Dans l’indifférence quasi totale de l’opinion publique qui a bien d’autres chats à fouetter en ce moment, le docu-film présenté cette semaine à Rome a suscité une vague d’enthousiasme chez les « catho-progressistes » des médias et un désarroi teinté de lassitude dans la frange catholique « traditionaliste ». Mais au-delà des réactions et non-réactions des uns et des autres, il convient d’examiner dans une perspective dépassionnée et purement technique, la forme particulière – un documentaire – qu’a pris la dernière provocation du Pape. Loin d’avoir été piégé ou « déformé » par le réalisateur/militant des « droits » LGBT, François en personne – n’en déplaise aux « pompiers » spécialisés dans la lutte contre les incendies papaux – l’a reçu chaleureusement au Vatican pour lui remettre un prix et lui a même souhaité son anniversaire autour d’un gâteau. On est plus proche de la complicité que du rejet, ou simplement de l’agacement pour avoir été « instrumentalisé » (qui peut y croire?) à son insu.
Le documentaire « Francesco »: peut-on commencer à tirer des conclusions ?
Messa in latino
25 octobre 2020
Ma traduction
L’histoire pénible – c’est peu dire – du documentaire « Francesco », qui monopolise l’attention de la presse et des blogs catholiques, pas seulement dans la sphère traditionnelle, a désormais pris des connotations suffisamment claires et non ambiguës pour tirer, avec toute la prudence sur l’affaire, mais aussi avec toute la ponctualité nécessaire, une première série de conclusions. L’avenir nous dira les autres conclusions que nous pouvons ajouter.
Avant tout, il faut définir de quoi il s’agit.
Un réalisateur – Evgeny Afineevsky, qui a une histoire professionnelle et un parcours culturel précis, et qui est un défenseur du monde LGBT – réalise un documentaire sur le Pape. Ce documentaire est ensuite dûment diffusé, au point de provoquer le tsunami dans lequel nous sommes toujours engagés.
Attention : il s’agit d’un documentaire, et non, comme on l’a dit trop vite, d’une interview. Par conséquent, compte tenu de la nature de l’œuvre, l’auteur rassemble, selon son programme communicatif, divers matériaux, dont certains extraits d’une interview datant de 2019 ; des matériaux assemblés, également avec des coupes et des collages ciblés, pour transmettre l’idée que le réalisateur se fait du Pape. Il s’agit d’une opération de communication légitime, et la plupart des documentaires consacrés à une personnalité importante sont conçus de cette manière : on peut et on doit ensuite discuter de l’exactitude du jugement rendu, de l’utilisation plus ou moins convaincante ou appropriée de la documentation assemblée ; on peut partager ou contester les conclusions tirées, on peut faire valoir qu’elles ne représentent pas adéquatement la réalité, voire la falsifier. Mais, étant donné que le documentaire sert précisément à transmettre une certaine vision du personnage, dans notre cas du Pape, le point vraiment crucial n’est pas qu’il ait été construit de manière instrumentale pour transmettre cette certaine vision, parce que la chose est, dans une large mesure, physiologique, perceptible et, tout compte fait, tolérable: le documentaire n’est pas une étude scientifique, mais une œuvre de création et, par conséquent, ne sert pas à décrire de manière aseptique une réalité historique mais, plutôt, à en donner une interprétation. Le point crucial est la position que chacun – à partir de la personne directement concernée – assume par rapport à l’interprétation du personnage et à la lecture de sa pensée proposée par l’auteur.
À la lumière de tout cela, essayons de donner leur juste poids à toutes les circonstances et à tous les éléments utiles pour comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe.
Premier point : nous devons supposer, jusqu’à preuve du contraire, que le réalisateur du documentaire est entré légitimement en possession du matériel assemblé. Il a donc légitimement obtenu l’extrait dans lequel le Pape parle des unions civiles, bien que ce passage ait été coupé de la version « officielle » de l’interview dont il fait partie. Un inédit que le réalisateur a sciemment utilisé dans un but très précis.
