La Bussola consacre aujourd’hui un dossier consistant au rapport Sauvé – à juste titre, car le problème, plus que l’Eglise en France, concerne surtout l’Eglise universelle – dans l’attente du commentaire que va prononcer aujourd’hui le Pape lors de l’audience générale du mercredi (on sait qu’il lutte ardemment pour contrer la pourriture de l’Eglise et promouvoir la transparence: c’est vrai, puisque ce sont les médias qui le disent): Nico Spuntoni en décortique minutieusement les aspects concrets (ce qui est bienvenu car beaucoup d’articles francophones sont protégés par un paywall) et replace les chiffres dans leur contexte, et Stefano Fontana l’analyse sous l’angle spécifiquement catholique, dénonçant la sécularisation de l’Eglise qui, loin d’être le remède, est en réalité la cause principale et risque de précipiter les problèmes.

Abus du clergé, derrière le choc, le fléau homosexuel

Nico Spuntoni
lanuovabq.it/it/abusi-del-clero-dietro-lo-choc-ce-la-piaga-omosessuale, 6 octobre

En France, la Commission Sauvé a présenté son rapport, qui porte sur les années 1950 à 2020. Entre 2 900 et 3 200 prêtres prédateurs auraient commis quelque 216 000 abus sexuels au cours des 70 dernières années. Les victimes sont principalement des garçons et des mineurs prépubères. Pour les violences contre les mineurs, plus de 80% des auteurs se déclarent homosexuels ou bisexuels. Les lieux les plus exposés sont les écoles et les paroisses, mais les contextes familiaux sont également préoccupants. La Conférence des évêques transalpins : « consternée ».

Un nouveau coup de tonnerre dans le ciel déjà peu clair de l’Église catholique est sur le point d’apparaître, cette fois en France. Hier, en effet, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a présenté le résultat d’une enquête de deux ans et demi qui a permis de reconstituer les crimes sexuels commis par des religieux sur des mineurs ou des personnes vulnérables entre 1950 et 2020. Le rapport de 2 500 pages estime à 216 000 le nombre moyen de cas d’abus sexuels au cours des 70 dernières années, chiffre qui passe à 330 000 si l’on inclut le nombre d’agressions commises par des responsables laïcs de l’Église.

Selon ce calcul, il y aurait eu entre 2 900 et 3 200 prêtres prédateurs en France depuis 1950. Le rapport porte le nom du chef de la Commission, Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État français. Formation catholique chez les Jésuites et brève expérience au séminaire, c’est Sauvé qui a lu en 2014 les motifs avec lesquels le Conseil d’État a donné son feu vert pour arrêter l’hydratation et la nutrition de Vincent Lambert.

Le rapport final a été remis à la Conférence des évêques de France et à la Conférence des religieux des instituts et congrégations (Corref), qui l’avait commandé. Le président des évêques français, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, a déclaré : « Nous sommes consternés, leurs voix nous ébranlent, leur nombre nous afflige. Je voudrais demander le pardon, le pardon de chacun d’entre vous ». Le rapport dresse un tableau détaillé du phénomène des abus sous différents angles – sociologique, historique et psychologique – qui permet également de reconstituer le profil des prêtres agresseurs.

Il y a, par exemple, une étude réalisée par deux experts sur les rapports psychiatriques extraits des dossiers judiciaires de 35 prêtres prédateurs : le nombre de leurs victimes s’élève à 177, dont 134 victimes masculines (76,5% des cas) et 43 victimes féminines. Selon les travaux de la psychologue Julia Marie et de la psychiatre Florence Thibaut, « cette étude, ainsi que plusieurs études précédemment publiées sur ce sujet », attesteraient du fait que « les agressions sexuelles au sein de l’Eglise catholique présentent un certain nombre de spécificités telles que l’agression beaucoup plus fréquente d’hommes mineurs » et de mineurs prépubères.

UNE PLAIE HOMOSEXUELLE

L’âge moyen des victimes est de 12,5 ans pour les mineurs et de 27 ans pour les adultes vulnérables, selon l’étude coordonnée par le Dr Thibaut. Le travail a également porté sur le niveau socioculturel des agresseurs, qui semble être tendanciellement plus élevé que la moyenne, et sur leur orientation sexuelle, à propos de laquelle voici le résultat du travail des deux experts de la Commission : « Le clergé prédateur inclus dans cette étude s’est déclaré homosexuel dans 48,6 % des cas, tandis que 25,7 % se sont déclarés hétérosexuels et 25,7 % bisexuels ».

Parmi les agresseurs sexuels de mineurs, l’homosexualité est déclarée dans 53,3 % des cas, contre 20 % pour les agresseurs sexuels d’adultes. Les agresseurs de victimes masculines mineures se sont déclarés homosexuels dans 83,3% des cas, tandis que l’hétérosexualité est déclarée dans 16,7% des cas, contrairement aux 80% déclarés par les agresseurs sexuels adultes.

