Après la réserve prudente opposée aux rebelles allemands, voici que la CDF répond dans le même esprit aux évêques américains qui lui demandaient comment traiter les politiciens pro-avortement (suivez mon regard) recevant quand même la communion. En substance: faites comme vous l’entendez, mais surtout, pas de vague. Une nouvelle preuve de l’impuissance (et du désengagement) de l’autorité suprême. Et un nouveau camouflet au Pape émérite, auteur d’une lettre définitive sur le sujet en tant que préfet de la CDF. L’analyse de Stefano Fontana.

Communion aux politiciens pro-avortement: à Rome, il y a Pilate

Stefano Fontana
La NBQ
12 mai 2005
Ma traduction

Communion à Biden (et aux autres politiciens catholiques pro-avortement) oui ou non? Le dilemme qui divise l’Eglise américaine a reçu hier une réponse de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui refuse avec éclat, d’aborder le fond. Elle se limite à des indications de procédure, demandant en substance que, quelle que soit la décision, il y ait unanimité parmi les évêques. C’est-à-dire que chaque évêque continuera à se comporter comme il l’entend. L’indication donnée par le cardinal Ratzinger en 2004 dans une lettre aux évêques américains a même été ignorée.

Les élections présidentielles américaines ont mis en évidence la position d’un homme politique catholique, le président Biden, qui, chaque dimanche, va à la messe et reçoit la communion eucharistique tout en soutenant ouvertement et « agressivement » – selon les termes du cardinal Burke – l’avortement.
Le programme mis en œuvre par lui et la vice-présidente Harris en cette première période de leur présidence est tout simplement dévastateur pour la protection de la vie des personnes conçues. Beaucoup, tant pendant la campagne qu’après les élections, ont affirmé que le président ne devrait pas s’approcher de l’Eucharistie et, comme lui, tout politicien catholique qui soutient le crime de l’avortement et de l’euthanasie, c’est-à-dire le meurtre de personnes innocentes. Au sein de l’épiscopat américain, cependant, tout le monde ne pense pas de cette façon. Le président Gómez, évêque de Los Angeles, a donc écrit à Rome, informant la Congrégation pour la doctrine de la foi de la volonté de la Conférence des évêques d’aborder le problème.

Hier, la lettre avec laquelle le Préfet de la Congrégation, Mgr Ladaria, a répondu a été rendue publique. En bref, les indications étaient au nombre de trois : a) toute « politique nationale sur la dignité de la Communion » doit bénéficier de l’unanimité des évêques, b) elle ne doit pas usurper l’autorité d’un évêque en la matière ni porter atteinte aux prérogatives du Saint-Siège, c) elle doit procéder d’un dialogue en deux étapes, d’abord des évêques entre eux, puis des évêques avec les politiciens catholiques. Le préfet Ladaria demande donc l’accord de tous les évêques afin d’éviter les visions fallacieuses et les invite à ne pas faire croire que l’avortement et l’euthanasie sont les seuls éléments importants à prendre en compte dans l’activité d’un homme politique catholique.

La première chose qui vient à l’esprit face à cette position est que la Congrégation pour la doctrine de la foi, la plus haute autorité de la Curie romaine en matière de doctrine, ne se prononce absolument pas sur le fond doctrinal de la question, mais donne seulement des indications de procédures. On s’attendrait à une attitude différente de la part d’une Congrégation qui est appelée à dire le (l’avant-)dernier mot précisément sur des questions controversées, face auxquelles elle ne fait au contraire qu’inviter au dialogue et à l’accord. C’est comme lorsque sept évêques allemands, en désaccord avec la majorité, ont demandé au pape François de dire un mot décisif sur la question de l’intercommunion avec les protestants et que le pape, en réponse, a invité les évêques à dialoguer et à trouver un accord entre eux. La lettre de Ladaria est donc aussi une expression de la crise de l’autorité dans l’Église. Une congrégation qui ne répond pas aux questions doctrinales ne semble pas servir à grand-chose.

L’autre question de longue date qui revient à la surface dans la lettre, outre celle de l’autorité, est le rôle des conférences épiscopales. La Congrégation demande l’unité sur cette question. À première vue, cette demande suscite une grande inquiétude. La Congrégation ne donne pas d’indications sur le fond, elle invite seulement au dialogue, mais alors le résultat du dialogue pourrait être l’une ou l’autre solution et l’unité pourrait être fondée uniquement sur elle-même, indifférente au contenu de la vérité. Il m’est impossible de penser que Ladaria pense ainsi, même si une grande partie de la théologie actuelle donnerait raison à cette attitude axée sur l’unité plutôt que sur la vérité.

On en vient donc à penser que l’unité est nécessaire pour empêcher la Conférence épiscopale d’usurper la dignité canonique des évêques. Théologiquement, la Conférence des évêques n’est rien, alors que chaque évêque fidèle au pape est le successeur des Apôtres. L’unanimité garantirait que les décisions ne portent pas atteinte à la dignité épiscopale de chaque évêque. Mais une autre interprétation est également possible : l’unité par le dialogue est proposée parce qu’elle retarde indéfiniment toute décision en la matière, et le respect de la dignité de chaque évêque [la lettre cite le n. 24 du document Apostolos suos] est fortement demandé afin que les Ordinaires opposés à l’exclusion des Biden de la communion puissent encore le faire. La Congrégation ne répond pas, allonge le temps vers une unité inaccessible, et permet aux différents évêques de type Cupich de minimiser la gravité des politiques d’avortement « agressives ».

