Voici une belle (malgré tout) recension de la monumentale biographie de Peter Seewald par un prêtre turinois, don Primo Soldi, sur la revue mensuelle Tempi, de « Communion et Libération ». Je n’insisterai pas sur les [fortes] réserves qu’elle m’inspire dans certains passages, je préfère retenir les très beaux accents qui témoignent d’une bonne connaissance de Benoît XVI, d’une grande admiration, et d’une grande affection.

La foi joyeuse de Benoît XVI

Don Primo Soldi
« Tempi »
8 février 2021
Ma traduction

Don Soldi

Le livre monumental de Peter Seewald nous restitue la figure d’un homme heureux, toujours prêt à se mesurer au mystère chrétien

Au début, j’ai eu peur de la taille : pourrai-je un jour lire 1250 pages ? Mais l’amour que j’ai pour Benoît XVI, la fascination qui émane de sa personne, la fluidité et la solidité moderne de sa pensée m’ont toujours attiré. Je peux dire que depuis quelques mois maintenant, ce livre me tient compagnie.

Le journaliste allemand qui vit et travaille à Munich a une connaissance exceptionnelle, faite d’une énorme estime, du Pape émérite. Ses précédents livres-entretiens avec Benoît XVI, Le sel de la terre (1996), Voici quel est notre Dieu (2000), Lumière du monde (2010) et Dernières conversations (2016) – ont été traduits en plusieurs langues et sont devenus des best-sellers partout.

Cette fois, Seewald s’est attelé à une tâche énorme: documenter année après année toute la vie du pape Benoît. Il vous fait vivre avec lui, il vous fait le connaître bien au-delà des clichés qui lui ont été accolés au fil des ans. Il vous le rend sympathique et, pour une fois, vous arrêtez de penser: je préfère ce Pape à l’autre, et vous vous rendez compte que les vrais choix des Papes à travers les hommes, c’est l’Esprit Saint qui les fait. La diversité, y compris dans l’histoire de l’Église, est toujours une richesse. Plus vous lisez le livre, plus l’histoire vraie de Ratzinger se consolide, à commencer par les chapitres consacrés à l’enfance, à l’adolescence, dans cette extraordinaire fusion d’esprit et de cœur qu’était sa famille. Son père policier Joseph senior, un homme de droiture et de foi extraordinaire, sa mère, les trois enfants Maria, Georg et Joseph. La sœur était la dactylographe personnelle de Joseph. Vous pouvez vous imaginer ce garçon, cet éternel premier de la classe, le cartable à la main, son doux visage, ses traits fins, d’un tempérament à la fois timide et ferme. Le garçon qui venait d’un village bavarois à la frontière avec les Alpes et qui allait devenir le chef de l’Église catholique.

Après 500 ans, un Allemand est de retour sur la chaire de Pierre, un théologien très influent avec son immense travail scientifique, avec son action au sein de l’Eglise, Joseph Ratzinger est entré dans l’histoire. Nouveau venu au Concile, innovateur en matière de théologie, préfet du plus important dicastère de l’Eglise aux côtés de Karol Wojtyla, il a guidé l’Eglise dans une phase tumultueuse. Il a également été le premier pape à démissionner de sa charge pour raisons d’âge: jamais auparavant il n’y a eu de pape émérite. C’est l’un des penseurs les plus intelligents de notre époque ; il l’était déjà quand il était prêtre, il l’était aussi lorsque, lors de ses conférences ou de ses cours, il fallait placer des haut-parleurs à l’extérieur des salles dans lesquelles il parlait.

La biographie de Seewald le situe parfaitement dans le contexte historique dans lequel il a vécu. Le très jeune Ratzinger a tenu bon pendant les années de la dictature nazie. Après deux ans de service militaire, il est rentré chez lui presque miraculeusement, maigre comme ce n’est pas possible, affamé, les nuits passées à dormir à la belle étoile, le fusil à la main dans le corps anti-aérien. Il se souviendra du dîner du soir de ce retour comme le meilleur de sa vie: un œuf dur et une assiette de salade. Nous le voyons entrer au séminaire avec son frère et commencer ainsi une carrière d’études, accompagnée d’une « carrière spirituelle » également construite sur une grande foi et une grande humanité, grâce aussi aux excellentes figures des éducateurs du séminaire.

L’événement du Concile Vatican II, convoqué par le saint pape Jean XXIII, a amené Ratzinger à Rome aux côtés du cardinal Frings de Cologne. C’est précisément au cours de ces années que la véritable personnalité de Ratzinger a émergé. Dans son ouvrage, Seewald nous fait découvrir le grand rôle que Ratzinger a joué comme « expert » au Conseil aux côtés de Karl Rahner avec qui il a rédigé la constitution Dei Verbum. Au Concile, il a rencontré le grand théologien français Henry de Lubac. Le groupe de théologiens allemands et français se réunissait chaque semaine au collège germanique Santa Maria dell’anima. S’il est vrai qu’il existe 6500 langues dans le monde, rappelons que c’est le latin qui était parlé au Concile. Les auteurs sur lesquels Ratzinger a basé sa formation sont les mêmes que ceux que don Luigi Giussani a proposés aux jeunes de Communion et Libération.

