En 1969, le futur pape, dans une série de cinq conférences à la radio bavaroise (Bayerische Rundfunk) tenait des propos saisissants qui, lus aujourd’hui (particulièrement en France, où l’Eglise-institution traverse une tempête qui risque de l’emporter et qui revêt des aspects spirituels mais aussi, et ce n’est pas anodin, financiers), apparaissent comme d’authentiques prophéties. Nous en avons déjà parlé dans ces pages, mais la version qu’en donne aujourd’hui le site korazym.org me semble la plus complète que j’ai vue.

De la crise actuelle émergera une Église qui a beaucoup perdu émergera. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter les bâtiments qu’elle a construits en période de prospérité. Au fur et à mesure que ses fidèles diminueront, elle perdra aussi la plupart de ses privilèges sociaux

La prophétie de Ratzinger de 1969 sur l’avenir d’une « Église de la foi » et de « ce petit troupeau de croyants »

www.korazym.org/65921/la-profezia-di-ratzinger-del-1969-sul-futuro-di-una-chiesa-della-fede-e-quel-piccolo-gregge-di-credenti

La prophétie sur l’avenir d’une « Église de la foi » et de « ce petit troupeau de croyants » conclut un cycle de cinq conférences radiophoniques que Joseph Ratzinger, alors professeur de théologie, a données en 1969. Après avoir rompu avec ses amis théologiens Hans Küng, Edward Schillebeeckx et Karl Rahner sur l’interprétation du Concile Vatican II, il a noué de nouvelles amitiés avec les théologiens Hans Urs von Balthasar et Henri de Lubac, avec lesquels il a lancé la revue Communio. En cinq conférences, le théologien et futur pape de cette année 1969 complexe a exposé sa vision de l’avenir de l’homme et de l’Église.

C’est surtout la dernière conférence, le jour de Noël 1969 aux micros de la Hessischer Rundfunk, qui prend des allures de prophétie.

Le professeur Joseph Ratzinger se disait convaincu que l’Église vivait une époque semblable à celle qui a suivi les Lumières et la Révolution française:

« Nous sommes à un énorme tournant dans l’évolution de l’espèce humaine. Un moment en comparaison duquel le passage du Moyen Âge à l’époque moderne semble presque insignifiant ».

Le professeur Ratzinger comparait l’époque actuelle à celle du pape Pie VI, qui fut enlevé par les troupes de la République française et mourut en captivité en 1799. L’Église avait alors été confrontée à une force qui voulait l’anéantir à jamais, avait vu ses biens confisqués et les ordres religieux dissous. Une condition pas très différente, expliquait-il, pourrait attendre l’Église aujourd’hui, minée par la tentation de réduire les prêtres à des « travailleurs sociaux » et leur travail à une simple présence politique.

Ratzinger affirmait:

« Dans la crise actuelle, une Église qui a beaucoup perdu émergera. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter les bâtiments qu’elle a construits en période de prospérité. Au fur et à mesure que ses fidèles diminueront, elle perdra aussi la plupart de ses privilèges sociaux »

Et elle repartira de petits groupes, de mouvements et d’une minorité qui remettra la Foi au centre de l’expérience.

« Ce sera une Église plus spirituelle, qui ne s’arrogera pas un mandat politique en flirtant tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Elle sera pauvre et deviendra l’Église des pauvres ».

Ce que le professeur Ratzinger ébauchait était

« un long processus, mais lorsque tous les efforts seront terminés, une grande puissance émergera d’une Église plus spirituelle et simplifiée ».

À ce moment-là, les hommes découvriront qu’ils habitent un monde de « solitude indescriptible » et, ayant perdu Dieu de vue, « ils ressentiront l’horreur de leur pauvreté ». Alors, et seulement alors, concluait-il, ils verront

« ce petit groupe de croyants comme quelque chose de totalement nouveau : ils le découvriront comme une espérance pour eux-mêmes, la réponse qu’ils avaient toujours cherchée en secret ».

[Ci-dessous], la traduction en italien des paroles du professeur Joseph Ratzinger, répondant à la question de ceux qui se demandaient ce que l’Église deviendrait dans le futur lors d’une émission de radio le 25 décembre 1969 [et ma traduction en français, ndt]


(…) Nous devons être prudents dans nos prédictions. Ce que disait saint Augustin est toujours vrai : l’homme est un abîme ; personne ne peut prévoir ce qui émergera de ces profondeurs. Et celui qui croit que l’Église n’est pas seulement déterminée par l’abîme qu’est l’homme, mais qu’elle atteint l’abîme le plus grand, le plus infini, qui est Dieu, sera le premier à hésiter dans ses prédictions, car ce désir naïf de savoir avec certitude ne pourrait être que l’annonce de son inaptitude historique. (…)

