Une Eglise divisée dans un pontificat diviseur: le Pape est en train de remodeler non seulement le Sacré Collège mais aussi l’ensemble de la Curie, exactement à son image. Etonnant de la part d’un pontife qui a fait de la collégialité et d’une forme de démocratisation sa marque de fabrique. Cela s’appelle verrouiller sa succession, et c’est l’exact opposé de ce qu’avait fait Benoît XVI (auquel les reproches n’ont pas manqué contre ses nominations cardinalices et le choix de collaborateurs et chefs de de dicastère – Marx, Bertone, Ravasi, Paglia, etc.), soucieux, comme il l’avait confié dans une belle formule aux évêques français à Lourdes en 2008 « que la tunique sans couture du Christ ne se déchire pas davantage ». Tour d’horizon, très intéressant comme toujours, d’Andrea Gagliarducci (lire particulièrement la conclusion!).

Le pape François démontre qu’il a un plan à long terme, et qu’il l’a toujours eu. Outre les changements au sein de la Curie, le pape a considérablement modifié le Collège des cardinaux, avec sept consistoires en sept ans (un chiffre énorme, si l’on considère que Jean-Paul II en a convoqué neuf en 27 ans), et il pourrait le faire davantage, notamment en élargissant la base électorale.

Le pape « humble »: retraite de Carême…

Le pape François et les principaux changements au sein de la Curie romaine

Andrea Gagliarducci
Vatican Reporting
8 mai 2021
Ma traduction

Le cardinal Robert Sarah a quitté son poste de préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (en fait, le ministère de la liturgie de la Curie romaine) le 20 février dernier. Depuis lors, le poste de préfet est resté vacant, et la nomination d’un successeur est attendue prochainement. C’est avec cette nomination que le changement de génération de la Curie romaine va commencer. C’est l’année de la transition définitive.

La Curie est l’ensemble des organes et des services qui aident le pape dans le gouvernement de l’Église universelle et des Églises particulières. Il s’agit du cabinet de gouvernement du Saint-Siège. Actuellement, les fonctions et les tâches des organes de la Curie sont régies par une constitution apostolique, Pastor Bonus, promulguée par saint Jean-Paul II en 1988. Une constitution apostolique, pour ceux qui ne le savent pas, est un document de grande importance, émis par le pape lui-même lorsqu’il s’agit de déclarations magistérielles ou d’actes qui requièrent une certaine solennité.

Il a fallu vingt ans d’études et de commissions pour arriver à la réforme de Jean-Paul II, en partant précisément des réformes de Paul VI qui ont suivi le Concile Vatican II. Finalement, la Curie a été structurée en Congrégations et en Conseils pontificaux, c’est-à-dire, en termes simples, en « ministères avec portefeuille » et « ministères sans portefeuille ». Les congrégations sont toujours dirigées par un cardinal, les conseils pontificaux par un cardinal ou un archevêque. Ils doivent cependant avoir la dignité épiscopale, car ils travaillent en communion avec le Pape.

Jean-Paul II avait structuré une Curie avec la Secrétairerie d’État, neuf congrégations, onze conseils pontificaux, trois tribunaux. Benoît XVI a ajouté un conseil pontifical. Le pape François est en train de réécrire la Constitution, mais en attendant, il a déjà commencé à mettre en pratique une partie de la réforme.

Actuellement, la Curie est composée de : deux Secrétariats (la Secrétairerie d’État et le Secrétariat à l’Économie), neuf Congrégations, trois dicastères, cinq conseils pontificaux. S’y ajoutent d’autres bureaux, commissions et organismes tels que la Préfecture de la Maison pontificale et le Bureau des célébrations liturgiques du Pape.

Il y aura d’autres changements, et la promulgation de la constitution Praedicate Evangelium, qui remplacera la Curie telle qu’elle a été conçue par Jean-Paul II, est attendue prochainement.

Entre-temps, le pape François a déjà commencé à redessiner la Curie à son image.

