porte un encensoir dans sa main droite et une seringue dans sa main gauche, dans l’acte de pulvériser un médicament. À l’arrière-plan, une inscription latine en grosses lettres invoque un « Vaccin sacré ».

L’affiche vient s’ajouter au vaste catalogue d’art de rue signé par l’artiste romain Mauro Pallotta (alias Maupall) qui, ces dernières années, a choisi à plusieurs reprises la rue piétonne animée du quartier du Borgo pour exposer ses créations à thème religieux. Parmi les œuvres, dûment retirées en quelques heures, on se souvient du Pape François version « Superman » (ou « Super Pope »), du Pape François lançant une bouée de sauvetage aux migrants et du Pape François jouant au morpion avec un garde suisse. On ignore certes les intentions didactiques ou, mieux, pour utiliser un terme très à la mode, « pastorales » de l’artiste qui s’est improvisé iconographe, mais sans doute l’initiative suscite-t-elle quelques réflexions.

La tradition chrétienne nous invite à nous tourner vers Dieu au milieu des difficultés et des croix que la vie nous présente. Les souffrances personnelles, familiales ou collectives nous montrent notre fragilité et nous offrent la possibilité de lever les yeux et d’invoquer l’aide et le soutien divins. La pandémie de Covid-19 qui depuis la Chine s’est propagée au monde entier a plongé tout le monde dans une situation sans précédent d’inquiétude et de découragement généralisé. Face à cette situation douloureuse et dans un paysage aussi incertain, il est juste et naturel que l’Église rappelle qu’il n’y a pas de salut en dehors de Dieu. D’autre part, il est clair pour beaucoup que placer son espoir dans la science, après cette expérience, ne semble pas être la meilleure solution.

L’apparition soudaine du coronavirus a mis en évidence – outre l’inadéquation de la classe politique – la fragilité de la communauté scientifique, avec des personnalités très sûres d’elles à la télévision et à la radio (avec des contrats vertigineux) mais en pleine détresse aux urgences. Avec des décisions prises puis désavouées, des confusions et des contradictions (par exemple sur l’utilisation des masques), des traitements présumés trouvés par les uns et entravés par les autres (du plasma au spray Endovir stop en passant par ceux promus par l’évêque du Cameroun mais ignorés par tous car l’Afrique est aimée mais seulement dans certains cas), des vaccins annoncés, testés, des vaccins trouvés et rejetés (celui de Poutine était donc une fake new comme ils l’ont dit? ) … Les travailleurs de santé, qui pendant la phase la plus aiguë de l’urgence ont tout donné et ont gagné la juste estime de leurs concitoyens (médecins, infirmières, anesthésistes, radiologues, techniciens sur site et à domicile, etc. …) ont montré le meilleur côté de l’engagement et de la solidarité, mais dans l’ensemble la science ne semble pas avoir fait bonne impression dans cette terrible année qui semble s’achever sans que le virus mortel soit contenu.

Dans un monde où l’horizon existentiel est désormais purement horizontal, il est normal que l’espoir repose en ultime instance dans l’homme et sa science. Il va donc sans dire que dans une société sans Dieu, l’attente du vaccin comme dernière chance d’arrêter définitivement la contagion et de stopper la propagation du virus chinois prend les contours d’une attente messianique. Ce n’est pas un hasard si les virologues se sont présentés au monde comme les « prêtres d’une nouvelle religion », dotés d’une autorité extraordinaire pour décréter depuis leur chaire l’interruption de tout autre culte religieux au nom d’une science qui s’offre au monde comme la dernière ancre du salut. Dans cette perspective, le vaccin devient naturellement le nouveau médicament et l’aliment de vie souhaité (sinon éternel, du moins libre du virus chinois) et le gel désinfectant peut facilement remplacer l’eau bénite avec laquelle se marquer pour conjurer tout mal.

