Il a passé 404 jours en prison, avant que soit reconnue l’absurdité des accusations portées contre lui (dossier sur ce site) et qu’il soit finalement libéré, en avril 2020. Son « Prison Journal » paru en décembre 2020 vient d’être traduit en italien (ou du moins le volume I, car c’est un énorme pavé), et Aldo Maria Valli qui l’a lu y voit « un livre qui fait du bien à la foi ». La question est: sera-t-il traduit en français? Mon intuition me dit que non: on connaît malheureusement les partis-pris de l’édition chez nous (voir l’affaire Zemmour…). Mais j’espère me tromper.

Le journal du Cardinal Pell. Un livre qui fait du bien à la foi

AM Valli
3 juillet 2021

« Je me suis réveillé à cinq heures moins le quart, soit une heure plus tôt que d’habitude, au son d’un chant musulman lointain et au grondement des coups de notre ami à l’autre bout du couloir. Dans le courant de la journée, il se révélera avoir une sacrée voix. »

Ainsi s’ouvre la page du journal intime du 13 avril 2019, une parmi tant d’autres. Le musulman et le prisonnier bruyant sont tous deux sans visage. Dans la section d’isolement, personne ne rencontre les autres. Les sons et les bruits, en l’absence de la vue, revêtent donc une importance particulière.

Ce journal est celui du cardinal australien George Pell, 80 ans, qui a passé plus d’un an en prison (404 jours pour être exact), accusé d’abus sexuels, avant de voir l’absurdité des accusations reconnue et d’être libéré.

Sorti dans la langue originale (Prison Journal) en décembre 2020, Diario di prigionia, volume 1 est désormais également disponible en italien et est, paradoxalement, un livre qui donne beaucoup de sérénité et qui fait du bien à la foi. Le vieux cardinal se retrouve impliqué dans une affaire kafkaïenne, dans laquelle tout le monde, à l’exception d’un cercle d’amis de confiance, est contre lui, et pourtant Pell n’a jamais un mot de reproche ni pour ses accusateurs, ni pour les geôliers, ni, plus généralement, pour la société australienne et le système judiciaire de son pays. Et il ne se laisse jamais prendre par le découragement. Le cardinal ne cache certes pas ses craintes et la complexité de la situation, mais, toujours calme et confiant, il s’en remet totalement à la divine Providence, il n’oublie pas les personnes sans visage qui, à quelques pas de lui, se retrouvent enfermées dans la prison de haute sécurité et conclut chaque page du journal par une prière. Comme celle-ci, du 3 mars 2019 :  » Dieu notre Père, je prie pour tous mes codétenus, en particulier ceux qui m’ont écrit. Aidez-les tous à connaître leur véritable identité ; aidez-moi aussi à mieux me connaître. Donnez-leur à tous un peu de paix intérieure, surtout ceux qui n’en ont certainement pas. »

Le 3 mars 2019 est une date particulièrement importante, non seulement parce que c’est celle qui ouvre le journal, mais aussi parce que c’est un dimanche. Le premier, pour le cardinal, sans messe : « C’est le premier dimanche depuis de nombreuses décennies, peut-être plus de soixante-dix ans, sauf en cas de maladie, où je n’ai pas assisté ou célébré la messe dominicale. Je n’ai même pas pu recevoir la communion. »

Pourquoi priver un prêtre de la messe et de la communion ? Pell n’a pas posé ouvertement la question. Il se contente d’enregistrer son état, et c’est précisément ce détachement apparent qui rend le témoignage plus fort et plus convaincant. La messe est interdite. En compensation, les chants du prisonnier musulman résonnent constamment, tandis qu’un autre prisonnier se plaint, angoissé, et qu’un troisième crie en se prenant pour « un dieu ou un messie ».

Ce volume est le premier d’une série. Au total, il y aura plus de mille pages. L’éditeur américain, le père jésuite Joseph Fessio, de Ignatius Press (qui a récemment envoyé le deuxième volume aux librairies), a déclaré que cet ouvrage était « un classique de la spiritualité », et c’est vrai. En outre, avec un pragmatisme tout américain, le père Joseph a demandé aux lecteurs non seulement d’acheter le livre, mais aussi de faire des dons en faveur de Pell, qui est aux prises avec d’énormes frais de justice.

Accusé d’abus sexuels par deux choristes de la cathédrale Saint Patrick de Melbourne (l’affaire remonte à 1996), Pell a été disculpé par un verdict unanime (sept contre zéro) par la Haute Cour australienne et est retourné à Rome. Il aurait pu simplement essayer d’oublier, dans la mesure du possible. Au lieu de cela, il a décidé de donner son témoignage.

Le journal nous rappelle d’autres pages, comme les Notes de la prison du cardinal polonais Stefan Wyszynski, ou l’histoire du cardinal vietnamien François Xavier Nguyen van Thuan, mais si dans ces cas-là on raconte la persécution provenant de régimes totalitaires ouvertement hostiles au christianisme, avec Pell nous avons affaire à la persécution menée par un pays considéré parmi les plus tolérants, démocratiques et libéraux du monde. C’est la nouvelle persécution, fille d’un préjugé anti-catholique tenace.

