On se souvient que le Rapport McCarrick est très soucieux (et c’est même son objectif principal) de dédouaner le Pape actuel de toute responsabilité dans le scandale, et quel meilleur moyen pour cela que de se décharger de la faute sur le dos de ses prédécesseurs, en premier lieu Jean-Paul II? (et indirectement, bien sûr, Benoît XVI q’une profonde amitié liait au Pontife polonnais). Mgr Nicola Bux, qui l’a bien connu, et de près, se livre ici à un plaidoyer passionné (si tant est que le saint Pape en ait besoin)

Mais en préambule, voici un très beau commentaire issu du blog catholique italien Campari & De Maistre….

Un monument à démolir : la sainteté

Marco Sambruna
Campari & De Maistre
20 novembre 2020
Ma traduction

Nous y voilà : après avoir désacralisé et profané la religion, désormais réduite à un sentimentalisme banal, le temps est venu d’un saut de qualité: profaner la sainteté, en particulier de celui qui a défendu la vie, les racines chrétiennes de l’Europe, la tradition au sens large.

Avec la religion déclassée au rang de panthéisme naturaliste et l’Eglise désormais disqualifiée comme narcotique de masse et donc comme instrument de pouvoir, restait à désacraliser la sainteté des géants de la foi.

Comme toujours, c’est un grand journal laïciste, ici le New York Times qui s’est vu confier le rôle d’ouvreur de piste dans cette tâche, laissant planer l’hypothèse que Jean-Paul II a été canonisé et sanctifié avec trop de précipitation, d’ailleurs par François, en raison de ses prétendues tentatives de dissimuler – ou en tout cas de ne pas avoir voulu trop enquêter – les hypothétiques abus sexuels de l’évêque américain McCarrick. Une tâche dont évidemment Bergoglio se serait ensuite acquitté avec un zèle infatigable, assumant ainsi le rôle de moralisateur héroïque là où Jean-Paul II se serait tu : déjà cette sorte de parallèle qui monumentalise l’un tout en redimensionnant l’autre laisse songeur.

Le nouveau slogan laïciste n’admet aucun état d’âme: tous les monuments qui bloquent le mécanisme de construction de l’homme nouveau doivent être démolis. Par conséquent, même si une telle requête n’a pas encore été clairement formulée, il n’est pas nécessaire d’être prophète pour imaginer que, dans un avenir proche, quelqu’un proposera de « décanoniser » et de « désanctifier » Jean-Paul II.

Qu’il soit bien clair qu’un grand pape n’est pas nécessairement un saint: dans cette perspective, on peut grossièrement identifier plusieurs catégories de papes : des papes qui peuvent être irréprochables sur le plan moral, mais diffuseurs de doctrines erronées, peu orthodoxes et même hérétiques ; des papes ayant quelque scandale à cacher, mais diffuseurs d’une doctrine absolument orthodoxe.

Certes, la tâche d’un pape n’est pas nécessairement de devenir un saint, mais de confirmer, réaffirmer et renforcer les croyants dans la foi : c’est ce qu’ont fait des papes doctrinalement orthodoxes même avec des faiblesses personnelles (comme certains papes de la Renaissance) tandis que d’autres papes moralement irréprochables et vivant en ascètes ont répandu des erreurs qui, au lieu de confirmer les chrétiens dans la foi, les ont déstabilisés, désorientés et dans certains cas les ont dirigés vers l’incrédulité.

Ensuite, il y a une autre catégorie de papes, les plus rares et donc les plus précieux : ceux qui sont moralement irréprochables et doctrinalement orthodoxes comme Jean-Paul II.

On comprend alors comment sa figure gigantesque agace les désacraliseurs professionnels soutenus par une partie du clergé progressiste : pour eux, il est tout simplement inadmissible qu’un pape orthodoxe, d’orientation traditionnelle et fortement lié au surnaturel puisse être un saint et devenir ainsi un modèle de référence pour les chrétiens.

Lesquels doivent certes avoir des modèles dont s’inspirer, mais seulement s’ils sont des personnalités totalement intègres au niveau du comportement personnel afin de nourrir le mythe du moralisateur zélé soucieux d’assainir l’Eglise et en même temps de décliner la « sainteté » selon des catégories laïques : il faut donc des testimonial de la pauvreté, de la mondialisation et d’un certain panthéisme écologique.

En d’autres termes, la « sainteté » doit être racontée dans les médias selon les modèles laïcistes en vigueur et, comme telle, susciter l’admiration du public. D’autre part, il est nécessaire que le modèle opposé, surtout s’il a été farouchement pro-vie, défenseur de la famille et de la civilisation chrétienne, soit obscurci en le recouvrant d’un voile de doute, d’autant plus efficace qu’il s’agit de questions concernant de prétendues omissions sur des questions de morale.
Donc, démolir et sur ces décombres, reconstruire: de là e l’idée de désacraliser aux yeux du fidèle Jean-Paul II comme un exemple de sainteté traditionnelle et donc subversive et concurrente du modèle de « sainteté » médiatiquement promue et iconisée.

