Sarah (Culte divin) et Comastri (Vicaire du Pape pour la Cité du Vatican) s’en vont. Nico Spuntoni fait ici l’historique des relations compliquées et souvent conflictuelles du Pape avec son ministre chargé de la Liturgie, très lié à Benoît XVI. Sans avoir eu besoin de faire un éclat (qui aurait pu être « mal » interprété dans le contexte de cohabitation de « deux papes », et de la légende de l’entente parfaite, donc contre-productif), François s’enlève ainsi une belle épine du pied. Et continue de redessiner une Curie de plus en plus à son image.

Sarah et Comastri s’en vont.

La Curie est de plus en plus le miroir de François

Nico Spuntoni
La NBQ
21 février 2021
Ma traduction

Oui de Bergoglio à la démission, pour cause de limite d’âge, de Sarah [qui est né le 15 juin 1945, ndt], préfet du culte divin, et de Comastri, archiprêtre de la basilique papale remplacé par Gambetti. Du Jeudi Saint à la « correction » papale sur les traductions et les célébrations ad orientem, jusqu’au livre avec Ratzinger sur le célibat, la relation avec le cardinal guinéen – jusqu’à présent, à la surprise générale, non remplacé – a été riche en difficultés.

Robert Sarah n’est plus Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements. Huit mois après sa reconduction inattendue, à l’accomplissement de ses 75 ans, le pape François a accepté hier la démission du cardinal guinéen de son poste ainsi que celle du cardinal Angelo Comastri, 77 ans, de son rôle de vicaire général de Sa Sainteté pour la Cité du Vatican, archiprêtre de la basilique papale et président de la Fabrique de Saint-Pierre. Alors que pour ce dernier, on connaît déjà le nom de son successeur , qui sera le néo-cardinal Mauro Gambetti, le principal fauteuil du dicastère responsable de la liturgie restera vide pour le moment.

Et pourtant, en juin dernier, la confirmation de Sarah sur le dépassement de l’âge canonique de la démission a été faite selon la formule « donec aliter provideatur », c’est-à-dire jusqu’à disposition ultérieure du Pape qui implique généralement l’identification d’un remplaçant. La nouvelle d’hier, donc, plus que pour la démission elle-même, a suscité l’étonnement du fait qu’elle a eu lieu sans l’indication d’un successeur. Ainsi se termine une collaboration qui n’a certainement pas été facile entre le Pontife et le préfet qu’il a lui-même nommé le 23 novembre 2014, marquée par des malentendus et même des corrections publiques, mais toujours avec le respect et l’obéissance professés par le cardinal.

Les premiers signes d’une entente difficile entre les deux se sont manifestés lors des changements du Jeudi Saint lorsque François, qui avait déjà l’habitude de le faire en tant qu’archevêque de Buenos Aires et qui en 2013 avait lavé les pieds d’une jeune musulmane dans une prison pour mineurs, demanda à Sarah de modifier les rubriques du Missel romain afin que pour le rite du lavement des pieds, on ne choisisse pas seulement des hommes ou des garçons. Cette ordre, daté du 20 décembre 2014, ne fut exécuté par la Congrégation qu’en janvier 2016 avec la publication du décret « In Missa in Cena Domini », accompagné de la lettre avec la demande du Saint-Père, presque comme pour souligner la paternité de cette décision peu appréciée, confirmée un mois plus tard dans une interview où le cardinal Sarah avait parlé de l’admission des femmes en termes de possibilité et non d’obligation, précisant que le prêtre « doit décider selon sa propre conscience, et selon l’objectif pour lequel le Seigneur a institué cette célébration ».

Au cours de l’été de la même année, il y a eu ensuite le désaveu public de la célébration de l’Eucharistie ad orientem que le cardinal Sarah avait recommandée à tous les prêtres au cours d’une conférence organisée à Londres, suivi d’une convocation à une audience avec le pontife et de la publication ultérieure d’un communiqué du bureau de presse du Saint-Siège rejetant l’expression « réforme de la réforme » utilisée par le préfet et il était question de ses propos « mal interprétés ». Quelques mois plus tard, en octobre 2016, le visage de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements fut redessiné par le remplacement de certains des membres les plus proches de la sensibilité liturgique de Benoît XVI (Burke, Ouellet, Pell et Scola) et l’affaiblissement interne consécutif de la position ratzigérienne de récupération de la richesse liturgique du passé, dont le préfet était le plus illustre représentant.

