Alors que François vient de présenter – avec un retard sans doute imputable à la pandémie – les vœux traditionnels au corps diplomatique (*) et que l’on va commémorer à la fin de la semaine le huitième anniversaire de la renonciation au Pontificat de Benoît XVI, Andrea Gagliarducci revient sur la diplomatie de ce dernier, une diplomatie toute en délicatesse, comme lui-même, fondée sur la Vérité, que le vaticaniste illustre par son premier discours à ce même corps diplomatique en tant que Pape, le 9 janvier 2006.

(*) Je ne les ai pas lus et je n’ai pas l’intention de le faire; je ne doute pas qu’ils contiennent même du bon, issu de la plume d’un quelconque fonctionnaire de la Secrétairerie d’Etat, et propre à satisfaire les catholiques, y compris de tendance traditionaliste.

Nostalgie…

Cet héritage diplomatique de Benoît XVI qui a été oublié

Monday Vatican
8 février 2021
Ma traduction

Celle de Benoît XVI était une diplomatie fondée sur la vérité, qui raisonnait sur des principes, et qui avait pour but ultime non seulement la paix mais aussi la paix qui vient de la conscience que nous sommes enfants de Dieu. Un discours de Benoît XVI prononcé il y a quinze ans l’explique très bien.

Il s’agissait du discours traditionnel du début de l’année devant le corps diplomatique du Saint-Siège. Benoît XVI avait déjà rencontré les diplomates pour les saluer après son élection. Mais c’est dans ce discours du 9 janvier 2006 que se trouve la racine de sa pensée. Il est utile de relire ce discours, à l’approche du huitième anniversaire de l’annonce de sa démission.

Benoît XVI ne fait pas de discours politique. Il donne une conférence théologique, qui s’applique à la diplomatie. Il rappelle aux ambassadeurs qu’eux et l’Église sont « unis dans une mission commune », qui est la mission de paix. L’Église poursuit sa mission en diffusant l’annonce de la paix du Christ, les diplomates en promouvant l’amitié entre les peuples.

Mais la clé de la présentation est celle de la vérité. Car, dit-il,

la situation du monde d’aujourd’hui, où, parallèlement à de funestes scénarios de conflits armés, ouverts ou latents, ou seulement apaisés en apparence, on peut – grâce à Dieu – relever un effort courageux et tenace en faveur de la paix de la part de beaucoup d’hommes et de nombreuses institutions, je voudrais, à la manière d’un encouragement fraternel, proposer quelques réflexions, que je dégage en quelques simples énoncés.

Benoît XVI définit tout d’abord l’engagement pour la vérité comme « l’âme de la justice », parce que

même dans les relations internationales, la recherche de la vérité réussit à faire apparaître les diversités jusque dans leurs plus subtiles nuances, et les exigences qui s’ensuivent, et pour cela même aussi les limites à respecter et à ne pas dépasser, pour la protection de tous les intérêts légitimes des parties.

Ce n’est que lorsque la diversité et l’égalité sont reconnues que les désaccords sont « réglés selon la justice ». Cette hypothèse est valable pour les questions mineures comme pour les questions majeures, tant locales qu’internationales.

C’est pourquoi, selon Benoît XVI, « l’engagement pour la vérité donne fondement et vigueur au droit à la liberté ». Chaque État doit garantir la liberté, à partir de la liberté religieuse, le droit de tous les droits. Mais – explique-t-il –

dans certains États, même parmi ceux qui peuvent se targuer de traditions culturelles multiséculaires, la liberté de religion, loin d’être garantie, est gravement violée, surtout en ce qui concerne les minorités.

Benoît XVI souligne ensuite que « l’engagement pour la vérité ouvre la voie au pardon et à la réconciliation ». Le pape explique qu’il n’est pas vrai que la vérité, à partir de la liberté religieuse, provoque des tensions. Il ajoute que des tensions se sont bien produites, mais que ce n’est pas à cause de la vérité, mais pour des situations concomitantes. Même les hommes d’Eglise ont encouragé les tensions, et l’Eglise a demandé pardon pour cela.

Benoît XVI dit:

La demande de pardon et le don du pardon, qui est dû également – parce qu’est valable pour tous l’avertissement de Notre Seigneur: « Celui qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter la pierre » (cf. Jn 8, 7) – sont des éléments indispensables pour la paix. La mémoire en demeure purifiée, le cœur rasséréné, et le regard sur ce que la vérité exige pour développer des pensées de paix devient limpide.

Enfin, Benoît XVI affirme que « ’engagement pour la paix ouvre à des espérances nouvelles » car :

La paix, vers laquelle l’engagement [de l’homme] peut et doit le porter, n’est pas seulement le silence des armes; bien plus, elle est une paix qui favorise la formation de nouveaux dynamismes dans les relations internationales, dynamismes qui, à leur tour, se transforment en facteurs de maintien de la paix elle-même. Et ils ne sont tels que s’ils répondent à la vérité de l’homme et de sa dignité.

Pour cette raison,

on ne peut parler de paix là où l’homme n’a même pas l’indispensable pour vivre dans la dignité. Je pense ici aux foules innombrables de gens qui souffrent de la faim. On ne peut pas dire qu’ils vivent en paix, même s’ils ne sont pas en guerre: de la guerre, elles sont même des victimes innocentes. Viennent aussi spontanément à l’esprit les images bouleversantes des grands camps de personnes déplacées ou de réfugiés – en diverses parties du monde –, rassemblés dans des conditions précaires pour échapper à des conditions pires encore, mais ayant besoin de tout.

Pourquoi ce discours de Benoît XVI est-il fondamental ? Parce qu’il montre clairement comment le pape émérite allait fait face à ses engagements diplomatiques : sans se taire, mais sans oublier qu’il fallait aussi aller plus loin, pardonner. Et parce que nous constatons, même chez Benoît XVI, une propension à prêter attention à la situation des marginaux et des impuissants, mais sans mettre de côté les principes. Et même, en imprégnant cette attention précisément d’un bien plus grand, d’un bien supérieur.

La vérité, pour Benoît XVI, ne peut être que « la Vérité ». Et c’est ce qui a toujours animé son action diplomatique, même lorsque le dialogue devenait difficile. Ce n’est pas tout. Benoît XVI a essayé de donner à chacun une voix.

Le cas de la Chine est emblématique : la lettre aux catholiques chinois en 2007 s’est accompagnée de la décision de faire écrire par le cardinal Joseph Zen, une voix puissante en faveur des droits de l’homme, les méditations pour le Via Crucis du vendredi saint au Colisée. La Commission Chine, qui s’est réunie en privé, a cherché à aborder la question des chrétiens persécutés, mais elle a également veillé à montrer que ces chrétiens n’étaient pas abandonnés.

La diplomatie de Benoît XVI était une diplomatie délicate, silencieuse mais ferme, forte et enracinée dans l’Evangile. Encore une fois, nous n’avons probablement pas compris Benoît XVI. Pourtant, tout repose sur la recherche de la bonne clé d’interprétation. Et celle de Benoît XVI est toujours, par choix, la recherche de la vérité.

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