Bref, la sainteté n’est bonne que si elle est institutionnalisée et stérilisée, si elle a des propriétés sédatives et si elle ne suscite pas trop d’anxiété. Si en plus elle est instagrammable, social friendly, et conforme à la narration des médias, c’est encore mieux.

Cependant, démolir la sainteté de Jean-Paul II n’est qu’un moyen pour atteindre deux fins : la première consiste à entraîner dans le ridicule et le mépris toutes les positions qu’il a défendues sans relâche et qui font encore obstacle à la sécularisation des croyants: thèmes pro-vie, morale sexuelle, racines chrétiennes de l’Europe, etc. doivent être éradiquées avec sa sainteté: il s’agit donc de reconstruire un passé plus compatible avec la modernité.
Le deuxième objectif est de faire accepter l’idée que ce que l’Église établit, y compris la canonisation d’un saint, est révisable et peut être corrigé: l’Église peut donc se tromper, elle n’est plus infaillible même sur les dogmes de la foi et ses décisions sont soustraites à la garde immuable de l’éternel pour être reléguées au débat profane où chaque question est négociable en changeant de valeur avec les contingences temporelles.

Et avec tout cela, nous assistons au triomphe d’un certain « situationnisme » jésuite.

Le témoignage de Mgr Bux:

Jean-Paul II et cette sainteté que les « cinquièmes colonnes » de l’Église ne peuvent comprendre

Don Nicola Bux
L’Occidentale
22 novembre 2020
Ma traduction

Il est nécessaire que des scandales se produisent, a dit Jésus-Christ, mais malheur à l’homme à cause duquel le scandale se produit (Mt 18, 8). Il s’agit d’oeuvre et de culpabilité humaine, mais il y a une disposition divine en cela. Le Christ ne savait-il pas que Judas le trahirait ? Pourtant, il l’a choisi. Un mystère. Le psaume 120 dit : « Qui peut trouver une personne digne de confiance ? ». À ceux qui lui faisaient remarquer que certains de ses collaborateurs étaient discutés, Jean-Paul II répondait: « Je le sais bien, mais pensez-vous que les autres sont meilleurs ? » Il connaissait l’homme profondément, et il savait que sans conversion du cœur, la nomenclature ne sert à rien.

La renommée de Karol Wojtyla, en tant qu’archevêque de Cracovie, était répandue parmi les jeunes de Communion et de Libération qui, contrairement à la jeunesse catholique pro-68, dans les années 70, scrutaient les ferments du samizdat, la dissidence clandestine au-delà du « rideau de fer » et en Russie, et, sur les instructions de don Francesco Ricci, un grand prêtre de Romagne, encouragés par don Luigi Giussani, se rendaient en pèlerinage à Notre-Dame de Czestokowa. J’étais parmi eux. Nous nous sommes donc réjouis, le soir du 16 octobre 1978, de l’élection de Jean-Paul II. Nous avons tremblé au moment de l’attentat du 13 mai 1981.

Le 26 mars 1982, à l’issue de la conférence théologique au Vatican, sur l’Esprit Saint, à l’occasion du dix-septième centenaire du Concile de Constantinople de 381, j’ai été reçu par lui. Je l’ai rencontré à nouveau en audience privée le 14 mars 1991, avec quelques personnalités de Jérusalem, exposant les difficultés de la présence chrétienne en Terre Sainte. Après qu’il m’eût nommé, sur proposition du cardinal Ratzinger, consultant auprès de la Congrégation pour les Saints, puis de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et enfin expert au Synode sur l’Eucharistie, je l’ai vu pour la dernière fois lors de l’audience au Conseil du Secrétariat général du Synode des évêques, non sans avoir été ému de le voir en fauteuil roulant désormais affaibli; c’était le 16 novembre 2004, moins de cinq mois avant sa mort. Tout cela ne m’a pas empêché d’être impartial, de proposer d’autres éclairages, lorsque j’ai été compté parmi les consultants pour la cause de canonisation. À mon humble avis, le Serviteur de Dieu méritait une meilleure Positio super virtutibus. Cependant, ceux qui croient que c’était trop hâtif, oublient que dans l’histoire des causes des saints, il y a eu beaucoup de processus rapides de canonisation.

