C’est ainsi qu’AM Valli se sent dans l’Eglise aujourd’hui. Et aussi dans le monde, au niveau culturel et social. Et s’il est malséant de parler de soi-même, c’est exactement ce que je ressens personnellement, et qu’il exprime magnifiquement dans cette « Lettre ouverte » à son ami Aurelio Porfiri avec qui il a signé en 2019 un livre à 4 mains intitulé  « Sradicati » (Déracinés) dont il est question ici: Déraciné, mais pas résigné.

Lettre à Aurelio Porfiri sur l’extranéité

https://www.aldomariavalli.it/2021/10/10/lettera-ad-aurelio-porfiri-sullestraneita/

Tous les deux, nous avons écrit un livre intitulé Sradicati. Dialoghi sulla Chiesa liquida. Le mot « déraciné » en dit long. Il signifie que nous nous sentons non pas tant privés de racines, car elles sont là et elles sont fortes, mais comme arrachés à la terre, à notre terre. D’où le sentiment d’être comme des exilés, sans maison et sans appartenance. Mais pourquoi? Non pas parce que nous en sommes partis, mais parce que la maison a été occupée, et que ceux qui l’occupent maintenant n’ont rien en commun avec nous, avec notre tradition, avec la foi qui nous a nourris pendant de nombreuses années de notre vie.

Métaphoriquement parlant, notre maison est l’Église, une Église rendue méconnaissable par ceux qui l’ont mise au service non pas du salut des âmes, mais de la pensée dominante dans le monde. Et c’est pourquoi nous ne pouvons que nous sentir déracinés.

Tu me diras que l’Église n’est pas seulement l’institution et la hiérarchie, mais qu’elle est là où deux ou trois se réunissent au nom de Jésus, et c’est vrai. Mais comme l’Église en tant qu’institution conserve un rôle central (et plus elle tonne contre le cléricalisme, plus elle agit de manière purement cléricale), le sentiment de marginalisation reste fort.

J’aimerais donner un nom plus précis à tout ce que je ressens, et le mot qui me vient à l’esprit est « extranéité ». Je me sens de plus en plus étranger à l’Église hiérarchique, aux pasteurs, à CES pasteurs. A leurs sermons. A leurs rituels. Étranger aux initiatives dites pastorales qui se nourrissent de slogans vides. Étranger aux cérémonies dans lesquelles l’homme, et non Dieu, est placé au centre. Étranger aux liturgies bâclées et déformées. Étranger au conformisme des gardiens de la miséricorde. Étranger à l’idéologie écologique qui sévit actuellement dans le temple. Étranger à la dogmatisation du dialogue, qui n’est plus considéré comme un moyen mais comme une fin. Étranger à la rhétorique de l’Église sortante et non autoréférentielle. Étranger aux discours sur le devoir de construire des ponts et non des murs. Étranger à tout l’attirail du jésuitisme progressiste, répété comme un perroquet par les collaborateurs du prince. Étranger à cette Église qui parle comme l’ONU et la franc-maçonnerie et qui, sans surprise, reçoit les applaudissements des milieux mondialistes.

Il n’est pas facile de vivre dans l’extranéité. On se sent seul et on court le risque de devenir exagérément méfiant. Moi, par nature, je suis enclin à faire confiance et à voir le côté positif. Mais les hérétiques et les apostats qui ont gravi le temple et s’y sont installés nous obligent, nous que Prezzolini appelait les apoti [les « résistants », ceux qui ne tombent pas dans le panneau, ndt], ceux qui n’y croient pas, à cultiver une méfiance systématique. Comme une défense légitime de nous-mêmes mais, avant tout, de la vérité.

Vivre comme un étranger, c’est devenir un peu un passager clandestin, comme un passager non autorisé, obligé de regarder autour de lui avec circonspection, car les contrôleurs peuvent surgir à tout moment. Et ils savent comment vous normaliser.

Vivre comme un étranger est aussi fatigant. Jamais un refuge sûr, jamais une maison accueillante. Partout la possibilité de violence. Partout le risque de répression.

C’est une révolution qui touche la personne à plusieurs niveaux. Non seulement sur un plan strictement spirituel, mais plus généralement d’un point de vue culturel et social.

Je ressens également le même sentiment d’extranéité vis-à-vis des médias mainstream, dont j’ai fait partie pendant des décennies, et de leurs récits. Peu d’années se sont écoulées depuis que j’y ai travaillé, mais c’est comme si des siècles avaient passé. L’affaire dite de la pandémie a certainement marqué un tournant, mais pour moi, le processus avait commencé avant.

Je vais te dire quelque chose qui va te surprendre, car tu connais ma distance par rapport à la pensée marxiste. Pourtant, j’ai trouvé une image de la situation à laquelle je souscris, exprimée avec une grande lucidité, dans un livre d’un homme politique communiste. Je me réfère à I santuari (Les sanctuaires), d’Emanuele Macaluso , député et sénateur du PCI, membre de nombreuses commissions parlementaires, directeur de l’Unità et, pendant une brève période, du Riformista.

Eh bien, dans ce livre, Macaluso, qui est décédé à 96 ans au début de cette année, en suivant les traces de Leonardo Sciascia (qui soutenait que le pouvoir, le vrai pouvoir, n’est pas là où l’on croit, mais « est ailleurs ») affirme sans hésiter que ceux qui prennent les décisions contraignantes, dont dépend le sort de peuples entiers, sont en fait dans les « sanctuaires ». Et que sont-ils? Les voici : la franc-maçonnerie, la mafia et les services secrets, avec toutes les connexions nécessaires à l’économie et à la finance.

J’entends déjà l’objection et l’accusation: complotiste! Ce à quoi je réponds: oui, complotiste. Parce que l’histoire de notre pays est tissée de complots, de machinations et d’intrigues, avec des protagonistes bien précis et une logique qui est restée constante : humilier la nation par la peur (je suis assez vieux pour me souvenir de la stratégie de la tension [allusion aux « années de plomb« , ndt]), vider la démocratie, piétiner la liberté, assujettir non seulement les institutions mais aussi, et en même temps, les consciences. Avec l’inévitable soutien des idiots utiles.

La référence à notre pays, face à des phénomènes mondiaux, peut sembler réductrice, mais elle ne l’est qu’en partie. Parce que « les sanctuaires » ont toujours eu un œil spécialement tourné vers l’Italie et Rome. Certes, en raison de la position de la Péninsule sur l’échiquier mondial, mais aussi en raison de la présence, au cœur de l’Italie, d’un homme vêtu de blanc dont l’auctoritas et la libertas ont longtemps constitué un obstacle insurmontable aux complots de la triade.

Mais maintenant ce rempart est tombé. Certes, le processus d’infiltration a commencé il y a longtemps, mais ce n’est que maintenant que l’on peut dire qu’il est complet et manifeste. L’auctoritas est compromise, la libertas bradée. Ainsi, ressentir un sentiment d’extranéité de plus en plus profond, même s’il est douloureux, n’est pas un symptôme de maladie, mais de santé mentale et spirituelle.

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