Signe de la colonisation culturelle que nous subissons, nous utilisons un nombre croissant de néologismes directement importés des Etats-Unis, qui ne sont même plus du franglais mais une sorte de sabir planétaire n’ayant plus rien à voir avec la « langue de Shakespeare » (qui doit se retourner dans sa tombe!] et qui sert de signe de reconnaissance à une classe qui se croit informée. Dernier en date: cancel culture, un concept né dans le sillage du mouvement « Black lives matter » (lui aussi!!). Marcello Veneziani plonge dans l’histoire récente pour chercher des analogies.

Saint-Paul, Minnesota: la statue de Christophe Colomb (ou ce qu’il en reste) mord la poussière

D’où provient la Cancel Culture?

MV, La Verità, 8 janvier 2021 (ma traduction)

Mais dans quel abîme nous mènera l’idiotie criminelle qui efface toute culture et tout passé, de Homère à John Travolta, en passant même par le mot Amen, considéré stupidement comme macho? Il serait facile de s’indigner, d’invectiver, d’être scandalisé et même de se moquer de cette vague mondiale qui part des États-Unis mais arrive, et comment, même en Europe. Mais après nous être défoulés avec une belle série d’insultes, nous nous retrouvons avec la maigre consolation d’être meilleurs que cette vague démente.

Essayons plutôt de nous demander d’où vient cette culture de l’annulation, avec la prière préliminaire de ne pas traduire « culture de l’annulation », comme on le fait habituellement, mais au contraire « annulation de la culture ». Il ne peut y avoir de culture derrière la prétention d’annuler les auteurs, les pensées et les langues. La culture effacée est à tous les niveaux et à toutes les latitudes, si elle frappe de Shakespeare à Fausto Leali [1], de Dante à Mister Bean [2], de Homère à Homer Simpson [3].

L’ignorance a toujours été majoritaire sur la planète, comme la bêtise ; mais elle devient inquiétante lorsqu’elle devient pouvoir, exprime « l’esprit du temps » et lorsqu’elle n’est pas professée et véhiculée par les pauvres analphabètes mais par les classes dominantes. Elle devient inquiétante lorsque ses partisans sont des professeurs, comme Heather Levine, qui enseigne dans un lycée du Massachusetts [4], des hommes politiques comme Emanuel Cleaver [5] ou même la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi qui efface le vocabulaire primaire des familles [6]. Je mentionne ces personnages mais je pourrais en citer quatre cents autres, venant même de nos régions.

Mais la question reste sans réponse: d’où vient la cancel culture, quel est le dispositif mental, idéologique, neuropsychiatrique qui l’incite à effacer les auteurs classiques jugés gênants, les expressions linguistiques, communes ou liturgiques, jusqu’aux usages de la vie quotidienne, du sport, voire des films comme Grease [7]? Y a-t-il des précédents, des analogies, des hypothèses à cette vague nihiliste ? Y a-t-il un lien entre les idioties que nous venons de mentionner et les précédentes purges de cultures et de civilisations ?

Pour ne pas parcourir des millénaires de barbarie et remonter à Attila, au fanatisme chrétien et musulman qui, au fil des siècles, a voulu effacer les vestiges des religions païennes ou autres, jusqu’aux horreurs des guerres mondiales, essayons de limiter notre regard à la durée de notre vie.

Je vais mentionner au moins quatre types de cancel culture à partir des années soixante:

  • celle du fanatisme religieux qui, au nom de son Dieu, veut raser, désertifier, toutes les autres civilisations, cultures, traditions et religions: et dans nos années, ce fanatisme a été plus que tout autre musulman, avec la destruction de monuments et d’églises dédiés à Bouddha et au Christ, d’anciennes civilisations, de temples et à de bibliothèques.
  • Puis, l’affirmation du totalitarisme idéologique qui, au nom d’une utopie, veut abolir la réalité et réduire le passé, comme l’a dit Mao Tse Tung, à une page blanche, et dans nos années, ce fanatisme a surtout eu une matrice communiste, car le noyau du communisme, comme le dit Marx, est d’abolir la réalité.
  • Ensuite, il y a le suprémacisme économique et techno-militaire qui, au nom de la puissance, a effacé impunément des vestiges de civilisation au Moyen-Orient, en Mésopotamie, partout, avec l’impérialisme américain; il suffit de penser à la guerre du Golfe, aux bombes sur les lieux saints ou sur les œuvres d’art, aux destructions et profanations.
  • Et enfin, l’idiotie moralisatrice du politiquement correct, née sur la vague de soixante-huit, qui prévaut aujourd’hui, effaçant tout ce qui ne rentre pas dans ses paradigmes sur le genre, la race, le sexe, la langue. Quatre expressions différentes d’un même abolitionnisme radical.