Les saints, comme les Grands Pères, ne sont pas ceux qui ont le moins de défauts, ils ont fait des erreurs dans les personnes et les choses, mais l’erreur n’est pas un péché, par contre ils ont été les plus courageux pour suivre le Christ : mais cela, le monde ne peut le comprendre. Les interventions des journaux laïques sont moralistes, car ils sont habitués à tolérer des péchés bien pires, mais devant l’Église, ils l’oublient et deviennent inflexibles. J’ai dit au début que Jésus, même en sachant qui était Judas, lui a permis d’entrer au collège apostolique : mystère de la relation entre la grâce de Dieu et la liberté de l’homme. Ne dit-on pas que l’homme est toujours récupérable ?

Le cardinal Ruini a raison d’en appeler à la vox populi vraiment énorme – des millions de fidèles qui lui ont rendu hommage à sa mort, aux chefs d’État du monde entier lors des funérailles – on n’a pas souvenir d’une chose semblable depuis la mort de Pie XII, qui a vu des funérailles grandioses et des files interminables pendant des jours à Saint-Pierre, et une réputation de sainteté largement répandue au point que le 8 décembre, deux mois après sa mort le 9 octobre, la prière pour la canonisation était déjà diffusée; le processus a été entamé en 1965 par Paul VI. Peut-être que pour Jean-Paul II, Benoît XVI aurait voulu plus de temps, oui, mais il y avait déjà d’innombrables rapports de grâces et de présumé miracles.

Jean-Paul II a donné une impulsion à l’évangélisation à l’échelle mondiale, chose nécessaire pour chaque génération. On considère aujourd’hui qu’il s’agit de prosélytisme : non, car la confrontation avec les religions ne doit en aucun cas signifier pour l’Église l’abdication de sa mission de faire connaître Jésus-Christ sans lequel il n’y a pas de salut. Jean Paul l’a clairement indiqué, notamment parce qu’il est issu de la génération qui a grandi en Pologne sous le communisme.

Il avait une vraie capacité à regarder au fond – on était frappé par son regard – et à s’enfoncer dans la prière comme un poisson dans l’eau, aurait dit le Curé d’Ars, à genoux, même quand il n’en pouvait plus : on n’exagère pas en disant que c’était un mystique. Il n’a jamais adopté une attitude vindicative envers les critiques et les opposants, que ce soit en marginalisant les cardinaux et les évêques ou en punissant les instituts religieux, mais il a toujours répété la vérité, comme il le fit, par exemple, en défendant la Déclaration Dominus Iesus. Au cours d’un Angélus, il a dit que le Pape doit souffrir pour introduire l’Eglise dans le nouveau millénaire.

De son Magistère on peut tirer l’humanisme vrai, celui chrétien, à commencer par le « manifeste » de Redemptor hominis, où l’anthropologie puise à la christologie proposée en catégories phénoménologiques. Il n’a jamais idéologisé les pauvres ou la paix, car il n’était pas relativiste, mais affirmait Jésus-Christ au centre de l’histoire et du cosmos.

On dit qu’il ne s’intéressait pas beaucoup à la Curie romaine : il savait que sans justice et sans charité, les réformes ecclésiastiques ne servent à rien. La Constitution apostolique Universi Dominici gregis concernant le Conclave, montre à quel point il fut prudent ; mais cela a-t-il suffi pour empêcher le lobbying de la « Mafia de Saint-Gall » ? Ce document même atteste qu’il n’était pas superficiel et centralisateur, au contraire : conscient de sa responsabilité, il ne court-circuitait pas ses collaborateurs, mais se soumettait aux différentes instances des dicastères de la Curie romaine pour établir des documents et faire des nominations. Beaucoup de choses ont été dites sur le rôle du secrétaire particulier, pourtant il n’a certainement pas remplacé le pape, mais l’a aidé, surtout dans les périodes fréquentes de maladie et d’affaiblissement. Et puis comme tous les milieux, la Curie ressemble à une cour, où les voix et les chuchotements ont tendance à s’amplifier et à se transformer en autre chose que ce qu’ils étaient à l’origine. Jean Paul était prudent, respectueux : il savait qu’il ne devait pas croire les accusations portées contre un prêtre, sauf sur la foi de plusieurs témoins. Et à l’époque de Jean-Paul II, les accusations contre Mc Carrick, d’après ce qu’il semble, n’étaient pas encore faites.

Jean-Paul II, qui avait défié le régime de Jaruzelski et encouragé Solidarnosc – devait-il avoir peur de Mc Carrick ? Saint Bernard, qui s’y connaissait en évêques, et même en papes, puisqu’Eugène III était son disciple, disait : si prudens regat (s’il est prudent, qu’il gouverne). Ceci peut-il flirter avec l’équilibrisme ? Certainement, si l’on n’est pas guidé par la vérité. Le pouvoir réside dans la vérité : ceux qui ont la vérité ont le pouvoir.

Jean-Paul II a dit à don Giussani : nous sommes sans patrie. Le saint est un étranger dans ce monde, et le monde avec ses agents ne peut pas le comprendre, encore moins ses « cinquièmes colonnes » infiltrées dans l’Eglise.

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