Enfin, il y a un autre aspect assez étrange dans la lettre de Ladaria. Il rappelle une lettre envoyée par le Préfet Ratzinger en 2004 aux évêques américains [cf Annexe, ndt] dans laquelle des indications claires étaient données sur la question : l’évêque devait appeler le politicien pro-avortement, lui exposer la doctrine catholique, l’inviter à abandonner ses propres positions, lui laisser le temps de reconsidérer et, ensuite, s’il continuait sur la même voie, il devait l’inviter à ne pas venir à la messe pour recevoir la communion, qui pouvait lui être refusé. Ces indications faisant autorité sont minimisées par Ladaria, car elles sont contenues dans une communication privée. Il nous invite à les lire à la lumière de la Note de 2002 signée par Ratzinger sur l’engagement des catholiques en politique, où, cependant, il n’est pas question de l’accès à la Communion. Il se trouve ainsi que la note de loin la plus ignorée par les évêques devient aujourd’hui une justification pour corriger les indications du cardinal Ratzinger, données peu avant qu’il ne devienne pape.

Annexe

Dignité de recevoir la Sainte communion.  Principes généraux

par Joseph Ratzinger

(Source: Sandro Magister)

1. Se présenter pour recevoir la sainte communion devrait être une décision consciente, basée sur un jugement raisonné concernant sa propre dignité à le faire, selon le critère objectif de l’Église, en se posant des questions telles que : « Suis-je en pleine communion avec l’Église catholique ? Suis-je coupable d’un péché grave ? Suis-je sous le coup d’une peine (p.ex. excommunication, interdit) qui m’empêche de recevoir la Sainte Communion ?  Me suis-je préparé en jeûnant au moins une heure ? ».  La pratique consistant à se présenter sans discernement pour recevoir la sainte communion, en tant que simple conséquence du fait d’être présent à la messe, est un abus qui doit être corrigé (cf. Instruction « Redemptionis Sacramentum », nos 81, 83).

2. L’Église enseigne que l’avortement et l’euthanasie sont des péchés graves. La lettre encyclique Evangelium vitae, qui se réfère aux décisions judiciaires ou aux lois civiles qui autorisent ou font la promotion de l’avortement ou de l’euthanasie, affirme clairement qu’il y a une « obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience. […] Dans le cas d’une loi intrinsèquement injuste, comme celle qui admet l’avortement ou l’euthanasie, il n’est donc jamais licite de s’y conformer, ‘ni … participer à une campagne d’opinion en faveur d’une telle loi, ni … donner à celle-ci son suffrage’ (no 73).  Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu. En effet, du point de vue moral, il n’est jamais licite de coopérer formellement au mal.  […]  Cette coopération ne peut jamais être justifiée en invoquant le respect de la liberté d’autrui, ni en prenant appui sur le fait que la loi civile la prévoit et la requiert » (no 74).

3. Toutes les questions morales n’ont pas le même poids moral que l’avortement et l’euthanasie. Par exemple, si un catholique était en désaccord avec le Saint-Père sur l’application de la peine capitale ou sur la décision d’entrer en guerre, il ne serait pas pour cette raison considéré indigne de se présenter pour recevoir la sainte communion. Bien que l’Église exhorte les autorités civiles à chercher la paix et non la guerre et à faire preuve de miséricorde et de prudence quand il s’agit de punir les criminels, il peut toujours être légitime de prendre les armes pour repousser un agresseur ou de recourir à la peine capitale.  Il peut il y avoir des divergences d’opinion, y compris au sein des catholiques, au sujet du fait d’entrer en guerre et d’appliquer la peine de mort mais ce n’est pas le cas en revanche quand il s’agit de l’avortement et de l’euthanasie.

4. Outre le jugement individuel concernant sa propre dignité à se présenter pour recevoir la sainte eucharistie, le ministre de la sainte communion peut lui-même se trouver dans une situation où il doit refuser de distribuer la sainte communion à quelqu’un, comme dans les cas d’une excommunication déclarée, d’un interdit déclaré ou de la persistance dans un péché grave manifeste (cf. canon 915).

5. Concernant le péché grave d’avortement ou d’euthanasie, quand la coopération formelle d’une personne devient manifeste (ce qui, dans le cas d’un homme politique catholique, s’entend par le fait de faire régulièrement campagne pour des lois permissives en matière d’avortement et d’euthanasie), son pasteur devrait s’entretenir avec lui pour l’informer de l’enseignement de l’Église, l’informer qu’il ne doit pas se présenter pour recevoir la sainte communion tant qu’il ne met pas fin à sa situation de péché objective et l’avertir qu’autrement, on lui refusera l’Eucharistie.

6. Quand « ces précautions n’ont pas eu d’effet ou non pas été possibles » et que la personne en question, avec une persistance obstinée, se présente malgré tout pour recevoir la sainte communion, « le ministre de la distribution de la communion doit se refuser de la donner » (cf. Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs, « Déclaration sur la communion pour les personnes divorcées et remariées [24 juin 2000] », nos 3-4). Cette décision n’est pas une sanction ni une punition à proprement parler. Pas plus que le ministre de la sainte communion ne pose un jugement sur la culpabilité subjective de la personne, il s’agit plutôt d’une réaction à l’indignité publique de la personne à recevoir la sainte communion à cause d’une situation objective de péché.

[N. B.  Un Catholique se rendrait coupable de coopération formelle avec le mal et serait donc indigne de se présenter lui-même pour recevoir la sainte communion s’il votait délibérément pour un candidat précisément à cause de la position permissive de ce candidat en matière d’avortement ou d’euthanasie.  Lorsqu’un Catholique ne partage pas la position d’un candidat en faveur de l’avortement ou de l’euthanasie mais vote pour ce candidat pour d’autres raisons, il s’agit d’une coopération matérielle éloignée, qui peut être permise en présence de raisons proportionnées.]

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