Qu’ont-ils en commun ? Ils élèvent un point de vue – religieux, idéologique, impérialiste, politico-moral – à un absolu : tout est relativisé par rapport à ce point de vue, et tout peut être supprimé et effacé en son nom. Les références temporelles changent: les fanatiques religieux sacrifient chaque histoire et chaque tradition des autres sur l’autel de l’éternité de leur Dieu; les totalitarismes politiques sacrifient toutes les autres cultures au rêve de la société parfaite au nom du futur; les suprémacistes accomplissent le reset de la technologie sur la culture au nom du pouvoir, décrétant la fin de l’histoire; les partisans du politiquement correct effacent tout passé et toute tradition qui ne sont pas conformes au catéchisme d’aujourd’hui. Et nous pourrions ouvrir le chapitre « reset » dans l’Église de Bergoglio… Dans leur diversité, ce sont des formes despotiques et absolutistes de cancel culture, et elles subsistent toutes, bien que modifiées, dans notre présent; mais la dernière nous concerne de plus près. C’est peut-être la moins sanglante mais la plus sournoise, car elle est pratiquée au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Paradoxalement, le salut des auteurs, des courants et des traditions n’est épargné que par leur ignorance: s’ils savaient vraiment ce que beaucoup de penseurs, d’artistes, de scientifiques, de dirigeants, voire de saints et de martyrs ont soutenu au cours de leur vie et dans leurs œuvres, ils seraient aujourd’hui eux aussi à l’index, effacés. Idem pour des auteurs insoupçonnables, tout sauf réactionnaires, tels que Voltaire, Marx et Gramsci, pour n’en citer que quelques-uns.

L’ironie supplémentaire, c’est que le substrat idéologique du politiquement correct n’est pas dogmatique, il ne croit pas en la vérité, mais il est relativiste. Mais c’est la démonstration sur le terrain qu’on peut instaurer la dictature du relativisme; la négation de la Vérité coexiste avec la prétention d’avoir raison dans l’absolu, et même d’être du côté de la Raison, sans possibilité de réfutation. A partir des révolutionnaires français.

Je ne sais pas si cela vous console ou vous décourage de penser que nous ne vivons pourtant pas dans le pire des mondes possibles : les formes changent mais l’humanité cohabite avec cette folie depuis qu’elle existe. Bien sûr, il y a des phases cycliques, et nous nous trouvons dans un de ces bas. On ne meurt pas que du covid.

Marcello Veneziani

Ndt

(1) Fausto Leali, chanteur italien , il est tombé récemment sous les fourches caudines de la censure des bien-pensants pour avoir, au cours d’une émission de télé-réalité à laquelle il participait qualifié de « negro » – c’est le mot italien – le frère du footballeur Balotelli. Cf. https://www.gazzetta.it/Spettacoli/21-09-2020/fausto-leali-chiama-negro-fratello-balotelli-3802152366125.shtml

(2) Il s’est joint une mobilisation d’artistes contre un projet de loi controversé contre « la haine » porté par le ministre écossais de la Justice, Humza Yusaf, cf. https://www.marianne.net/societe/mr-bean-s-eleve-pour-defendre-la-liberte-d-expression-en-ecosse

(3) La série fait l’objet d’accusations de racisme https://www.lalibre.be/culture/medias-tele/apres-une-polemique-un-personnage-des-simpson-change-de-voix-5e257391d8ad5830318d9278

(4) Ici, la cible est Homère, cf. https://www.theamericanconservative.com/articles/cancel-culture-goes-on-an-odyssey/

(5) Ce pasteur méthodiste et député démocrate a proposé d’ajouter à « Amen »… « A-women » https://www.infochretienne.com/amen-et-a-woman-une-priere-douverture-inhabituelle-pour-le-117e-congres-americain/

(6) Elle prétend rendre la Chambre des représentants plus « inclusive » en bannissant les termes « genrés » comme « père » et « mère » dans les futurs textes de loi, cf. https://fr.sputniknews.com/amerique-nord/202101031045014095-les-termes-pere-et-mere-devront-disparaitre-des-textes-de-la-chambre-des-representants-us/

(7) Cf. https://www.marieclaire.fr/grease-la-scene-ou-betty-rizzo-revendique-sa-sexualite-liberee-qui-lui-vaut-une-mauvaise-reputation,1366574.asp

Mots Clés :
Share This