Suite aux dernières déclarations papales, notamment sur la communion aux politiciens pro avortement dans la conférence de presse aérienne de retour de Slovaquie, Andrea Gagliarducci poursuit sa quête de sens d’un pontificat diviseur (et qui n’en a pas d’autre que de diviser, mais ce n’est que mon avis). Il le fait sans céder à l’invective, ce qui donne d’autant plus de force à sa conclusion:

(…) le pape François n’est pas seulement un pape qui divise. C’est un Pape au centre de l’attention. Alors que l’Église, à vrai dire, semble disparaître.

Pape François, quelle est votre approche des questions théologiques?

Monday Vatican
20 septembre 2021
Ma traduction

Andrea Gagliarducci

Pas besoin d’une conférence de presse dans l’avion pour confirmer l’approche pragmatique du pape François sur les questions théologiques. Mais la conférence de presse sur le vol de retour du voyage en Hongrie et en Slovaquie a permis de clarifier certains aspects de l’approche du Pape sur les questions théologiques.

Une question, en particulier, portait sur le thème de la communion donnée aux hommes politiques catholiques qui soutiennent l’avortement de diverses manières. Il s’agit d’une question qui divise aux États-Unis. Dès 2004, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avait produit un document expliquant comment les politiciens catholiques qui prônent l’avortement sont en état de péché public. En bref, la communion ne peut être donnée à ceux qui ne sont pas dans la grâce de Dieu.

La question a eu une grande influence aux États-Unis, surtout depuis la candidature du catholique John Kerry à la présidence. Le problème provenait du fait que l’appartenance à l’Église catholique ne devait pas être instrumentalisée. Si Kerry avait reçu la communion, il aurait pu donner corps à la narration d’une Église prête à accepter l’avortement. D’où la nécessité d’une note doctrinale.

Le problème s’est posé à nouveau avec le candidat à la présidence Joe Biden. Les évêques des États-Unis ont travaillé sur un chemin de « Renouveau eucharistique », un thème beaucoup plus large que la question de la Communion pour les politiciens pro-avortement. Pour les évêques américains, il s’agissait de revenir aux sources et d’expliquer ce qu’était la Communion et l’état de grâce nécessaire pour y accéder. Bien sûr, le sujet de la Communion donnée aux politiciens pro-avortement a été abordé. Mais il s’inscrivait dans une problématique plus importante, plus pastorale. Cette pastorale qui, toutefois, devait être nourrie d’une saine doctrine.

Les évêques avaient prévenu le pape François du document qu’ils allaient publier, et le pape François avait en revanche demandé de chercher un document qui recontrerait l’unité totale des évêques. Car, parmi les évêques, certains n’étaient pas convaincus de la nécessité de refuser la communion aux politiciens pro-avortement. C’était une minorité, à vrai dire, mais suffisante pour amener le Pape à demander une autre méthodologie, une autre approche.

Ce sujet a fait l’objet d’une des questions de la conférence de presse dans l’avion. Et la réponse en dit long sur le modus operandi du pape.

Le pape François n’a pas nié la gravité de l’avortement. Il a dit, comme il l’avait déjà souligné à plusieurs reprises, que l’avortement revient à « engager un tueur à gages ». Il a réaffirmé la vérité « scientifique » selon laquelle il existe une vie humaine dès la conception. Il a souligné que celui qui vient pour tuer est en dehors de la communauté, et pour cette raison, excommunié. En bref, il ne peut pas communier.

Mais il n’a pas voulu entrer dans le fond de la question. Il est allé jusqu’à affirmer que dire oui ou non est de la casuistique. Et il a dit que cette casuistique est de la théologie, alors que la pastorale est la vie et la théologie ensemble. Il n’a pas dit de donner ou de ne pas donner la communion. Il a dit que chacun doit être accompagné avec compassion et tendresse. Il a rappelé que la Communion est un don, pas une récompense pour des personnes parfaites, mais il n’a pas voulu clarifier sa position sur le sujet. Il ne le fera jamais.

Car pour le pape François, tout doit être résolu de manière pastorale. Mais qu’est-ce que cela signifie? Quelles conséquences cela peut-il avoir?

Sur Our Sunday Visitor, Christopher Altieri a noté comment, déjà dans le livre avec le rabbin Abraham Skorka, le pape François avait souligné qu’il n’avait jamais distribué [publiquement?] la communion mais avait laissé les autres le faire. C’est un détail qui a été remarqué immédiatement, et même dès le moment où il est devenu Pape, car François n’a jamais donné la communion aux fidèles.

Et s’il ne l’a pas fait, c’est précisément pour que son geste ne soit pas utilisé politiquement, mettant peut-être en avant quelqu’un qui ne pouvait pas s’approcher de la communion en raison de certaines positions publiques et dont on savait qu’on ne la lui refuserait pas.
Le pape François a une manière assez habile d’éviter de prendre position. S’il le fait en tant qu’évêque, il s’agit d’une décision personnelle. Mais, en agissant en tant que pape, il oblige les évêques à faire de même.

Que se passerait-il si un évêque se trouvait dans la position inconfortable de devoir donner la communion à une personne notoirement excommuniée? S’il s’agit de manifester compassion et tendresse, comme le dit le pape, alors l’évêque devrait donner la communion, avec tout ce que cela implique. Mais, d’un autre côté, s’il s’agit de suivre l’exemple du Pape, l’évêque devrait éviter d’entrer dans une question politique. S’il décide au contraire de ne pas la donner, on l’accusera de ne pas avoir de compassion et de tendresse.

C’est à cela que sert la doctrine. A éviter les situations grises dans lesquelles le bien finit par donner de la dignité au mal. On prend une décision en amont, basée sur la doctrine, puis on l’applique au niveau pastoral, en considérant toutes les conséquences possibles. La doctrine nourrit la pastorale et donne à la pastorale une forme avec diverses exceptions à la doctrine. Une pastorale trop pragmatique risque de n’être qu’un exercice de style.

Le problème fondamental est que les approches sont déjà trop polarisées, et le pape François n’est certainement pas une personne du centre. Il prend un point de vue et le fait avancer, en comptant sur le fait qu’il est aux commandes. D’un côté, certains poussent les positions doctrinales à l’extrême et en font une question de principe. De l’autre, il y a ceux qui font une question de principe de la relativité des positions doctrinales.

Une synthèse serait nécessaire, mais non seulement elle n’est pas proposée par le pape François, elle ne semble pas se profiler à l’horizon. La pastorale et la doctrine se mêlent au pragmatisme et, au final, il est difficile de comprendre ce qu’il convient de faire ou non.

En fin de compte, il manque un sens de l’Église, un point de vue commun. Alors que le Pape reste toujours au centre, aimé ou détesté, mais certainement le seul décideur. Avec ses choix, ses paroles, ses ambiguïtés mêlées aux certitudes et à l’orthodoxie doctrinale, le pape François n’est pas seulement un pape qui divise. C’est un Pape au centre de l’attention. Alors que l’Église, à vrai dire, semble disparaître.

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