Suite de l’enquête du blog spécialisé italien de Pierachille Dolfini: Ludwig van Beethoven. En lisant (ou relisant) les discours, et en oubliant que c’est un Pape qui les prononce, au-delà de l’érudition impressionnante, et de la connaissance technique indubitable qui les sous-tend, on ne peut qu’être subjugués par la beauté des mots, le ciselé de la langue, qui font de ces « critiques musicales » d’authentiques joyaux

Le magistère du pape Ratzinger sur la musique classique

Deuxième partie

Ludwig van Beethoven

IV. Ludwig van Beethoven (1770-1827)

« La Symphonie n° 9 en ré mineur, cet imposant chef-d’œuvre, qui appartient au patrimoine universel de l’humanité, suscite toujours à nouveau mon émerveillement. »

Benoît XVI a proposé sa réflexion sur le chef-d’œuvre de Ludwig van Beethoven à deux reprises.

La première a eu lieu après que la grande page a retenti, en octobre 2007, dans la salle Paul VI, sous la direction de Mariss Jansons à la tête de l’orchestre et du chœur de la Bayerische rundfunk.

Après des années d’auto-isolement et de vie retirée, au cours desquelles Beethoven a dû lutter contre des difficultés internes et externes qui lui ont causé une dépression et une profonde amertume et ont menacé d’étouffer sa créativité artistique, le compositeur désormais totalement sourd, en l’an 1824, surprend le public avec une composition qui rompt la forme traditionnelle de la symphonie et, dans la coopération de l’orchestre, du chœur et des solistes, s’élève vers un extraordinaire final d’optimisme et de joie.

Que s’est-il passé? se demande le Pontife.

Pour les auditeurs attentifs, la musique elle-même laisse entrevoir quelque chose qui sous-tend cette explosion inattendue de jubilation. L’immense sentiment de joie transformé ici en musique n’est pas quelque chose de léger et de superficiel: c’est un sentiment conquis au prix d’un dur labeur, surmontant le vide intérieur de ceux que la surdité avait poussés à l’isolement – les ailes vides au début du premier mouvement et l’irruption répétée d’une atmosphère sombre en sont l’expression. La solitude silencieuse, cependant, avait enseigné à Beethoven une nouvelle façon d’écouter qui allait bien au-delà de la simple capacité à ressentir dans l’imagination le son des notes lues ou écrites. Dans ce contexte, je me souviens d’une expression mystérieuse du prophète Isaïe qui, parlant d’une victoire de la vérité et du droit, disait: « Ce jour-là, les sourds entendront les paroles d’un livre; libérés des ténèbres et de l’obscurité, les yeux des aveugles verront ».

Joseph Ratzinger médite, concluant que

Dieu – parfois précisément à travers des périodes de vide et d’isolement intérieur – veut nous rendre attentifs et capables de « sentir » sa présence silencieuse non seulement « au-dessus du ciel étoilé », mais aussi dans les profondeurs de notre âme. C’est là que brûle l’étincelle d’amour divin qui peut nous libérer de ce que nous sommes vraiment.

Écoutez ici la Symphonie n° 9 de Ludwig van Beethoven dirigée par Mariss Jansons.

Plus ample encore est la réflexion que Benoît XVI a prononcée le 1er juin 2012 à la Scala de Milan après La Neuvième proposée par Daniel Barenboim avec l’orchestre et le chœur des Piermarini.

La gestation de la symphonie a été longue et complexe, mais dès les fameuses seize premières mesures du premier mouvement, un climat d’attente de quelque chose de grandiose est créé et l’attente n’est pas déçue. Beethoven, même s’il a suivi en grande partie les formes et le langage traditionnels de la symphonie classique, nous a fait percevoir quelque chose de nouveau déjà par l’ampleur sans précédent de tous les mouvements de l’œuvre, ce qui est confirmé par la partie finale introduite par une terrible dissonance, d’où le récitatif avec les célèbres mots ‘O amis, pas ces tons, entonnons-en d’autres plus attrayants et joyeux‘, mots qui, dans un certain sens, tournent la page et introduisent le thème principal de l’Ode à la joie. C’est une vision idéale de l’humanité que Beethoven dessine avec sa musique. Ce n’est pas une joie proprement chrétienne que Beethoven chante, c’est la joie, cependant, de la coexistence fraternelle des peuples, de la victoire sur l’égoïsme, et c’est le désir que le chemin de l’humanité soit marqué par l’amour, presque une invitation qu’il adresse à tous au-delà de toutes les barrières et convictions.