Ces conclusions sont conformes à celles tirées des entretiens avec 11 prêtres prédateurs qui ont répondu à l’appel à la parole qui leur a été adressé par le président de la Commission. Plus de la moitié des prêtres interrogés se sont déclarés homosexuels, certains disant avoir eu des relations avec des adultes de leur âge, avant ou après leur ordination. Sur la base de ces 11 entretiens, le sociologue Philippe Portier, l’un des membres de la commission, a dressé trois profils de prédateurs : ceux qui assument leurs actes, ceux qui minimisent les faits et ceux qui pensent être victimes d’un complot de la part des institutions.

L’étude de la psychiatre et les onze entretiens font partie du premier des quatre volets de l’enquête de la commission, celui de la collecte de données avec 6 471 contacts : 3 652 entretiens téléphoniques, 2 459 courriels et 360 lettres traités par la team France Victims (sic!). A côté de cette « chasse » aux témoignages, il y a eu tout un travail de recherche dans les archives des diocèses, des instituts, du ministère de la Justice, de la Gendarmerie et dans le matériel journalistique et télévisuel de 1950 à 2020. Il y a eu 174 auditions de victimes entendues pendant au moins deux heures et 20 auditions de membres du clergé français aux profils divers.

ÉCOLES ET PAROISSES

Dans la deuxième partie du rapport, intitulée « Faire la lumière : une analyse qualitative et quantitative des violences sexuelles dans l’Église catholique en France, à partir des données collectées », trois phases ont été distinguées sur la longue période couverte par l’enquête : de 1950 à 1970, il y a une phase de pic avec 121 000 victimes ; de 1970 à 1990, il y a 48 000 victimes ; et de 1990 à 2020, il y a 47 500 victimes.

La Commission a également établi une répartition des types d’abus : 35 % sont des abus scolaires, c’est-à-dire des abus dans les lieux d’enseignement catholique, très répandus dans les 20 premières années de l’enquête, puis qui ont diminué à partir de 1970 ; les abus paroissiaux ont diminué, comme l’a souligné Sauvé, avec le déclin des vocations, mais en tout cas moins fortement que les abus scolaires ; 20 % sont des abus hors les murs, survenant par exemple lors de pèlerinages ou au sein de mouvements ecclésiaux.

Ensuite, il y a les abus au sein de la famille commis par le prêtre contre un parent de sang, qui semblent avoir augmenté depuis 1970. Malgré le nombre impressionnant d’abus sexuels commis par le clergé depuis 1950, selon les calculs de la Commission, le phénomène est moins répandu en France qu’en Allemagne ou aux Etats-Unis : les prédateurs présumés représentent 2,5% des religieux français, alors qu’ils représentent 4,4% et 4,8% des prêtres en Allemagne et aux Etats-Unis. M. Sauvé lui-même, en présentant le rapport, a expliqué que ceux commis par des membres du clergé représentaient 4% des cas d’abus sexuels sur mineurs commis en France. Ce chiffre est grave, mais il montre que la paroisse n’est pas le lieu le plus dangereux pour un enfant français.


Abus, la sécularisation est le problème et non la solution

Stefano Fontana
lanuovabq.it/it/abusi-la-laicizzazione-e-il-problema-non-la-soluzione, 6 octobre 2021

Les abus sexuels constituent un problème grave pour l’Église, mais il ne suffit pas de demander pardon : il faut comprendre pourquoi cela s’est produit, mais avec les critères de l’Église, et non ceux du monde. Au contraire, nous allons dans la direction opposée, en promouvant cette sécularisation qui est précisément la cause de l’effondrement de la moralité.

Le rapport de la Commission Sauvé sur les abus perpétrés au cours des 70 dernières années par des membres du clergé français sur des mineurs, dont nous illustrons les détails dans un autre article, comporte de nombreux aspects qui doivent être clarifiés et précisés, mais le phénomène décrit et, pour ce qui est des chiffres, estimé, est l’un des aspects les plus préoccupants que l’Eglise doit affronter aujourd’hui.

Cependant, l’Église ne doit pas se limiter à demander pardon, comme l’a fait immédiatement le président des évêques français, mais doit également faire un grand effort pour comprendre ce qui s’est passé et surtout pourquoi. Pour ce faire, elle ne peut et ne doit pas utiliser uniquement les critères du monde, qui doivent être écoutés dans leurs aspects investigateurs, mais surtout les siens. L’évaluation de ce triste phénomène ne peut être confiée ni à des commissions, ni à la justice ordinaire, ni à des statistiques, ni à l’opinion publique. Son interprétation approfondie doit être faite par l’Église selon ses propres critères théologiques et juridiques. Ce n’est pas pour que l’Église puisse plus facilement s’absoudre et échapper à la condamnation du monde, mais au contraire, pour qu’elle puisse plonger le scalpel plus profondément dans sa propre chair et mieux entrevoir les remèdes.