L’avenir de l’Église peut résider et résidera dans ceux dont les racines sont profondes et qui vivent dans la pure plénitude de leur foi. Il ne résidera pas chez ceux qui ne font que s’adapter au moment présent, ni chez ceux qui se contentent de critiquer les autres en se prenant pour des juges infaillibles, ni chez ceux qui choisissent la facilité, qui éludent la passion de la foi en la déclarant fausse et obsolète, tyrannique et légaliste, tout ce qui exige quelque chose des hommes, les blesse et les oblige à se sacrifier. Pour le dire plus positivement : l’avenir de l’Église, une fois de plus comme toujours, sera façonné par les saints, c’est-à-dire par des hommes dont l’esprit est plus profond que les slogans du jour, qui voient plus que ce que les autres voient, parce que leur vie embrasse une réalité plus large. La générosité, qui rend les hommes libres, ne s’obtient que par la patience de petits actes quotidiens d’abnégation. Grâce à cette passion quotidienne, qui révèle à l’homme combien il est asservi par son ego, grâce à cette passion quotidienne et à elle seule, les yeux de l’homme s’ouvrent lentement. L’homme ne voit que dans la mesure de ce qu’il a vécu et subi. Si aujourd’hui nous ne sommes plus très capables de prendre conscience de Dieu, c’est parce qu’il nous est très facile de nous échapper, de fuir les profondeurs de notre être à travers le sentiment narcotique de tel ou tel plaisir. De cette façon, nos profondeurs intérieures nous restent fermées. S’il est vrai qu’un homme ne peut voir qu’avec son cœur, alors combien nous sommes aveugles !

De quelle manière cela influe-t-il le problème que nous examinons ? Cela signifie que tout le discours de ceux qui prophétisent une Église sans Dieu et sans foi n’est que du bavardage inutile.

Nous n’avons pas besoin d’une Église qui célèbre le culte de l’action dans les prières politiques. Elle est entièrement superflue. Et donc elle va se détruire. Ce qui restera sera l’Église de Jésus-Christ, l’Église qui croit au Dieu qui s’est fait homme et qui nous promet la vie après la mort. Le prêtre qui n’est qu’un travailleur social peut être remplacé par le psychothérapeute et d’autres spécialistes, mais le prêtre qui n’est pas un spécialiste, qui ne reste pas dans les tribunes à regarder le match, à donner des conseils officiels, mais qui se met au nom de Dieu à la disposition de l’homme, qui l’accompagne dans ses peines, dans ses joies, dans ses espoirs et dans ses craintes, un tel prêtre sera certainement nécessaire à l’avenir.

Faisons un pas de plus. De la crise d’aujourd’hui émergera une Église qui aura beaucoup perdu. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter nombre des bâtiments qu’elle avait construits dans la prospérité. Le nombre de ses fidèles diminuant, elle perdra également la plupart de ses privilèges sociaux. Contrairement à une période antérieure, elle sera davantage perçue comme une société volontaire, dans laquelle on n’entre que par libre décision. En tant que petite société, elle exigera beaucoup plus de l’initiative de ses membres individuels.

Elle découvrira sans doute de nouvelles formes de ministère et ordonnera au sacerdoce des chrétiens qui exercent une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou groupes sociaux autosuffisants, le service pastoral sera normalement assuré de cette manière. Parallèlement, le ministère sacerdotal à plein temps sera indispensable, comme auparavant. Mais malgré tous ces changements que l’on peut supposer, l’Église retrouvera, avec toute son énergie, ce qui lui est essentiel, ce qui a toujours été son centre : la foi dans le Dieu trinitaire, en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, dans l’assistance de l’Esprit, qui durera jusqu’à la fin. Elle repartira de petits groupes, de mouvements et d’une minorité qui remettra la foi et la prière au centre de l’expérience et qui revivra les sacrements comme un service divin et non comme un problème de structure liturgique.

Ce sera une Église plus spirituelle, qui ne s’arrogera pas un mandat politique en flirtant tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Elle le fera avec difficulté. Le processus de cristallisation et de clarification la rendra pauvre, il en fera une Église des petites gens, le processus sera long et ardu, car il faudra éliminer l’étroitesse d’esprit sectaire et l’obstination pompeuse. On peut prédire que tout cela prendra du temps.

Le processus sera long et ardu, comme l’a été le chemin du faux progressisme à la veille de la Révolution française – où un évêque pouvait être considéré comme intelligent s’il se moquait du dogme et insinuait même que l’existence de Dieu n’était pas du tout certaine – jusqu’au renouveau du XIXe siècle. Mais après l’épreuve de ces divisions, une grande force émergera d’une Église intériorisée et simplifiée. Les hommes qui vivront dans un monde totalement programmé connaîtront une solitude indescriptible. S’ils auront complètement perdu le sens de Dieu, ils ressentiront toute l’horreur de leur pauvreté. Et ils découvriront alors la petite communauté des croyants comme quelque chose de totalement nouveau : ils la découvriront comme une espérance pour eux-mêmes, la réponse qu’ils avaient toujours cherchée en secret.

Il me semble certain que des temps très difficiles sont à venir pour l’Église. Sa véritable crise ne fait que commencer. Elle doit faire face à de grands bouleversements. Mais je suis aussi très certain de ce qui restera à la fin : non pas l’Église du culte politique, qui est déjà morte, mais l’Église de la foi. Il est certain qu’elle ne sera plus la force sociale dominante dans la mesure où elle l’était encore récemment. Mais l’Église connaîtra une nouvelle floraison et apparaîtra comme la maison de l’homme, où il peut trouver la vie et l’espérance au-delà de la mort ».

L’Église catholique survivra malgré les hommes et les femmes, pas nécessairement grâce à eux, et nous avons encore notre rôle à jouer. Nous devons prier et cultiver la générosité, l’abnégation, la fidélité, la dévotion sacramentelle et une vie centrée sur le Christ.

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