Voici un échange très intéressant entre deux contributeurs, un américain et un italien, au blog de Marco Tosatti, le second explicitant et illustrant le premier. Le titre peut faire penser à un canular, voire un oxymore – tant les personnalités en cause sont dissemblables -, pour ceux qui s’y sont arrêtés avant d’avoir lu les arguments. Mais même sans adhérer aux théories complotistes, il est évident qu’un fil rouge de continuité traverse les deux évènements: la démission de Benoît XVI et la « défaite » de Trump. Deux empêcheurs de tourner en rond, deux obstacles au nouvel ordre mondial/great reset ont été éliminés.

J’ai traduit la partie du premier article qui me paraît la plus en relation avec les arguments du second

Trump comme Benoît XVI (I)

Marco Tosatti

(…)

J’ai envie de dire que la sortie de Trump est équivalente à celle de Benoît. Dure et dramatisée celle de Trump, douce et maîtrisée celle de Benoît. Mais tous deux étaient considérés comme les « restaurateurs » d’un monde insoutenable (in-sostenibile: en néo-français, « non-durable »). Trump était souverainiste et anti-multilatéraliste, hostile aux accords climatiques de Paris, hostile à la Chine, peu soucieux de l’unification européenne, et même un peu négationiste sur la pandémie.

J’ai trouvé des similitudes avec Ratzinger qui était traditionaliste, anti-progressiste, désireux de reconvertir l’Europe et convertir la Chine. Mais surtout, il avait une foi rationnelle et croyait en une Église catholique, apostolique et romaine.

Aujourd’hui, l’alliance stratégique de pouvoir, disons, en Occident se situe entre politique, économie, science, médias (journaux et télévision) et morale (au sens de l’Église). Tout ce qui a été dit à Assise dans « The Economy of Francesco » et dans l’Encyclique « Fratelli Tutti », est conforme aux principes et aux objectifs de cette curieuse alliance de pouvoir. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire contemporaine. Jamais auparavant.

Trump comme Benoît XVI (II)

Benoît XVI et Trump: l’héroïsme de la défaite (pour le moment)

Marco Tosatti

La défaite de Trump voulue et obtenue par le Système – j’appelle Système cette alliance stratégique de pouvoir, disons occidental […] entre politique, économie, science, médias et morale (au sens de l’Église) – est analogue à la défaite de Benoît XVI voulue et obtenue par le Système.

L’arrogant promoteur new-yorkais et le timide théologien bavarois ne pourraient pas être plus différents l’un de l’autre. L’analogie n’est donc pas sur un plan personnel, mais par rapport au rôle historique « joué » par l’un et l’autre dans leurs institutions respectives et par rapport à l’Occident post-moderne que tous deux ont essayé de « gouverner ».

On pourrait disserter, sans trop d’arrière-pensées conspirationniste, sur les forces identiques (même les noms des visages familiers dans certaines intrigues sont identiques) qui ont œuvré pour la démission de Benoît XVI et la défaite de Trump, pour l’élection de Bergoglio et l’élection de Biden. Mais ce n’est pas mon propos maintenant.

L’analogie, en fait, va bien au-delà des destins d’un président américain et d’un pape, elle concerne les deux « souverainetés » respectives (les États-Unis d’Amérique et la Sainte Église romaine) et la civilisation occidentale elle-même.

Qu’est-ce qui a vraiment été vaincu avec la défaite de Benoît XVI? La tentative de Ratzinger (désespérée, on peut maintenant le dire) de sauver le catholicisme post-conciliaire de son destin suicidaire en « guérissant » l’Eglise de son mal intérieur et en redonnant ainsi une âme à l’Occident.

Ce projet héroïque, à l’instar des héros d’un certain romantisme tragique, mené avec ténacité par Benoît XVI sur le plan théologique (herméneutique de la continuité), liturgique (Motu proprio « Summorum Pontificum »), civilisateur (Discours de Ratisbonne) et politico-juridique (doctrine des principes non négociables, paradigme du droit naturel comme fondement de l’État libéral) s’est achevé et a échoué avec la démission de Benoît XVI.