Un concert qui a eu lieu quelques heures seulement après le tremblement de terre qui a frappé l’Émilie-Romagne et la province de Mantoue. Joseph Ratzinger réfléchit:

Les mots tirés de l’Ode à la joie de Schiller nous semblent aussi vides de sens qu’ils nous semblent faux. Nous ne ressentons pas du tout les étincelles divines de l’Elysée. Nous ne sommes pas ivres de feu, mais plutôt paralysés par le chagrin devant tant de destruction incompréhensible qui a coûté des vies, qui a emporté les maisons et les logements de tant de personnes. Même l’hypothèse qu’au-dessus du ciel étoilé doit résider un bon père nous semble discutable. Le bon père est-il seulement au-dessus du ciel étoilé ? Sa bonté ne s’étend-elle pas jusqu’à nous? Nous cherchons un Dieu qui ne reste pas à distance, mais qui entre dans nos vies et nos souffrances.

Puis il avertit:

En cette heure, les mots de Beethoven, Amis, pas ces tons…, nous voudrions presque les référer précisément à ceux de Schiller. Pas ces tons. Nous n’avons pas besoin d’un discours irréel sur un Dieu lointain et une fraternité non engagée. Nous sommes à la recherche du Dieu proche. Nous sommes à la recherche d’une fraternité qui, au milieu de la souffrance, soutient l’autre et aide ainsi à aller de l’avant. Après ce concert, beaucoup se rendront à l’adoration eucharistique – au Dieu qui s’est mis dans nos souffrances et continue à le faire. Au Dieu qui souffre avec nous et pour nous et qui a ainsi rendu les hommes et les femmes capables de partager la souffrance de l’autre et de la transformer en amour.

Écoutez ici la Symphonie n° 9 de Ludwig van Beethoven dirigée par Daniel Barenboim.

Daniel Barenboim sur la scène à La Scala. Comme, à Castel Gandolfo, quelques mois plus tard. De nouveau pour Beethoven avec le West Easter divan orchestra, une formation qui voit des musiciens israéliens et arabes côte à côte, pour la Symphonie n° 5 en do mineur et la Symphonie n° 6 en fa majeur, la célèbre Pastorale.

Ces deux pages célèbres expriment deux aspects de la vie: le drame et la paix, la lutte de l’homme contre le destin adverse et l’immersion apaisante dans l’environnement bucolique. Beethoven a travaillé sur ces deux œuvres, en particulier sur leur achèvement, presque simultanément. À tel point qu’ils ont été joués pour la première fois ensemble lors du mémorable concert du 22 décembre 1808 à Vienne. Le message que je voudrais retenir d’eux aujourd’hui est le suivant: pour parvenir à la paix, nous devons nous engager, en laissant de côté la violence et les armes, nous engager par la conversion personnelle et communautaire, par le dialogue, par la recherche patiente de compréhensions possibles.

Paroles de Joseph Ratzinger.

Écoutez ici la Symphonie n° 5 de Ludwig van Beethoven dirigée par Leonard Bernstein.

Écoutez ici la Symphonie n° 6 de Ludwig van Beethoven dirigée par Daniele Gatti.

Le Maggio Musicale Fiorentino et Zubin Mehta présentent la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur Eroica à la Salle Paul VI.

Une œuvre complexe qui marque clairement une rupture avec le symphonisme classique de Haydn et Mozart. Comme on le sait, elle était dédiée à Napoléon, mais le grand compositeur allemand a changé d’avis après que Bonaparte se soit proclamé empereur, changeant le titre en: « composé pour célébrer la venue d’un grand Homme ». Beethoven exprime musicalement l’idéal du héros porteur de la liberté et de l’égalité, qui est confronté au choix de la résignation ou de la lutte, de la mort ou de la vie, de la capitulation ou de la victoire; et la symphonie décrit ces états d’âme avec une richesse de couleurs et de thèmes jusqu’alors inconnue

… commente Benoît XVI, en regardant la deuxième partie de la symphonie, la célèbre Marche funèbre.

Une méditation sincère sur la mort, qui commence par une première section aux tonalités dramatiques et désolées, mais qui contient, dans la partie centrale, un épisode serein chanté par le hautbois, puis la double fugue et les coups de trompette : la pensée de la mort invite à réfléchir sur l’au-delà, sur l’infini. Dans ces années-là, Beethoven, dans son testament d’Heiligenstadt en octobre 1802, écrivait : « Ô Dieu, d’en haut Tu regardes mon être le plus intime, Tu le connais et Tu sais qu’il est plein d’amour pour l’humanité et de désir de faire le bien ». La quête de sens qui ouvre sur une solide espérance pour l’avenir fait partie du parcours de l’humanité.

Écoutez ici la Symphonie n° 3 de Ludwig van Beethoven dirigée par Zubin Mehta.

A suivre

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