(Mise à jour). Je n’ai plus rien dit de l’affaire Vigano/de Mattei après la publication du réquisitoire du second sur Corrispondenza Romana, et de la réponse de Mgr Vigano (cf. Vigano contre De Mattei, ou Tradition contre tradition), d’abord faute de temps disponible mais surtout parce que la querelle qui les oppose m’a été pénible, et même douloureuse; quelle déception quand on s’est comme moi personnellement impliqué: en ce qui me concerne au tout petit niveau de ce blog, où j’ai traduit de nombreuses lettres de Mgr Vigano et d’encore plus nombreux articles du prof. de Mattei – dont beaucoup à sa demande – parce que je les trouvais intéressants, solidement argumentés, et globalement conformes à mon ressenti personnel! Aujourd’hui, 5 jours après la première salve, cela reste parole contre parole, et je suis toujours perplexe: ce qui est sûr, c’est que le professeur de Mattei a instillé le poison du doute, ce qui n’était pas vraiment nécessaire (euphémisme!) en ce moment, cherchant à discréditer son « adversaire » à travers des attaques ad hominen invérifiables et surtout bien éloignées de la charité chrétienne.

Mgr Vigano et son prétendu « ghost-writer »

Dans sa seconde salve, daté du 23 juin, le professeur s’est adjoint les services d’un certain Emmanuel Barbieri (cité comme principal auteur sans doute pour contourner le soupçon de faire lui aussi appel à un ghost-writer, comme il le reproche à Mgr Vigano): celui-ci a utilisé « ce qu’en jargon scientifique on nomme recherche stylométrique ». Et a conclu pompeusement que « l’analyse lexicale et stylistique nous conduit à un seul auteur possible: Cesare Baronio, auteur entre 2010 et 2020 du blog Opportune-Importune » (que, j’imagine, mes lecteurs connaissent).
Mais attention, oyez-oyez, « Cesare Baronio est à son tour un pseudonyme », et notre Emmanuel Barbieri s’est donné comme défi d’en révéler l’identité. La suite n’est pas vraiment édifiante, et même par moments carrément glauque, avec l’inévitable référence au milieu gay, et elle pourrait servir de point de départ au scénario d’un film produit par Netflix pour dénoncer les turpitudes de la Tradition catholique. J’avoue que je n’ai même pas lu jusqu’au bout, par écœurement. Un tel étalage de vulgarité ne fait pas avancer la cause qu’on prétend défendre.

Le rédacteur du blog catholique traditionaliste « La scure di Elia » a trempé sa plume dans le vitriol pour confondre le prof. de Mattei, nous entraînant dans un rébus inextricable. Je ne veux pas le suivre ici dans des conjectures ésotériques (incompréhensibles aux non-initiés) et des excès verbaux qui peuvent sembler l’image spéculaire de ceux qu’il dénonce, mais voici un passage que je trouve assez convaincant:

Les points communs indiqués entre la pensée de Mgr Viganò et celle de l’auteur du site Opportune importune sont des énoncés courants dans le milieu de la Tradition, ou des faits si évidents que même moi je les ai relevés, étant arrivé à des conclusions analogues sans les avoir empruntés ni à l’un ni à l’autre. Par ailleurs, se prévaloir de la collaboration de quelqu’un n’implique pas nécessairement de devenir complètement dépendant de lui, ni de lui confier la rédaction de ses interventions. S’il s’agissait d’un crime, aucun magistrat n’ouvrirait une enquête sur la base de preuves aussi faibles. Aussi discutable que puisse être la figure du collaborateur, ce n’est même pas une faute morale que de profiter de son aide pour des activités licites, à moins que cela ne soit une cause de scandale public, ce qui, en l’espèce, ne s’est pas produit.
(…)
Si ce qui précède ne suffit pas à démonter la fausse accusation, je vous confierai que l’auteur accusé d’être le ghost writer de Monseigneur Viganò ne peut être le responsable du site mentionné, lequel était en réalité un prêtre d’au moins quatre-vingts ans, ancien élève du Séminaire romain ordonné sous Pie XII, qui vivait dans le centre historique de Rome. Pendant un certain temps, j’ai entretenu avec lui une correspondance, qui a été soudainement interrompue en 2017, peut-être en raison de l’apparition de la maladie, ou de la mort. Il est probable que le nouveau rédacteur, anciennement son assistant technique, ait temporairement pris la relève du maître sous le même pseudonyme, mais le style et la teneur des articles parus au cours des trois dernières années d’activité dénoncent clairement une autre paternité. Ce fait sape complètement la thèse dont nous nous occupons bien malgré nous, montrant sa témérité inouïe….

*

http://lascuredielia.blogspot.com/2021/06/le-pecore-riconoscono-la-voce-del.html

En ce qui concerne Mgr Vigano, je laisse la parole à la défense, en la personne de Robert Moynihan, directeur du site ‘Inside the Vatican’, qui ĺe connaît bien (cf. Mgr Vigano: un plan mûri depuis 60 ans pour l’Eglise), et qui, avec conviction, se porte garant de sa bonne foi. Il tente ici de décrypter dans sa « lettre du 22 juin » « le sens profond d’une accusation improbable »:

