Alors que l’Italie fait face à une catastrophe sanitaire (au moins si l’on en croit les médias) et à une crise économique sans précédent, le gouvernement Draghi, récemment aux commandes (sans élections) n’a rien de plus urgent à faire que de… supprimer la censure au cinéma. Une de ces lois sociétales qui ne coûte rien à celui qui les promulgue, mais fait plaisir aux électeurs qui comptent (on devine lesquels), en attaquant la bigoterie catho! De toute façon, la prétendue censure était devenue une coquille vide. Alors que fait rage celle, féroce, du politiquement correct, nous rappelle ici Rino Cammilleri.

Marlon Brando dans « Le dernier tango à Paris »

Voilà ce qu’on peut lire à ce sujet sur Internet. Il s’agit d’une dépêche triomphante de l’AFP, qui donne le ton puisqu’elle est ou sera évidemment reprise par l’ensemble des médias francophones:

Le gouvernement italien a mis au rebut les ciseaux ayant mis à l’index des chefs-d’œuvre du cinéma comme « Le dernier tango à Paris », victime comme tant d’autres de la censure qui sévissait depuis 1914.
Dorénavant, il ne sera plus possible d’interdire la sortie en salle d’un film ou de la conditionner à des coupes ou modifications sur la base de motivations morales ou religieuses.

« Avec l’abolition de la censure au cinéma, nous sortons définitivement du système de contrôle et d’intervention qui permettait à l’Etat de s’immiscer dans la liberté de création des artistes », s’est réjoui dans un communiqué le ministre de la Culture Dario Franceschini, membre du Parti démocrate (PD, centre-gauche) dans le gouvernement de coalition de Mario Draghi.

*

https://information.tv5monde.com/culture/cinema-clap-de-fin-pour-la-censure-en-italie-403649

Sur la Bussola, Rino Cammilleri ne voit pas vraiment les choses de la même façon, au moins en ce qui concerne « Le dernier tango »:

Le tristement célèbre Dernier Tango à Paris n’aurait été apprécié que par des cinéphiles « engagés » s’il n’avait pas été censuré. C’est ainsi qu’il est devenu un film culte, relançant la carrière de Marlon Brando au bord de l’effondrement et inaugurant pour une certaine période la coutume très raffinée d’offrir du beurre aux jeunes mariés.

Et il poursuit:

Adieu la censure, mais aujourd’hui, c’est le politiquement correct qui s’en charge

Rino Cammilleri
La NBQ
7 avril 2021
Ma traduction

(…) Il est singulier que l’abolition de l’Index des films interdits intervienne à un moment où un autre Index, plus féroce, étend son linceul sur l’Occident: le Politiquement correct, qui censure les mots, les blagues, les caricatures, les opinions, les gestes et les expressions contraires à l’Idéologie dominante. Au moins l’ancienne Inquisition permettait la défense, les témoins à décharge, un procès équitable, un avocat.

Non, maintenant, il y a le lynchage, la perte d’emploi, la mort civile, les centres sociaux qui attendent à votre porte pour vous faire payer, D’Urso [célèbre animatrice télé] qui envoie des journalistes à vos trousses, les médias qui vous mettent, vous et vos proches, en première page, vos enfants qui sont malmenés à l’école et dans la rue.

Donc, c’est vrai : la censure cinématographique est obsolète. Les enfants n’ont besoin que d’un téléphone portable pour accéder à toute la pornographie qu’ils souhaitent, y compris celle zoophile, sado-masochiste, bondage, avec des mineurs, avec des femmes enceintes, ethnique. Les parents les plus sages et les plus compétents recourent à ce que l’on appelle le contrôle parental ou interdisent les smartphones jusqu’à un certain âge. Mais ensuite, l’enfant, à l’école, regarde celui de son camarade de classe dont les parents sont séparés et en guerre les uns contre les autres.

Bien sûr, cela dérange un peu quelqu’un qui pense comme moi de constater que certains films (qui, en d’autres temps, auraient été censurés) sont financés par des fonds publics. C’est-à-dire mon argent. Ou que la RAI, toujours avec mon argent, produise des œuvres « d’intérêt culturel » comme celle sur Léonard de Vinci, et qu’en prime time on se retrouve face à un baiser « homo » à la française. Sans que le parent ait pensé à activer le contrôle parental puisqu’une telle surprise n’était pas prévue.

Je suis seulement désolé pour ces pauvres réalisateurs qui ont compté sur le « scandale » pour faire connaître des œuvres médiocres quand elles ne sont pas simplement crétines. Ils devront faire des pirouettes mentales pour trouver quelque chose de « transgressif » dans un monde où la seule chose vraiment transgressive est d’aller réciter le chapelet devant le Tabernacle.

Et donc, allons-y, avec des actrices et des acteurs désormais indiscernables des prostituées: pauvres gens, ce qu’ils doivent faire pour un peu d’argent et quatre photos sur le red carpet! Tout a commencé quand un juge, un de la vieille garde, s’est prononcé contre la Cicciolina et le tango au beurre. Il s’est mis à dos Pannella, les médias et les bobos. C’était prévisible, bien sûr, mais pas qu’il ait été laissé complètement seul par les institutions (et les collègues).

Depuis lors, après qu’on ait ouvert les yeux, les mailles de la censure se sont élargies de plus en plus. Jusqu’à ce qu’elle devienne le pâle simulacre qui, aujourd’hui, est même officiellement démoli. Il ne nous reste qu’une chose à faire: changer de chaîne et ne plus aller au cinéma. Même pas pour voir Disney.

Share This