Les confidences très personnelles d’une journaliste italienne (Benedetta de Vito, qui nous a parlé il y a pas très longtemps des « chaussures rouges de Benoît XVI« ), recueillies par Marco Tosatti,. Elle nous raconte à sa façon hyper sensible (et c’est un clin d’oeil, ou une réponse, aux polémiques entourant l’article d’AM Valli Rome sans Pape ) comment elle a vécu ce fameux matin du 11 février d’il y a huit ans, et ce que Rome est devenue depuis lors pour elle.

Benedetta de Vito se souvient du matin où Rome s’est retrouvée sans Pape

Il y avait un beau soleil, haut, comme une médaille, une broche précieuse dans le ciel bleu comme un drap bien tendu, il y avait la fraîcheur de février dans l’air et il y avait les légumes sur le feu, cuisant dans de grandes bouffées de vapeur, et il y avait moi qui, ce matin du 11 février, n’avait rien à faire, attendant, je crois, un coup de téléphone de Sardaigne. Soudain, juste comme ça, mais peut-être était-ce une prémonition, j’ai allumé la télévision. Ce qui s’est passé, vous le savez tous et je ne vais pas le raconter pour éviter de renouveler la douleur que j’ai ressentie dans les quelques secondes où je suis passé de l’étonnement aux larmes. J’ai éteint le feu sur la cuisinière, mis un manteau à la volée, descendu les escaliers de l’immeuble où j’habite, dans un tourbillon, puis Via dei Serpenti, et à mon mari, qui prenait un café au bar avec un ami, j’ai raconté d’une traite, la nouvelle. Il ne m’a pas cru au début, puis il est devenu comme pétrifié et aussi rouge, coloré.

C’était vrai : Rome était sans Pape. Et maintenant, d’un bond, grimpez vite avec moi dans la machine à remonter le temps et nous voilà le soir où le nouveau pape fut élu. Je me souviens de l’avoir vu émerger comme de l’obscurité et laisser échapper un « Bonsoir » qui sonnait faux. Je me souviens qu’il a dit qu’il venait « du bout du monde ». Une secousse. Et je me souviens m’être tournée vers mon mari et avoir dit « j’ai peur ». Et à l’intérieur, je sentais mon âme dévote, une enfant, rien de plus, frémir. Rome, désolée, dès ce premier instant, était, je le sentais, sans Pape.

Et nous voici aujourd’hui, dans la Rome désolée, toujours, après de nombreuses années, sans Pape. C’est une Rome triste, ennuyeuse, laissée à l’abandon par un maire, oups, une maire [Virginia Raggi, « 5 étoiles »], que j’ai vue à la messe pour le Salus Populi Romani [le 8 décembre], à Santa Maria Maggiore, une mairesse transformée en statue de sel. Ou une marionnette. Elle était là, debout au premier rang, et pourtant elle semblait être là comme par hasard, sans signe de croix, sans s’agenouiller, sans jamais montrer le moindre signe de dévotion . Un automate, escorté par ceux qui la guidaient pour s’asseoir maintenant pour se lever maintenant, pour suivre la procession jusqu’à la chapelle de l’icône peinte de Saint Luc. Un maire fané, un touriste par hasard, que je n’avais jamais vue de si près. Oui, elle m’a rappelé dans la gaucherie de mouvement la femme de Popeye. Pourtant, elle a apporté des fleurs à la Madonnina, est restée toute la messe, n’a jamais tourné la tête en arrière. Mais, oui, elle était là, et elle n’était pas là – Rome, sans maire. Rome sans pape.

Je ne veux pas poser de questions plus grandes que moi, je ne suis pas théologienne, mais je voudrais juste dire, comme simple fidèle dévote, que chaque fois que je vois et entends le Pontife régnant – ou plutôt quand mon âme d’enfant le voit et l’entend – je ressens un grand frisson intérieur et les mots me manquent. Mon cœur se macule d’angoisse et je ne me sens pas consolée par ses paroles ou sa présence. Ni, encore moins, confirmée dans ma foi.

Un ami vient à mon secours, donnant du jus et de la substance à mon propos imprécis. « Chaque croyant a une sorte d’instinct surnaturel, intérieur, qui le guide et l’aide à discerner les questions doctrinales et morales. Il s’agit du Sensus Fidei. Il manquera sans doute les citations savantes et les raisonnements subtils, mais il y a un instinct suffisant pour distinguer le vrai du faux et le bien du mal ». Et il conclut par une citation de l’Evangile de Saint Jean, chapitre 10, qui parle du vrai Berger, qui « marche devant elles et les brebis le suivent parce qu’elles connaissent sa voix. Un étranger, cependant, elles ne le suivront pas, mais le fuiront, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers ». Ainsi a parlé Jésus, et les disciples ne l’ont pas compris….

Allons. Il me semble donc que le pape, dans ses vêtements, a toujours l’air gauche, peu élégant et qu’il porte avec difficulté les vêtements sacrés qui lui reviennent. Et qu’il s’y sent, comme noyé à l’intérieur, dans un empilement de couvertures qu’il voudrait retirer d’un seul coup. Son visage, souvent revêche, émerge comme d’un supplice de tissu. Et il n’y a pas de sourire dans ses yeux. Ma petite âme d’enfant frissonne parce que l’image, la voix et tout en somme apparaît comme agacé, dans le trouble intérieur, dans l’agonie, et pas rayonnante de lumière et de soleil dans la vérité qui est une seule. La petite fille en moi, mon enfant intérieur, mon âme blessée parce que le mot « Pape » n’est pas suivi par l’image, se détourne et me dit : « Éteins la télé » ou « Regarde ailleurs ». Et je lui obéis, car elle est beaucoup plus sage que moi et vit toujours dans les doux bras du Seigneur.

Alors pour la consoler et me consoler avec elle, la pensée, revêtue de nostalgie, court vers Benoît XVI et vers le jour où, le soleil allumé glorieusement sur la place Saint-Pierre, vêtu en pape, resplendissant dans ses vêtements élégants – un pape et un père en même temps – il a dit qu’il voulait seulement faire la volonté de Dieu. Le cœur palpite à la mémoire et la glace que l’autre laisse fond. Je me souviens du sourire de mon Benni, doux Christ sur terre, qui savait émouvoir avec rien.

Et parfois, quand Rome sans le Pape mord, désolée, j’allume l’ordinateur et je m’envole, dans les images du répertoire, vers Munich, quand le Pape était le bavarois Ratzinger et sur la Marienplatz, la place principale, avec lui (qui dans ses lèvres riantes et timides a de la musique et des mots) j’écoute l’hymne national de Bavière, des mots ailés qui remplissent le cœur de joie.

« Que Dieu soit avec toi, Terre de Bavière, Terre allemande, Patrie ! Sur ton vaste territoire, pose la main bénie ».

Et je prie pour que la main du Seigneur se pose sur Rome et sur toute l’Italie, et que, sous le manteau de Marie, il nous soit donné un Pape pour nous réconforter, nous guider et nous confirmer dans la Foi.

Benedetta de Vito

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