Le Premier ministre Castex (personnage gris, flou, hors du temps, qui cultive son air benêt et semble tout droit sorti d’un roman de Courteline) en visite chez le Pape, lui a offert un maillot du footballeur argentin Messi, étalant ainsi une inculture si crasse qu’elle parvient à nous faire honte, comme Français, de ce manque de respect pour l’Eglise, indépendamment de celui qui la représente. Ils ont aussi abordé, paraît-il, le rapport Sauvé. Andrea Gagliarducci pose ici la question cruciale des concessions excessives faite par l’Eglise à l’opinion publique: l’Eglise ne pourra pas guérir la plaie des abus si elle se laisse « plumer » sans répliquer, et renonce à réclamer la justice. Y compris pour elle.

Pape François, le problème de la réponse aux abus

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-problem-of-responding-to-abuses
Lundi 18 octobre

Cette semaine, deux faits importants concernant la question des abus ont frappé le Saint-Siège. Le premier est que le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, a commencé sa retraite spirituelle, s’auto-suspendant dans la pratique de l’administration de l’archidiocèse jusqu’en mars. La seconde est qu’en France, un rapport gouvernemental a établi que quelque 216 000 mineurs auraient été abusés en France par environ 3 000 prêtres sur une période allant de 1950 à 2020.

Ces deux nouvelles sont essentielles car elles montrent aussi à quel point la manière dont le Saint-Siège réagit aux abus a changé. Et elles mettent en lumière certains problèmes, que l’on aurait tort de sous-estimer.

Le cardinal Woelki est entré dans une retraite spirituelle de six mois, avec une décision partagée avec le Saint-Siège car – explique un communiqué de la nonciature – il a été reconnu qu’il avait commis une erreur de communication. La tempête contre le cardinal Woelki a commencé lorsque le cardinal lui-même a refusé de rapporter comment [certains de] ses subordonnés avaient traité les abus. Selon certains consultants, le rapport présentait des failles méthodologiques. L’archidiocèse a alors commandé un autre rapport [l’affaire a été traitée en détail par Andrea Gagliarducci ici].

Le pape François avait également envoyé une inspection, dirigée par le cardinal Anders Arborelius, évêque de Stockholm, afin d’établir les éventuelles responsabilités du cardinal Woelki dans la couverture des affaires. Il a été établi qu’il n’y avait rien à reprocher au cardinal. En fait, l’archevêque de Cologne avait bien géré les affaires, sans aucune dissimulation.

Toutefois, il a été décidé de lui demander de se retirer de la scène publique pendant un certain temps. Cette décision doit être considérée comme une tentative de protéger le cardinal Woelki, qui a été frappé par une pluie de critiques. Au lieu de laisser le cardinal exposé à la tempête médiatique, il a été décidé de le retirer de la mêlée et du centre d’attention [ndt: c’est peut-être une interprétation excessivement charitable].

C’était une décision de bon sens. Mais, en réalité, l’effet produit a été tout autre. Tout d’abord, on a eu l’impression que le cardinal Woelki avait été puni pour une erreur de communication, et il est facile d’associer une erreur de communication à une dissimulation. L’opinion publique était libre de spéculer, dans un sens négatif, sur la situation de l’Église.

La même possibilité de spéculation a été donnée à l’opinion publique en France. Le rapport dit CIASE, commandé par la Conférence épiscopale française, ne repose pas sur une enquête judiciaire mais sur une estimation. Il se base sur les plaintes reçues par téléphone, courrier, e-mail, et seulement en partie sur les archives des diocèses et des paroisses.

Les chiffres, aussi terribles soient-ils, doivent être relativisés : il s’agit de 4 % des abus survenus dans toute la France au cours de cette même période, commis par 2,8 % des prêtres. Cependant, il est également important de réfléchir au culte de la dénonciation qui a été créé.

Effrayée par les erreurs du passé, lorsque les plaintes n’étaient pas objectivement entendues, chaque plainte devient aujourd’hui une vérité qu’il est interdit d’ignorer. En conséquence, les victimes présumées sont considérées comme ayant raison avant qu’il ne soit prouvé qu’elles ont été abusées.

Et ce n’est pas tout. L’Église n’a même pas le droit à la parole. Le rapport du CIASE propose également une sorte de « suspension » du secret de la confession pour les cas d’abus afin de se conformer à la loi française, qui prévoit l’obligation de dénoncer. Cette situation n’est pas nouvelle : il existe aujourd’hui dans le monde de nombreux Etats dans lesquels il a été proposé d’abolir le secret de la confession, de l’Australie aux Etats-Unis. Cependant, lorsque l’archevêque de Moulins-Beaufort, président de la Conférence épiscopale française, a souligné que le sceau de la confession ne pouvait être touché, les réactions ont été violentes.

Convoqué par le ministre de l’Intérieur, Darmanin, Mgr de Moulins-Beaufort a fait une déclaration dans laquelle il a souligné l’engagement de l’Église de France en faveur des mineurs et insisté sur le fait que ses prises de position avaient été « maladroites ». Là aussi, une concession totale à l’opinion publique, qui ne rend cependant pas justice à la vérité des faits.

Que la maltraitance soit un drame et un crime, c’est un fait. Mais il est suicidaire de renoncer à dire la vérité à cause d’un sentiment de honte pour l’ensemble de la situation.

Le pape François lui-même, lors du sommet contre les abus qu’il a convoqué en 2019, a noté que certains ont utilisé le scandale des abus pour attaquer l’Église. Par conséquent, chaque plainte devait être profondément examinée et comprise.

Le problème n’est pas les mesures à mettre en place, mais plutôt le changement de mentalité. Pendant des années, on ne parlait pas des abus, et les évêques locaux ne signalaient pas à Rome ce qui s’était passé, déplaçant les curés de paroisse en paroisse. Et, comme Benoît XVI l’a expliqué dans sa lettre aux catholiques d’Irlande, il y avait eu une mentalité de miséricorde qui avait mis de côté la culture de la justice.

Or, la justice signifie aussi savoir se défendre lorsque les accusations sont injustes. Mais ces dernières années, l’Église semble avoir toujours donné des signes de capitulation. Les cas du cardinal Philippe Barbarin et du cardinal George Pell sont révélateurs : les deux cardinaux ont été injustement accusés et pourtant soumis à un pilori médiatique qui a eu de graves conséquences (le cardinal Barbarin a quitté la direction du diocèse et le cardinal Pell a passé plus d’un an en prison)

En fait, le Saint-Siège a toujours défendu formellement ces prélats [formellement, mais pas activement, c’est bien le problème! ndt]. Il l’a fait avec Pell et Barbarin, et avec Woelki aussi. Pourtant, l’idée qui est restée, c’est celle d’une manière d’agir injuste et peu énergique, qui a trop concédé à l’opinion publique.

Et les questions demeurent : une simple erreur de communication (jugée sur la base de quoi ?) suffira-t-elle à conduire les évêques à s’auto-suspendre dans le monde entier ? Une attaque médiatique sera-t-elle suffisante pour demander aux cardinaux de se retirer ? Une opinion publique négative sera-t-elle suffisante pour forcer quelqu’un à aller en prison ou lui faire perdre son emploi ?

C’est dans ce contexte que se joue le défi des abus. Pas sur les mesures, la rigueur, et sur l’écoute des victimes. Elle doit être fondée sur des critères de justice.

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