Le schisme annoncé, qui existait déjà de facto depuis des années, s’est consommé hier (on pourrait dire en douceur) publiquement à travers un acte très médiatisé mais limité en nombre: la bénédiction de couples homosexuels par des prêtres dans une centaine de centres dans toute l’Allemagne. Seulement… Beaucoup de bruit pour rien, donc? Non, car le fait de défier Rome au grand jour est hautement symbolique. Il revient aujourd’hui aux évêques, dont la position a été jusqu’à présent très ambigüe, de réagir. Sans doute ne le feront-ils pas. Et que va faire Rome? Compte-rendu de Nico Spuntoni sur la Bussola.

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Don whisky « bénit » un couple de lesbiennes dans sa paroisse de Münich

Allemagne, schisme en cours. Les évêques doivent se manifester

Nico Spuntoni
11 mai 2021
La NBQ
Ma traduction

Des curés et des prêtres allemands ont décidé de désobéir au pape et de bénir des couples de même sexe. La rupture, annoncée depuis un certain temps, a été consommée avec éclat dans une centaine d’églises adhérant à l’initiative #liebegewinnt (l’amour gagne). La position de l’épiscopat allemand était ambiguë. Un épiscopat qui est à présent appelé à réagir à un acte de désobéissance.

Nous sommes en Allemagne et il y a un mur qui s’effrite. C’est le mur d’unité de l’Église catholique qui a été cogné par les prêtres et les curés allemands qui ont décidé de désobéir à Rome et de bénir les couples de même sexe. La rupture, annoncée depuis un certain temps, a été consommée de manière spectaculaire dans une centaine d’églises adhérant à l’initiative #liebegewinnt (l’amour gagne).

Hier, vers 19 heures mais aussi à d’autres moments, la plupart des bénédictions rebelles se sont concentrées dans quelque soixante-dix villes du pays, notamment dans le Nord-Ouest. Un avant-goût de ce qui devait se passer ensuite avait déjà eu lieu les jours précédents dans certaines paroisses : dans celle dédiée à Saint-Benoît, dans le quartier de Schwanthalerhöhe à Munich, c’est don Wolfgang F. Rothe [photo ci-dessus, ndt] – l’un des prêtres arc-en-ciel les plus actifs du pays – qui a imposé ses mains sur la tête des couples arrivés pour répondre à l’appel du mouvement Maria 2.0. La scène s’est déroulée sous le regard attentif de deux policiers, appelés par l’organisateur de l’événement après qu’un homme eut annoncé au téléphone de la paroisse son intention d’y assister pour réciter un chapelet de réparation. Dans les jours précédant l’initiative, Rothe n’a pas lésiné sur les interviews très critiques à l’égard de Rome, allant même jusqu’à accuser le pape François de « susciter à intervalles réguliers des espoirs qui ne sont ensuite pas satisfaits, voire brutalement écrasés ». « Don Whisky », surnom par lequel il se fait appeler en raison de sa passion pour cet alcool, a souligné sur son profil Twitter comment la manifestation qu’il a présidée à Saint-Benoît a été rapporté positivement dans un article du portail en ligne et dans une émission de la radio officielle de l’archidiocèse de Munich et Freising [dont le titulaire est le cardinal Marx, ndt]. Une affirmation qui, même si elle est implicite, en dit long sur l’attitude des rebelles du clergé : tout en attaquant le pape François et la Congrégation pour la doctrine de la foi pour avoir confirmé l’enseignement ecclésial, ils font un clin d’œil à l’épiscopat allemand qui a contesté le Responsum et ne s’est que faiblement dissocié des bénédictions protestataires.

On pourrait croire, en lisant le tweet de Rothe, que l’Église allemande ne pouvait pas se ranger explicitement du côté de l’initiative #liebegewinnt, mais qu’elle aurait aimé le faire et qu’elle tente en quelque sorte de compenser ce manque en lui donnant un écho sur ses canaux officiels. Cela suffit à donner une bonne idée de la situation du catholicisme en Allemagne qui, il y a huit ans encore, avait même un Pape et qui se retrouve aujourd’hui avec un groupe agressif de religieux et de laïcs prêts à faire publiquement la guerre à son successeur, conforté en cela par la majorité des évêques qui n’ont eu aucun problème à rejeter une décision qu’il avait approuvée.