Mais si le chrétien se distingue (ou devrait se distinguer) du monde qui l’entoure, c’est dans l’intime certitude que sa vie ne se termine pas au cimetière mais que la promesse de Jésus-Christ est certaine et véridique; sa promesse est la vie éternelle (1 Jn 1, 25) qu’il a obtenue pour nous par sa mort et sa résurrection. Le chrétien sait qu’il est dans le monde comme un pèlerin de passage et que le but auquel il aspire est le ciel où il peut jouir de la vision béatifique promise par le Christ à ses disciples.

De là découle une échelle de valeurs qui place le salut de l’âme au-dessus du salut du corps, avec la conscience que si le corps est destiné à mourir, nous sommes destinés à la vie éternelle. Ils en savent quelque chose, et ils en ont témoigné avec du sang, cette foule de martyrs qui ont préféré sauver leur âme plutôt que de se maintenir en vie quelques années de plus sur cette terre, des martyrs de l’Église primitive à nos contemporains en Chine ou au Moyen-Orient.

Parmi ces jeunes, une place particulière est occupée par saint Étienne, le premier martyr chrétien, que l’Église commémore chaque 26 décembre, immédiatement après la naissance du Sauveur [Benoît XVI lui a consacré la catéchèse du 10 janvier 2007, ndt]. Homme de grande foi, Etienne fut choisi pour servir les repas. Il ne manqua donc pas d’honorer les faibles, les pauvres, les veuves et les affamés en fournissant et en distribuant du pain pour leur soutien physique. Mais face à la persécution, il ne dédaigna pas de livrer son corps pour le salut de l’âme et la fidélité au Christ ; avant de mourir, après avoir annoncé le kérygme à ses persécuteurs, il dit avoir contemplé « les cieux ouverts et le Fils de l’homme, qui se tient à la droite de Dieu ». A ces mots, il fut emmené et traîné hors de la ville où il fut lapidé à mort.

Le saint Etienne atypique de Maupall qui invoque au contraire un « vaccin sacré » (sans abandonner l’encensoir en l’honneur de Dieu) laisse donc perplexe car il symbolise un christianisme qui, tout en accomplissant son culte liturgique avec efficacité, a cessé de voir « le ciel ouvert » et met son espoir dans l’homme, la médecine et la science.

Dans la crise pandémique qui a bouleversé le monde cette année, l’Eglise a souvent hésité à proposer une lecture des événements à partir de la foi (voir, par exemple, la docilité avec laquelle a été acceptée l’interruption du culte et la soumission de la question aux technocrates au pouvoir ou les « réflexions intempestives » de Mgr Paglia dans le document Humana Communitas). A part de rares et marginales références à la foi, ce qui a émergé est une lecture horizontale et sociologique de la pandémie offrant des réflexions pour un changement de « style de vie » basé sur des attitudes plus solidaires, synodales et écologiques et une réorganisation sociale et économique plus attentive et partagée (par exemple sur la distribution des vaccins). Au contraire, ceux qui proposaient des lectures théologiques (voyant dans le virus un appel à la conversion et un avertissement divin) ont été promptement réprimandés et rejetés par des commentateurs autorisés. De l’Église, beaucoup attendaient autre chose, une voix prophétique, la nouveauté d’une annonce d’espoir, la foi en Celui qui nous sauve vraiment. Parce que pour nous rappeler que nous devons en sortir meilleurs, plus unis, nous aimer les uns les autres parce que nous sommes tous frères, il aurait suffi de relire Nathan le Sage et ses trois anneaux de discorde (ou concorde). Ce n’est pas un hasard si l’Église de l’époque a rejeté la leçon éclairée de Lessing, une leçon qui nie toute transcendance, aplatit les religions et relativise la réalité divine pour construire un monde de fraternité universelle sans Dieu. Dans ce cas, avec raison, il n’y aurait plus d’autre espoir que le gel, le masque et le « vaccin sacré ».

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