Et c’est précisément le pape émérite qui sembla descendre directement le terrain en main en défense du prélat africain qui lui est cher, lorsqu’il écrivit dans la préface de son livre « La force du silence » que « avec le cardinal Sarah, la liturgie est entre de bonnes mains ». Un aval qui a probablement eu pour effet de blinder le Guinéen à la tête du dicastère dans un moment où sa position au sein de la Curie était particulièrement faible, mais qui ne lui a pas épargné en octobre 2017 un nouveau désaveu papal, cette fois sur la traduction des textes liturgiques et l’interprétation à donner aux nouveautés du « motu proprio » Magnum Principium. Cette fois, Bergoglio demanda à Sarah de faire publier sa lettre de démenti, en guise de rectification, sur les sites web – parmi lesquels la NBQ – qui avaient précédemment publié le « Commentaire » avec les clarifications du préfet sur les changements introduits par le document papal.

Mais l’épisode le plus connu de l’intolérance envers le cardinal africain pendant le pontificat actuel est sans doute celui relatif à la publication du livre « Des profondeurs de nos cœurs » en défense du célibat sacerdotal. Il n’existe pas de reconstitution complète de ce qui s’est passé dans les heures qui ont suivi le tumulte provoqué par la présence du nom du pape émérite en tant que co-auteur d’un livre dont certains passages – dans les textes de l’éditeur Nicolas Diat et du cardinal Sarah lui-même – critiquent fortement la possibilité d’admettre même à titre exceptionnel l’ordination d’hommes mariés à proximité de la publication de l’exhortation avec laquelle le pape François devait décider de transposer ou non les conclusions du Document final du Synode. Cet imbroglio, toutefois, entre les demandes de retrait de la signature, les refus, les revendications avec de nombreuses lettres publiées sur Twitter, a été rapidement suivi par la mise au repos de Mgr Georg Gänswein, secrétaire personnel de Benoît XVI, du poste de Préfet de la Maison pontificale. L’impact médiatique de l’événement avait laissé présager que Sarah, sur le point de passer le cap fatidique des 75 ans, terminerait son mandat à la Congrégation pour le Culte Divin en juin dernier et des rumeurs circulaient déjà sur le nom de son successeur éventuel, qui aurait dû être l’évêque de Tortona, Vittorio Francesco Viola.

Le pape François avait cependant surpris tous les initiés, en reconfirmant le cardinal guinéen avec la formule donec aliter provideatur [jusqu’à ce qu’il en soit disposé autrement]. Mais hier, on a appris l’acceptation de la renonciation. Dans les semaines à venir, Sarah devrait continuer à travailler à la rédaction du Directoire sur la liturgie dont la publication doit ensuite être approuvée par le Pape.

Qui sait si son successeur, non encore nommé, sera vraiment celui qui a été désigné comme probable l’été dernier, ce Monseigneur Viola déjà pressenti pour prendre la place de Bagnasco à Gênes (revenue ensuite à Marco Tasca) et celle de Nosiglia à Turin (prolongé jusqu’à cette année). C’est un liturgiste très éloigné de la « réforme de la réforme » évoquée par le cardinal Sarah lors de la conférence de Londres de 2016, très proche de Mgr Luca Brandolini, l’évêque pour qui l’introduction de Summorum Pontificum a été « le jour le plus triste » de sa vie.

Le néo-cardinal Mauro Gambetti, nommé hier vicaire général de Sa Sainteté pour la Cité du Vatican, archiprêtre de la Basilique papale et président de la Fabrique de Saint-Pierre à la place du Cardinal Angelo Comastri, appartient au même Ordre que Viola, celui des Frères Mineurs Conventuels. L’ex-archevêque délégué pontifical de Lorette, un visage familier et très aimé des Italiens qui, en cette année de pandémie, ont suivi sa récitation du chapelet à la télévision et sur le web, avait récemment été écarté de ses fonctions de président de la Fabrique de Saint-Pierre avec la nomination d’une commission ordonnée par le pape François à la suite des enquêtes de la justice vaticane sur les contrats de restauration de la Coupole. Avec lui, un des rares curiaux à avoir « survécu » au cours de trois pontificats quitte la scène.

L’arrivée de Gambetti au Vatican, en revanche, donne encore plus de lustre à son image déjà en hausse pendant ses années de gardien du Sacré Couvent d’Assise au cours desquelles, grâce au regain d’intérêt pour la figure de Saint François avec l’explosion de la question environnementale, il a pu nouer des relations importantes et être apprécié par les autorités religieuses et civiles qui comptent.

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