Si l’on considère les préfets, les présidents, les secrétaires et les chefs des trois sections de la Secrétairerie d’État, ainsi que les vicaires du pape pour le diocèse de Rome et l’État de la Cité du Vatican, on compte 32 postes de haut niveau. Parmi ceux-ci, 23 sont le fait de personnes nommées par le pape François. Dans trois cas, les prédécesseurs avaient également été nommés par le pape François : le préfet du dicastère de la communication, Paolo Ruffini, a été précédé par Mgr Dario Edoardo Viganò ; le préfet du secrétariat pour l’économie, le père Antonio Guerrero Alves, a succédé au cardinal George Pell ; et le secrétaire du secrétariat général du synode, le cardinal Mario Grech, a succédé au cardinal Lorenzo Baldisseri.

Pour ses changements, le pape François a presque toujours attendu que la personne à remplacer atteigne ou dépasse l’âge de 75 ans, qui est l’âge auquel tous les évêques sont tenus de présenter leur démission. En fin de compte, il n’y a pas eu de renvois réels. Dans certains cas, le pape François, comme tous les papes l’ont fait, a laissé la personne en poste au-delà de l’âge de 75 ans. Il l’a fait avec le cardinal Sarah, qui est parti un peu avant ses 76 ans. Or, le fait que le poste de préfet de ce dicastère soit resté vacant laisse penser que beaucoup de choses vont changer.

Outre le cardinal Sarah, il existe cinq congrégations dont les préfets ont déjà dépassé l’âge de 75 ans : la Congrégation pour la doctrine de la foi, la Congrégation pour l’éducation catholique, la Congrégation pour les églises orientales, la Congrégation pour les évêques et la Congrégation pour le clergé. À cela s’ajoute le gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, dont le président et le secrétaire général ont déjà l’âge de la retraite.

Le pape François a probablement l’intention d’attendre la promulgation finale de la réforme de la Curie pour faire les derniers pas. Par exemple, la Congrégation pour l’éducation catholique va absorber le Conseil pontifical de la culture, présidé par le cardinal Gianfranco Ravasi, qui a déjà 79 ans : on peut facilement penser qu’il n’y aura aucun changement jusqu’à la mise en place du nouveau dicastère. Dans d’autres cas, il y aura peut-être des changements notables dans l’organisation, et cela semble être le cas de la Congrégation pour le culte divin.

Cela parce que le pape François a voulu, avant de choisir le successeur du cardinal Sarah, envoyer une inspection interne. Cette inspection n’a pas fait l’objet d’une information officielle, elle n’a pas été publiée dans un bulletin du Bureau de presse du Saint-Siège, car il s’agit, précisément, d’une question qui concerne le dicastère lui-même. Mgr Claudio Maniago, président de la commission liturgique de la Conférence épiscopale italienne qui a supervisé les nouvelles traductions du Missel, a été nommé inspecteur. Et c’était une inspection, disent-ils, très brève, de quelques jours, déjà terminée.

Personne ne sait ce que Maniago écrira dans son rapport, tout ce que l’on sait c’est que dans le projet de la nouvelle constitution, la tâche de superviser le renouveau liturgique selon les canons du Concile Vatican II a été ajoutée aux fonctions du dicastère. Un libellé, entre autres, assez vague, qui ne suggère pas de changements substantiels dans la structure.

Maniago a évidemment été considéré comme l’un des candidats possibles pour prendre la place du Cardinal Sarah. Les indices vont, cependant, dans d’autres directions. Même si après, les indices ne font jamais une preuve. Et ils témoignent que le pape examine attentivement trois personnalités (deux évêques et un cardinal) pour trois postes clés, et l’un d’eux est précisément celui de préfet de la Congrégation pour le culte divin.