Qu’est-ce qui a vraiment été vaincu avec la défaite de Trump? La tentative (désespérée?) de sauver les États-Unis (et avec eux l’Occident) du courant nihiliste de plus en plus écrasant du mondialisme liberal, d’une révolution qui, conformément à l’idéologie trotskyste, se veut permanente et universelle – les guerres neocon de Bush pour « exporter la démocratie », les révolutions colorées d’Obama-Clinton et les printemps arabes -, d’un maoïsme culturel poussé à l’extrême jusqu’à la cancel culture. Cette tentative titanesque de Trump pour arracher les États-Unis à la dissolution en un universel révolutionnaire radical permanent est passée par un nouveau paradigme de politique étrangère, un engagement à réindustrialiser et à ralentir le processus de mondialisation, le réveil public de l’identité chrétienne, une herméneutique intéressante des droits de l’homme dans un sens naturaliste (Commission Glendon). Cette tentative titanesque a été vaincue avec la défaite de Trump et l’élection de Biden.

En poursuivant le raisonnement analogique, on peut non seulement étendre l’analogie à Obama-Hilary Clinton-Biden pour les USA-Occident et à Bergoglio pour l’Église, mais on peut aussi, avec un profit bien plus grand, se risquer à considérer les résultats pour les deux « souverainetés » respectives de la défaite de Benoît XVI et de Trump ainsi que de l’élection subséquente de Bergoglio et de Biden.

Que constatons-nous dans l’Église après la démission de Ratzinger et l’élection de Bergoglio? Une accélération remarquable du processus révolutionnaire post-conciliaire et par conséquent une polarisation toujours plus grande, une rupture (de facto schismatique ou pré-schismatique) dans le catholicisme actuel qui est chaque jour plus évidente. Au-delà des nuances et des distinctions plus ou moins raffinées, l’Eglise est aujourd’hui divisée entre les bergogliens (souvent au-delà de Bergoglio lui-même) et les anti-bergogliens, le reste n’est que subtilité. Les positions modérées, « centristes », ruiniennes [de Ruini] (en Italie), wojtyliennes et même ratzigériennes sont de plus en plus écrasées et mises hors jeu par la révolution radicale qui se déroule dans l’Église.

A quoi assistons-nous aux États-Unis après la défaite de Trump et l’élection de Biden?

  • à une radicalisation des Dems en ce qui concerne l’agenda liberal (on pourrait même dire liberal-socialiste) et la prétention totalitaire d’effacer ce qui n’est pas idéologiquement liberal;
  • à une polarisation toujours croissante (du côté anti-Trump: deuxième empeachment, censure sur les réseaux sociaux, tentative de classer les partisans de Trump comme des terroristes internes, accélération de l’agenda liberal sur l’avortement, le transsexualisme, etc ; du côté de Trump: colère pour une élection volée, conviction qu’ils sont en régime [dictatorial], peur du socialisme, Biden et dirigeants Dems jugés comme satanistes ennemis de Dieu);
  • à une rupture de l’unité nationale (il y a de facto 2 nations, 2 peuples idéologiquement irréconciliables, on entend les premiers appels à la sécession au Texas et en Floride et aussi dans le monde catholique). Au-delà des nuances et des distinctions plus ou moins raffinées, les États-Unis sont aujourd’hui divisés entre les Trumpiens et les anti-Trumpiens. Le reste, ce sont des subtilités.

L’analogie Trump-Benoît XVI, Biden-Bergoglio, USA-Eglise nous aide à comprendre que la marque de notre temps est:

  1. La polarisation (dans l’irréconciliabilité des deux positions jusqu’au schisme ou à la sécession),
  2. La victoire de la Révolution (liberal-radicale-socialiste-gender-écologiste-globaliste: « Tout ce qui a été dit à Assise dans l’Economie de François et dans l’Encyclique Fratelli tutti, est conforme aux principes et aux objectifs de cette curieuse alliance de pouvoir. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire contemporaine. Jamais auparavant »),
  3. La défaite de la « réforme dans la continuité ».

La défaite de Benoît XVI et du président Trump est en fait la défaite du dernier « réformisme » héroïco-titanesque possible, la dernière tentative de « réforme dans la continuité » de l’Église et de l’USA-Occident avant l’imposition définitive de la Révolution dans ses résultats extrêmes.

Avec la fin du pontificat de Ratzinger et de la première présidence de Trump, ce n’est pas la Tradition, la Contre-révolution ou la Réaction qui a été vaincue, mais le dernier Réformisme possible. Le pontificat de Ratzinger et la présidence de Trump ne sont en fait compréhensibles que comme une « réforme dans la continuité ». Et peut-être la défaite dépend-elle justement du fait que la « réforme dans la continuité » de l’Église post-conciliaire et de l’Occident libéral-démocrate est impossible.

Si tel était le cas, la situation actuelle, bien que dramatique, aurait le mérite de dissoudre progressivement l’illusion et Bergoglio-Biden aurait le mérite involontaire de rendre manifeste l’impossibilité du compromis réformiste avec la Révolution.

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