Le sens profond d’une accusation improbable

Robert Moynihan
insidethevatican.com
Ma traduction

De Mattei vient de publier une accusation stupéfiante : que l’archevêque Viganò n’est pas le véritable auteur de plusieurs des lettres qu’il a publiées l’année dernière, mais qu’elles ont été écrites par un ou plusieurs  » faux Viganòs « , bien qu’avec la bénédiction de Viganò (car Viganò signe les lettres), et De Mattei a demandé un éclaircissemnt à ce sujet.
Viganò vient de répondre en disant que cette accusation est totalement et complètement fausse. Tout ce qu’il a signé, il l’a écrit de sa propre main, dit-il.
Sur la base de ma connaissance de l’archevêque – j’ai passé de nombreux jours avec lui en 2018, j’ai écrit un livre sur ces conversations et j’ai été en contact régulier avec lui depuis, y compris en lui parlant de cette affaire par téléphone pas plus tard qu’hier – mon jugement est que l’archevêque dit la vérité.
Il n’y a qu’un seul archevêque Viganò.
Il lit, il fait des recherches, il réfléchit et il écrit. Et puis il signe ses lettres. Ce sont les siennes : et si une erreur y était portée à sa connaissance, il serait prêt, comme saint Augustin à la fin de sa vie, à imprimer une rétractation.
Il n’a pas de « double », malgré ce que le Dr. De Mattei peut croire
Pourquoi alors le Dr. De Mattei a-t-il lancé cette accusation publique, si Viganò lui a dit que c’était faux?


A l’évidence, parce que les questions que Viganò a abordées au cours de l’année écoulée (le « global reset« , les lockdowns nationaux, le virus, les diverses vaccinations, toutes ces questions sociales et politiques, mais aussi l’attention croissante que l’archevêque porte à la beauté et à la sainteté de l’ancienne messe, et le fait qu’il fasse remonter un certain rejet de l’enseignement catholique traditionnel – que l’on pourrait appeler « modernisme » – aux années 1960, et avant, plutôt que de ne le voir que dans les années du pontificat actuel), sont très dérangeantes pour certains – plus dérangeantes que les révélations de Viganò sur la corruption et la dissimulation au sein de la Curie romaine, qui constituaient la principale charge des premières lettres de Viganò, et qui n’ont jamais provoqué la suggestion que Viganò avait un double.
Viganó a touché une corde sensible, et l’un de ses vieux amis a désormais mis sur la place publique un article qui laissera inévitablement une trace de doute, car beaucoup diront: « Eh bien, certains pensent qu’il y a deux Viganò… »

En ce sens, un certain dommage a été causé à la réputation et à la crédibilité de l’archevêque par la diffusion publique de cette allégation.

Encore une fois, pourquoi ?

Une partie de la réponse peut résider dans le fait qu’il y a quelques semaines, le Dr. De Mattei – comme le note Viganò dans sa réponse à l’accusation – s’est prononcé en faveur de l’utilisation mondiale des injections d’urgence actuellement disponibles (appelées « vaccinations » bien qu’elles ne soient pas des vaccins) comme moyen d’endiguer la pandémie. L’adoption de cette position par De Mattei a eu une grande influence sur d’autres catholiques conservateurs.

De Mattei a soutenu qu’une telle utilisation était morale même si le matériel injecté était d’une certaine manière dérivé de l’utilisation de tissus de foetus avortés, ce que l’archevêque Viganò a dénoncé à plusieurs reprises comme étant immoral.

De Mattei a posé la question suivante : « Est-il moralement licite d’utiliser des vaccins contre le COVID-19 qui utilisent des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés ? ». Et il a répondu : « Il y a… une réponse plus facilement accessible pour le catholique de bon sens, et la voici : il est licite de se faire vacciner [même si le vaccin est dérivé de cellules de fœtus humains avortés] parce que l’Église l’assure, par son organe doctrinal le plus autorisé, la Congrégation pour la doctrine de la foi. »

C’est de ce moment-là que date le premier « clivage » entre la position du Dr De Mattei et celle de l’archevêque Viganò.


Le point crucial est là: la bataille pour le contrôle de la narration de notre époque vient de s’intensifier.


Mise à jour

Marco Tosatti a mis en ligne un article éclairant du journaliste et écrivain italien Americo Mascarucci, précédée de son commentaire ironique:

Americo Mascarucci nous offre cette réflexion sur l’attaque que le professeur De Mattei a réitéré contre Mgr Viganò, il lui donne un conseil, à la lumière des expériences politiques passées du professeur, collaborateur de l’honorable Gianfranco Fini. Ne bis idem… [pas deux fois pareil, ndt]

*

Marco Tosatti

Alberto Melloni, un historien et théologien ultra-progressiste, a écrit de De Mattei qu’il était « l’intellectuel le plus fin du traditionalisme italien ». Espérons alors qu’il ne souffre pas de ce « syndrome de Stockholm » qui dans le passé a frappé une partie de la droite italienne, soucieuse non pas tant d’affirmer ses propres idées, mais d’obtenir une légitimation à gauche.
Mais la gauche a le vieux vice d’utiliser le meilleur adversaire pour combattre le pire, puis de l’abandonner quand il a finalement atteint le but (ce fut le cas de Gianfranco Fini, loué par la gauche quand il s’agissait de combattre Berlusconi, puis abandonné quand il n’était plus nécessaire à la cause). Le conseil que nous voudrions donner au très estimé De Mattei est donc de ne pas chercher de légitimation dans le camp bergoglien pour se tailler un rôle de leader incontestable et d’interlocuteur privilégié du camp conservateur en se présentant comme l’anti-Viganò. Cela ne servirait à rien, sinon à la cause bergoglienne elle-même, que le professeur lépantien (du nom de l’Institut Lépante, qu’il a fondé, ndt) n’a certainement pas l’intention de favoriser.

Americo Mascarucci

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