Deuxième point : le but précis est de transmettre l’idée d’un Pape gay-friendly, en faveur des unions civiles, même entre homosexuels.
Troisième point : il est désormais incontestable que le pape et son entourage ont vu le documentaire; il est aussi plus qu’évident qu’ils ont eu connaissance à la fois du contenu du message transmis (le pape est gay-friendly et favorable aux unions civiles), et de la tempête qui s’en est suivie.
Quatrième point : après tout cela, le documentaire a été récompensé au Vatican ; de plus, toujours au Vatican, le pape a fêté personnellement l’anniversaire du réalisateur.
Cinquième point (en réalité, il nous semble sans importance, à la lumière des précédents) : il n’y a pas eu de démenti, au contraire, la teneur générale du message a été confirmée par plusieurs personnalités connues pour être proches du Pape.
Voici donc le bilan que nous pouvons tirer à ce stade: le documentaire – même s’il avait assemblé le matériel utilisé dans un but d’instrumentalisation – exprime de toute façon correctement la pensée du Pape qui, par son comportement, l’a ratifié. Il n’est donc pas crédible qu’il s’agisse d’une falsification substantielle, ou que le pape ne pense pas comme il apparaît dans le film qui lui est consacré.
Il est évident que certaines objections sont concevables.
On pourrait dire que le Pape ne voulait rien ratifier, qu’il a seulement été aimable, compréhensif et accueillant avec le réalisateur, etc. Admettons que c’est vrai. Nous aurions un Pape au minimum totalement inconscient des conséquences de ses actes. Peut-être devrions-nous le souhaiter, voire le souhaiter, surtout pour le salut de nos âmes, mais la situation de l’Église serait malgré tout humainement désastreuse.
On pourrait aussi dire que oui, c’est vrai, le Pape a ratifié, mais sa pensée est tout à fait orthodoxe, acceptable, correcte, partageable ; ou que, malgré tout, étant le Pape, il peut dire et faire librement ce qu’il veut, et les fidèles doivent s’adapter. Laissons à d’autres, compétents en la matière, le soin d’établir si cette objection est théologiquement fiable ; mais si elle ne l’est pas, la gravité de la situation serait encore alourdie.
Enfin, on pourrait affirmer que la doctrine est restée intacte, et que le documentaire lui-même le démontre. À notre avis, le problème de la déclaration de 2003 de la Congrégation pour la doctrine de la foi resterait entier; de toute façon, sur ce point, il n’y a pas que la théologie qui entre en jeu, mais aussi la logique, de sorte que nous pouvons tous nous risquer à en parler. Par exemple : dire que la doctrine ne change pas, et être en faveur des unions civiles, c’est comme dire que nous sommes supporter de l’Inter, mais soutenons la Juventus… Plus sérieusement, cela signifie qu’il faut considérer la doctrine et les attitudes concrètes dans le domaine social, culturel et politique comme des variables indépendantes, comme des univers parallèles qui ne se rencontrent jamais. A y regarder de plus près, c’est le postulat fondateur d’Amoris Laetitia, et le fait de le noter confirme que le documentaire représente effectivement la pensée actuelle du Pape.
Face à tout cela, il nous semble que les catholiques de bonne volonté ne peuvent plus adopter la stratégie de l’autruche : s’imposer pour ne pas voir, ne pas savoir, ne pas comprendre. Dribbler la réalité ne fonctionne plus. Mais, grâce au Ciel, la réalité inclut également le fait que, selon des avis autorisés, nous ne sommes pas confrontés à un magistère, mais à des opinions privées, non contraignantes et, en effet, douteuses. Malgré tous les documentaires du monde, la doctrine ne peut pas changer et ne change absolument pas, tout comme les conséquences ne changent pas, même sur le plan sociopolitique et juridique.
Mots Clés : "Francesco" le docu