En effet, le 14 janvier, le pape François a reçu en audience privée l’évêque Francesco Vittorio Viola de Tortona. Le 10 février, le pape François a reçu le cardinal Blaise Cupich, archevêque de Chicago. Le 1er mars, le pape a par contre reçu Mgr Robert Prevost, évêque de Chiclayo (Pérou), qui est un missionnaire augustinien né aux États-Unis.

À tous, le pape François aurait demandé d’être disposés à quitter leur affectation diocésaine pour être transférés au Vatican. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils seront effectivement nommés. Mais il y a plusieurs raisons pour lesquelles leur appel à Rome est probable.

La première est que le pape François pourrait ainsi former une Curie à son image. Le pape n’irait pas choisir des personnes qui ont déjà été formées à Rome, mais des personnes extérieures, qui pourraient donc apporter une nouvelle mentalité, selon les souhaits du pape.

La seconde est que le Pape ferait venir à Rome ses très fidèles. Les trois doivent au pape François toute leur carrière ecclésiastique, la visibilité, la responsabilité et, dans le cas de Cupich, même le cardinalat. Ils n’iraient jamais à l’encontre des décisions du pape, et il est peu probable qu’ils fassent émerger publiquement des situations critiques.

Le pape François a montré une affection particulière pour ces prélats. Le pape a rencontré Mgr Viola à Assise, lors de son premier voyage dans la ville du saint d’Assise en 2013, alors qu’il était président de Caritas. Il l’a envoyé à Tortona, un diocèse très particulier et difficile en Italie, car ses frontières touchent trois régions différentes. Il l’a inclus comme membre de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements.

Le cardinal Blaise Cupich est devenu l’homme de pointe du pape aux États-Unis. Il représente sa vision par opposition à la ligne des « guerriers culturels », il a également contesté de manière flagrante une déclaration de la Conférence des évêques américains sur le nouveau président Joe Biden, catholique de nom mais démocrate dans ses choix, et donc promoteur de politiques pro-choix et d’idéologie du genre. Le pape François a inclus le cardinal Cupich comme membre de la Congrégation des évêques et de la Congrégation pour l’éducation catholique.

Mgr Robert Prevost, missionnaire augustinien, est évêque du diocèse de Chiclayo au Pérou depuis 2015, mais il est originaire de Chicago. Fait inhabituel pour un simple évêque, il se retrouve membre à la fois de la Congrégation pour les évêques et de la Congrégation pour le clergé.

Quelles seraient les affectations auxquelles les trois seraient destinés? Des rumeurs à Rome prétendent que Mgr Viola est prêt à occuper un poste au sein de la Congrégation pour le culte divin, en tant que préfet à la place du cardinal Sarah.

Le cardinal Cupich a toujours été considéré comme étant sur le point de prendre la responsabilité de la Congrégation pour les évêques. Il pourrait prendre la Congrégation pour le clergé à la place du cardinal Beniamino Stella, qui restera en fonction jusqu’à ses 80 ans en août prochain. Mgr Prevost devrait en revanche devenir préfet de la Congrégation pour les évêques.

Si ces nominations devaient se concrétiser, elles constitueraient des signes clairs d’un changement de cap. Le pape François démontre ainsi qu’il a un plan à long terme, et qu’il l’a toujours eu. Outre les changements au sein de la Curie, le pape a considérablement modifié le Collège des cardinaux, avec sept consistoires en sept ans (un chiffre énorme, si l’on considère que Jean-Paul II en a convoqué neuf en 27 ans), et il pourrait le faire davantage, notamment en élargissant la base électorale.

L’Église après François semble donc devenir une Église complètement à l’image de François. Une Église moins institutionnelle, ce qui, dans les idées de François, signifie une Église plus missionnaire. Une Église moins liée à Rome, ce qui, dans les idées de François, signifie une Église moins courtisane.

Mais sommes-nous vraiment sûrs que l’institution et Rome étaient des obstacles à la mission ? Peut-on vraiment ne pas considérer d’une manière ou d’une autre qu’ils étaient au contraire un soutien à la mission ?
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