Le bilan de la campagne de protestation, qui a atteint son point culminant hier, est celui de 110 centres répartis dans tout le pays pour bénir « tous les amoureux » : de Berlin à Munich, de Dortmund à Duisbourg, de Francfort à Hambourg, de Hanovre à Cologne, de Mayence à Stuttgart et autres. De nombreux prêtres réfractaires ont choisi d’arborer un drapeau arc-en-ciel au pied de l’autel pendant l’événement et ont déjà annoncé que la journée d’hier n’était que le début d’une pratique qui deviendra quotidienne, où les couples en feront la demande. Les bénédictions interdites, en fait, ont déjà eu lieu auparavant, mais l’initiative d’hier marque la volonté de défier Rome au grand jour et de le faire de manière organisée et non individuelle. Le père Stefan M. Huppertz, recteur de la Liebfrauenkirche de Francfort-sur-le-Main et l’un des religieux qui ont rejoint la manifestation, a admis qu’il offrait ce service depuis un certain temps, se disant convaincu qu’il ne s’agit pas d’un acte de provocation. En vérité, l’esprit même de l’initiative simultanée d’hier était ouvertement en opposition avec le Responsum signé par le Cardinal Préfet Ladaria qui réitère ce qui est déjà énoncé dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique.

Certains des rebelles allemands, forts du consensus médiatique et de la réaction timide de la Conférence épiscopale face à leur campagne, ont déjà décidé de relever la barre du défi auprès du Vatican, allant jusqu’à demander la béatification des couples de même sexe comme l’a fait Don Carsten Leinhäuser, curé de Winnweiler, à travers une pétition.

Finalement, en écoutant également les sermons prononcés hier par les prêtres qui avaient épousé la cause, on a pu constater que le risque que l’événement devienne un « instrument de manifestations politiques ecclésiastiques » – comme l’avait dénoncé la Conférence épiscopale allemande dans sa faible prise de position – était plus que concret. Presque partout, la polémique contre Rome a semblé l’emporter sur le bien-être pastoral et spirituel de chaque fidèle à tendance homosexuelle à qui – rappelons-le – l’Église ne refuse aucune bénédiction.

Que vont faire maintenant les évêques allemands face à une manifestation aussi flagrante de désobéissance au Pape et même – au moins formellement – à leurs propres indications ? Il est peu probable qu’il y ait des sanctions, comme en témoignent les réactions de deux évêques, Helmut Dieser d’Aix-la-Chapelle et Franz-Josef Overbeck d’Essen, qui ont laissé les prêtres de leurs diocèses libres de décider selon leur conscience de participer ou non aux bénédictions collectives. Malgré la note réprobatrice de la Conférence épiscopale, il n’est pas exclu que la protestation d’hier donne de la force à ceux qui veulent que la question de la bénédiction des couples de même sens soit discutée – en arrivant à une solution favorable – au sein du Chemin synodal. De son côté, Mgr Georg Bätzing avait pris ses distances avec l’initiative, en en faisant une question de méthode plus que de fond et en souhaitant que la question puisse être discutée dans le lieu le plus approprié, identifié précisément dans le Chemin synodal. Bien sûr, tout l’épiscopat allemand n’est pas sur cette ligne : les évêques de Cologne, Fribourg, Erfurt, Passau, Ratisbonne, Eichstätt et Görlitz ont accueilli favorablement le Responsum de l’ex Saint-Office et auront probablement observé les événements d’hier avec souffrance et inquiétude.

L’Église allemande ressemble donc de plus en plus à un baril de poudre. Les bénédictions interdites pourraient-elles être la mèche décisive qui le fait exploser ?

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