On sait que dans les prisons du monde entier, les prisonniers accusés d’abus sexuels sur des mineurs sont pris pour cible par d’autres prisonniers. D’où le choix de l’isolement pour George Pell. Mais les véritables attaques contre le cardinal sont venues de la presse. Troublée par des milliers de cas de mineurs victimes de violences de la part de prêtres et de religieux, l’opinion publique australienne a vu en Pell, le cardinal « ranger » et « super-conservateur », la cible idéale pour une campagne de dénigrement.

Dans les pages du journal, tous ces aspects ne sont cependant qu’effleurés. Le prisonnier Pell préfère raconter sa vie quotidienne. Voici donc l’uniforme vert (qu’il souhaiterait pouvoir laver plus souvent) comparé à la robe violette du cardinal. Voici sa cellule, moins de huit mètres de long et deux mètres de large. Voici le matelas qui n’était pas trop épais et le lit qui était un peu trop bas, ce qui mettait ses genoux à rude épreuve. Ici se trouvait la télévision, grâce à laquelle Pell pouvait regarder les matchs de son sport préféré, le football australien, et se laisser aller aux souvenirs de sa jeunesse. Voici les deux demi-heures d’air accordées quotidiennement et tant désirées.

Pendant une demi-heure à l’air libre, un autre prisonnier, par une brèche séparant l’espace d’une cour adjacente, crache sur le cardinal et l’injurie. Commentaire : « Nous sommes tous tentés de mépriser ceux que nous définissons comme étant pires que nous. Même les meurtriers partagent le dédain pour ceux qui violent les jeunes. Aussi ironique soit-elle, cette indignation n’est en rien négative, car elle révèle une croyance en l’existence du bien et du mal, du juste et de l’erreur, qui émerge souvent en prison de manière surprenante. »

Les moments de découragement n’ont pas manqué, comme après la défaite en appel à la Cour de Victoria. À ce moment-là, le cardinal a pensé à abandonner et à ne pas faire appel à la Cour suprême. Mais à l’improviste, des encouragements lui parviennent du directeur de la prison, qui l’incite à ne pas abandonner.

Pell ne cache jamais ses faiblesses. Le 19 juin 2019, par exemple, il écrit : « Je deviens un peu nerveux en attendant que le verdict soit rendu, mais je me concentre sur ma routine quotidienne de prières, d’exercices, d’écriture, de lecture et de sudoku. » Et si l’économat n’a pas son chocolat préféré, le Cadbury’s, cela signifie que le cardinal devra faire « une pénitence involontaire jusqu’à ce que les stocks soient reconstitués ».

La prison, comme la vie, est pleine de surprises. Savoir comment les saisir dépend du regard et du cœur de chacun. Un grand réconfort est apporté par les lettres qui arrivent continuellement, non seulement d’amis, de parents et d’avocats, mais aussi de nombreux inconnus. Une dame, qui confesse avoir des problèmes de gestion de la colère, recommande au cardinal, avec une franchise désarmante, de faire confiance au Seigneur et de pardonner. Une mystérieuse lettre non signée est arrivée du Vatican le remerciant d’avoir aidé l’Église australienne « à sortir du libéralisme destructeur, la guidant à nouveau vers la profondeur et la beauté de la foi catholique ».

Sachant que les personnes âgées ont tendance à se souvenir des événements lointains mais à oublier les plus récents, le cardinal écrit avec constance. Et il apprend à apprécier le peu qui lui est concédé: « J’ai hâte d’être dehors, non seulement pour faire de l’exercice, ce qui n’est pas particulièrement agréable vu l’espace exigu et miteux, mais surtout pour respirer l’air frais, pour voir le ciel, les nuages et parfois le soleil. Ces choses, une bonne douche chaude, la télévision et une bouilloire, et la gentillesse des gardiens, contribuent à rendre la vie plus que supportable. »

« Tout au long de son épreuve », écrit son ami George Weigel dans la préface, « le cardinal a été un modèle de patience et de vie sacerdotale. Lorsqu’il était étudiant à Oxford à la fin des années 1960, le jeune père George a pris connaissance du témoignage de foi des saints martyrs Thomas More et John Fisher. « À l’époque, note Weigel, il ne pouvait pas savoir qu’il allait lui aussi subir la calomnie, la diffamation publique et un emprisonnement injuste. Pourtant, tout comme More et Fisher, le cardinal George Pell a pris position pour défendre la vérité, conscient que la vérité rend libre au sens le plus profond de la liberté humaine ».

L’une des prières du cardinal (le dimanche de la Divine Miséricorde) dit : « Dieu notre Père, je sais que tu existes et que tu es l’Amour en personne. Dans cette triste affaire, guidez-nous vers la découverte de la vérité. »

Il convient de rappeler qu’en tant que cardinal de la Sainte Église romaine, Pell n’était nullement obligé de retourner dans son pays pour y être jugé. Il aurait pu rester au Vatican, protégé par les murs sacrés, mais, bien que conscient du climat hostile à son égard, il a préféré affronter ouvertement ses accusateurs.

Dans la prière qui conclut cette première partie du journal, le cardinal, après avoir demandé au bon Dieu que l’appel soit couronné de succès, a de nouveau une pensée pour les autres, afin que « ce qui m’est arrivé ne puisse plus jamais arriver à un Australien innocent ».

Mots Clés :
Share This