On a au contraire l’impression inverse, à savoir que l’Église s’est empressée d’identifier le « cléricalisme » comme la cause de ces maux, se reprochant ainsi de ne pas être suffisamment ouverte aux considérations du monde. Il y a donc eu un renoncement progressif à regarder profondément en soi, pour se concentrer presque exclusivement sur sa prétendue lenteur à adopter les critères d’évaluation du monde. On se souviendra que François, en réponse au scandale des abus, a immédiatement privé l’Église de ses propres systèmes d’enquête et de l’utilisation de son propre code juridique, exigeant des évêques qu’ils signalent immédiatement tout soupçon d’abus au pouvoir judiciaire. La justice de l’Église a été complètement remplacée par celle de l’État.

La Commission Sauvé est également un exemple de ce renoncement. Son président est un Grand Commis de la République française et il a reçu le pouvoir de choisir tous les membres de la Commission. Dans l’abstrait, le critère d' »indépendance » est valable, mais il ne doit pas être interprété dans un sens unique : l’indépendance de jugement ne concernerait que le monde séculier et pas l’Église.

Il est également significatif que la Commission exprime toute une série de recommandations – 45 pour être précis – adressées à l’Eglise sur la manière dont elle doit se comporter à l’avenir face à ces situations déplorables, et que nombre d’entre elles concernent, comme le précise expressément la Présentation, « des propositions sur la théologie, l’ecclésiologie et la morale sexuelle ». Ces recommandations tendent à limiter le secret du confessionnal, à réduire le rôle du prêtre en tant que tel en utilisant l’accusation bien connue de « cléricalisme », et vont même jusqu’à recommander – dans la recommandation numéro 4 – de reprendre et de développer ce qui avait été suggéré par le Synode d’Amazonie concernant l’ordination sacerdotale des hommes mariés : les viri probati.

Il est également significatif que des changements soient recommandés dans le Code de droit canonique, dans la formation des prêtres, dans la manière de faire le catéchisme et dans la manière de rédiger les documents magistériels. Ce sont évidemment des aspects sur lesquels la Commission n’avait aucune compétence, mais ce sont des intrusions compréhensibles et même logiques après que l’Église se soit tournée vers le jugement du monde laïc comme s’il était le seul et absolu. Si le problème est le cléricalisme, la solution est la sécularisation ; si la solution est la sécularisation, c’est l’État qui est compétent en la matière et non plus l’Église.

Si l’Église avait le courage de regarder au fond d’elle-même plutôt que de se livrer au tribunal de salut public, elle verrait que c’est précisément la sécularisation de sa vie qui est à l’origine de ces comportements désastreux. La sécularisation du sacerdoce et non le cléricalisme, la sécularisation de l’enseignement dans les séminaires, la sécularisation de la théologie morale catholique et surtout de la morale sexuelle, l’affaiblissement de la vie sacramentelle avec de nombreux prêtres qui ne se confessent qu’une fois par an, l’engagement de nombreux prêtres dans des pratiques pastorales insidieuses et dangereuses sur ces fronts, la faiblesse de l’utilisation du droit canonique, désormais désavoué par le nouveau pastoralisme d’accueil, le silence sur les lois étatiques moralement inacceptables concernant précisément ces questions sensibles, et la bénédiction des couples homosexuels à l’église. Le rapport révèle quelque chose que nous savions déjà : la majorité des abus sont de nature homosexuelle. Mais comment une Église qui homosexualise la doctrine et la pastorale peut-elle penser à freiner cette pratique au sein du clergé ?

L’effondrement de la dimension verticale de la vie sacerdotale est la cause profonde de ces maux, mais on l’attribue au contraire au fait que les prêtres ne sont pas devenus suffisamment mondains et on pense que la solution est une sécularisation accrue de l’Église. Benoît XVI, qui désigne la cause dans « l’effondrement de la théologie morale catholique » et la dégradation sans précédent de la vie et de la formation dans les séminaires qui en résulte, qui écrit contre l’ordination d’hommes mariés, n’est pas écouté. Au contraire, les présidents des conférences épiscopales continentales sont convoqués pour s’opposer au « cléricalisme », des synodes sont organisés pour demander la bénédiction des couples homosexuels, les prêtres sont autorisés à se marier et une théologie LGBT est développée.

Les abus sont une grande honte pour l’Église, mais peut-être pas moins que la honte de vouloir profiter des abus pour légitimer une sécularisation de la vie de l’Église en les faisant passer pour une thérapie.

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