Je ne pourrai jamais oublier la grâce, le privilège que j’ai eu de rencontrer Ratzinger en tant que pape émérite le 30 janvier 2017 dans les jardins du Vatican à la grotte de Notre-Dame de Lourdes. Grâce à son secrétaire, l’archevêque Gänswein, j’ai eu une conversation en tête-à-tête avec le vieux et frêle pape émérite. « Avez-vous lu mon livre Introduction au christianisme? » m’a-t-il demandé. « Certainement Saint-Père ». « Comment va la foi en Turin ? » Je suis resté sans voix pendant quelques secondes. Un sourire innocent de Benoît XVI a relancé le dialogue. En quelques minutes, les auteurs que don Giussani nous recommandait ont passés rapidement sous mes yeux. « Savez-vous que le miracle pour la canonisation de Newman a été reconnu ? ». À la fin de l’interview, j’étais presque étourdi par l’émotion de me trouver devant le pape de Deus Charitas est, Spe salvi et Lumen fidei, publiés plus tard par le pape François. La foi, l’espérance, la charité ont été le thème des exercices spirituels que le cardinal Joseph Ratzinger a prêché à Collevalenza aux prêtres de C&L en 1986. Le texte de ces exercices a été publié sous le titre: « Regarder le Christ ». Comme cardinal, on pouvait le rencontrer lorsqu’il se rendait de Porta Angelica au Palais de la Doctrine de la Foi, toujours disponible pour discuter avec ceux qui le reconnaissaient et l’arrêtaient. Impossible de ne pas se souvenir de son discours au Meeting de Rimini sur le thème « Ecclesia semper reformanda« .

Les chapitres les plus importants pour moi dans le livre de Seewald sont ceux consacrés aux années du Concile. A juste titre, le 30 janvier dernier, recevant les membres du bureau catéchétique national de la conférence épiscopale italienne, le pape François a déclaré : « Le Concile Vatican II est le magistère de l’Église. Soit vous êtes avec l’Église et donc vous suivez le Concile, soit vous l’interprétez à votre manière, comme vous le souhaitez, et vous n’êtes pas avec l’Église. Nous devons être exigeants et stricts sur ce point. Le Concile ne doit pas être négocié ». Le jeune don Claudio Bertero, qui enseigne un cours facultatif d’introduction à la pensée de Ratzinger à l’Université pontificale du Latran, dit que ses étudiants apprécient dans la pensée du pape émérite le caractère raisonnable de la foi, la sapientialité de sa théologie, jamais aride et abstraite qui part toujours d’un centre et se ramifie sur tout, une pensée qui met constamment en dialogue le cœur de l’homme et le cœur de Dieu, une théologie en dialogue avec la philosophie, avec les questions de l’homme et qui conjugue l’exigence de vérité aux exigences et aux questions fondamentales du cœur, avec une grande liberté de pensée.

Devant ses auditeurs, Ratzinger place toujours la personne du Christ au centre. On a toujours l’impression d’être dans un précieux lit de rivière [?]; il n’y a jamais d’éléments de discontinuité ou de rupture. Tout se déroule à partir du Christ, centre du cosmos et de l’histoire. On sent dans sa pensée une réflexion qui réunit les données philosophiques, l’Écriture Sainte, les Pères de l’Église, le Magistère récent, donnant l’idée que le discours théologique est un regard qui rayonne sur toute l’humanité à partir du Christ. Il n’y a jamais de diabolisation de ceux qui pensent différemment de lui, bien qu’il soit toujours très linéaire et clair dans ses affirmations et toujours prêt à valoriser la pensée de l’autre.

La maison d’édition du Vatican publie les Opera Omnia qui sortiront en seize ou dix-sept volumes. Le douzième volume, déjà publié, est intitulé : « Annonceurs de la Parole » et est consacré au thème du sacerdoce.

La figure qui ressort du volume impressionnant de Seewald est l’humanité de Benoît XVI, sa foi joyeuse. Il existe une société psychiatrique française qui définit de manière critique certains aspects du catholicisme contemporain comme une « maladie catholique », c’est-à-dire une Église incapable d’enseigner véritablement comment aimer. Dans son livre « La joie de la foi », Ratzinger reprend une pensée de Bernanos dans le célèbre « Journal d’un curé de campagne »: il est plus facile qu’il n’y paraît de se haïr, plutôt que de s’aimer, car l’acceptation de soi ne vient que de l’amour.

Chez Ratzinger, on rencontre l’homme, le prêtre, l’évêque qui sait aimer les gens. Par exemple, donner les sacrements, c’est donner ce que je ne pouvais humainement pas donner. Jésus a dit que le Fils ne peut rien faire par lui-même car sa cohérence est la relation avec le Père. Par conséquent, le prêtre qui donne les sacrements donne ce qui ne lui appartient pas. Plus on avance dans la lecture de ce livre extrêmement intéressant, plus on se rend compte que lorsque l’Eglise croit combattre le rationalisme ou le modernisme, elle court le risque de devenir elle-même la victime de ce qu’elle veut combattre, d’un système de vérités déjà belles et préemballées.

Dans toutes les œuvres et l’activité pastorale de Joseph Ratzinger, on retrouve la récupération de l’expérience originelle du christianisme, des vérités reproposées dans une clé expérientielle. La théologie des vieux manuels a fait place à la théologie qui a pour centre le mystère qui explique tout : le Christ.

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