Il y a quelques jours, nous avons parlé de la sordide « foire aux bébés » qui sous le nom évocateur de « Désir d’enfant » s’est tenu ces jours-ci à Paris, avec le consentement tacite des autorités politiques, et où les « parents » putatifs pouvaient choisir sur catalogue le sexe et les qualités physiques, intellectuelles et caractérielles de leur enfant. Preuve concrète que l’objet de cette réflexion de Marcello Veneziani ne relève ni de la science fiction, ni de la dystopie ni de la satire, mais est une réalité tangible, ici et maintenant.

La création revisitée

Illustre Père Eternel, aujourd’hui, je démissionne officiellement en tant qu’être humain. Cette décision, douloureuse mais mûrement réfléchie, a été prise lorsque j’ai lu dans une revue scientifique que, grâce aux progrès de la génétique, les parents peuvent décider comment ils veulent leurs enfants.

Pour commencer, le sexe de leurs enfants peut être librement choisi. Avec le temps, on apprend qu’il sera également possible de décider du quotient intellectuel de l’enfant à naître, que tout le monde voudra, je suppose, élevé, même si l’imbécillité mène généralement à une vie meilleure ; de décider de la couleur et de la forme des yeux, qui étaient autrefois les fenêtres de l’âme et sont aujourd’hui les fenêtres des affaires ; des cheveux, du physique et même du caractère de l’enfant à naître, qui peut être joyeux et extraverti plutôt que triste et déprimé. J’imagine que les questionnaires seront remplis, sauf clients tordus et masochistes, à 99% de la même manière. Ce qui produira une progéniture standard : tous d’une beauté ennuyeuse, grands, joviaux et intelligents, au caractère optimiste.

Alors pourquoi vivre, travailler, se marier avec l’un plutôt qu’avec l’autre, si l’on peut déjà acheter à l’avance le paquet-existence tout compris.

Ce qui se dessine est peut-être un monde meilleur que le nôtre, mais il n’a qu’un défaut : ce n’est pas le monde des humains dont je suis issu et dans lequel j’ai grandi et eu mes enfants. Nous sommes démodés, comme le dit Gunther Anders ; dépassés. Nous, les humains, sommes nés ainsi, différents et assortis, parfois ridicules. Je pense aux bébés potentiels nés sur commande, sur lesquels les parents exercent un pouvoir absolu, disposant de leur vie et de leur caractère ; et dire qu’ils déploraient l’éducation répressive, le paternalisme autoritaire, l’ingérence étouffante des mères… maintenant c’est pire, les enfants peuvent être commandés, Amazon vous les apporte…

Le dessein est de se débarrasser de la nature, de se créer soi-même, de rendre la création superflue. En fait, je pense que je ne suis pas le seul qui devrais démissionner, Illustre Père Eternel…

En démissionnant, cependant, je ressens le devoir de remercier ceux qui m’ont mis au monde, non pas pour le don de la vie – je ne sais pas si c’est un don ou une punition, quelque part entre les deux ou rien, je n’ai pas de termes de comparaison – mais pour le don de l’insouciance : vous m’avez jeté au monde, pour citer Heidegger, sans vous soucier de la façon dont je suis né, adonis ou cafard. Vous m’avez donné l’imperfection, la différence, l’inattendu, qui ont donné de la saveur à mon existence. J’aurais préféré être différent en beaucoup de choses, mais je n’aurais jamais voulu être programmé et prédéterminé ; parce que je ne suis pas une fusée mais un humain, fils d’humains et père d’humains. Je garde toutes mes imperfections, et la perfection, cher Père Eternel, je te la laisse à toi seul.

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