Retour sur l’épisode sanglant des viols et des assassinats barbares de civils italiens à la fin de la guerre par des soldats marocains des forces coloniales françaises auxquels le Pape a rendu « hommage » (sans vouloir l’excuser et minimiser l’affront aux victimes, je pense qu’il a péché par ignorance, et je soupçonne que les italiens de la Curie qui sont censés le conseiller et qui connaissent forcément ces évènements ont omis volontairement de l’informer, juste pour le mettre dans l’embarras: une sorte de petite vengeance contre le chef, en somme). Andrea Cionci fournit un compte-rendu très complet (il cite de nombreux épisodes et des noms de villages qui nous sont inconnus et qui n’intéressent a priori que des historiens locaux, mais son scrupule nous dit que TOUTES les victimes ont droit à l’hommage de la mémoire) et surtout il ne manque pas de souligner le rôle ambigu de De Gaulle, qui était sur place et même aux premières loges, et qui était forcément au courant de se qui se passait littéralement sous ses yeux: bref, une tache (qui serait embarrassante si elle était connue) sur la mémoire du grand homme dont bizarrement tout le monde se réclame aujourd’hui et se dispute l’héritage.
A noter, le très beau film de Vittorio de Sicca, d’après le roman d’Alberto Moravia, « La Ciociara » (1960) avec Sofia Loren, évoque cette histoire.

Voir aussi:

Le pape François et la messe sur les tombes des Goumiers musulmans, auteurs des « maroquinades ».

Andrea Cionci
www.liberoquotidiano.it
2 novembre 2021

Ce matin à 11 heures, François a célébré la « messe pour les morts » du 2 novembre au cimetière militaire français de Rome, à Monte Mario.

« Ce sera l’occasion de prier en suffrage pour tous les morts, en particulier pour les victimes de la guerre et de la violence », avait-il annoncé à l’Angélus de dimanche et au cours du rite, il a déclaré : « Ces braves gens sont morts à la guerre, appelés à défendre la patrie, les valeurs et les idéaux. Et tant d’autres fois à défendre des situations politiques olitiques. Ils sont les victimes, les victimes de la guerre qui mange les enfants de la patrie ».

Ainsi, deux jours après le Centenaire du Soldat inconnu italien, la messe pour les « victimes » de la violence de la guerre a été célébrée par Bergoglio sur les tombes des auteurs – franco-coloniaux et musulmans – de ces violences atroces connues sous le nom de « MAROQUINADES » et dont les Italiens ont payé le prix.
Dans ce cimetière, en effet, reposent 1888 soldats français, mais, comme le précise Pro Loco di Roma, « la plupart des morts, cependant, ne sont pas d’origine française. De nombreuses victimes sont des « Goumiers », des soldats de nationalité marocaine qui ont été appelés à combattre dans les troupes françaises pendant près de 50 ans. NOUS LE COMPRENONS ÉGALEMENT GRÂCE AU CROISSANT ISLAMIQUE GRAVÉ SUR LA PIERRE TOMBALE. Tous les soldats ont été enterrés de la même manière, avec une croix en marbre au-dessus et l’inscription « mort pour la France ».

Et maintenant, voyons qui étaient ces « braves gens », ces tristement célèbres goumiers, auteurs de plus de 60 000 viols sur des femmes, des hommes et des enfants italiens, de meurtres et de vols dans toute l’Italie, de la Sicile à la Toscane, de 1943 à 1945. Un prêtre, don Alberto Terrilli, a même été violé à mort et a succombé à ses blessures.

En 1942, le général Charles De Gaulle, ayant fui la France occupée par les Allemands et qui est à la tête du gouvernement français en exil de la « France libre », fait appel aux militaires des colonies françaises pour créer le CEF : Corps expéditionnaire français, composé à 60% de Marocains, d’Algériens et de Sénégalais et pour le reste de Français européens, soit 111.380 hommes. Il existe cependant des divisions exclusivement marocaines de goumiers (de l’arabe qaum) dont les soldats viennent des montagnes du Riff et sont regroupés dans des divisions appelées « tabor » dans lesquelles il existe des liens tribaux ou familiaux directs. Ils étaient 7833, portant le burnou arabe caractéristique, une tunique en laine verte à bandes verticales multicolores (djellaba) et des sandales en corde. Ils portaient également à la ceinture le poignard courbe typique (koumia) avec lequel, selon une ancienne coutume, ils coupaient les oreilles des ennemis tués pour en faire des colliers et des ornements (les Allemands en particulier en étaient les victimes). Leur commandant est l’ambitieux général Alphonse Juin, né en Algérie, qui est passé du statut de collaborateur nazi à celui de proche de De Gaulle.

Les viols des troupes marocaines a commencé en juillet 1943, avec le débarquement allié en Sicile et n’a été interrompu que brièvement lorsque les Alliés, progressant sans trop de difficultés à travers l’Italie, se sont enlisés à Cassino, sur la ligne Gustav, où les Allemands opposaient une résistance tenace. C’est le général Juin qui propose de déborder la forteresse ennemie du Mont Petrella, à l’est de Cassino, laissée partiellement sans défense par les Allemands. Dans cette zone, seules ses troupes de montagne marocaines pouvaient réussir.

Entre-temps, par le biais d’un largage aérien de tracts, les Allemands avaient averti la population civile de Ciociaria du danger que représentaient les troupes nord-africaines, l’incitant à fuir, comme en témoigne le partisan et historien local, le professeur Bruno D’Epiro. De nombreux enfants sont évacués par la Garde nationale républicaine fasciste et envoyés dans les colonies de Rimini, mais la plupart de la population civile se réfugie avec des tentes et des chariots sur le plateau de Polleca, un plateau de taille moyenne situé juste en dessous du Mont Petrella.

Lorsque les Alliés lancent l’opération Diadem (le dernier assaut collectif allié), les goumiers marocains gravissent les pentes abruptes du mont Petrella et viennent facilement à bout des défenses allemandes. Alors que deux des derniers soldats allemands encore présents à Esperia se suicident en se jetant dans le ravin en contrebas du château, pour ne pas finir décapités comme leurs camarades capturés, les 16 et 17 mai, les Marocains parviennent à percer la ligne Gustav et se déversent sur le plateau de Polleca, « fêtant » leur succès face aux milliers de réfugiés italiens qui, venant non seulement d’Esperia mais aussi des villes voisines, attendent sur le plateau que la guerre passe.

Pour donner une idée de ce qui s’est passé, voici les comptes rendus de ce qui s’est déroulé dans les différents villages de Ciociaria occupés par les Franco-coloniaux du CEF. A Ausonia, des dizaines de femmes furent violées et tuées, et il arriva la même chose aux hommes qui tentèrent de les défendre.
Selon les archives de l’Association nationale des victimes civiles de la guerre, « deux enfants âgés de six et neuf ans ont même été violés ». À S. Andrea, des Marocains ont violé 30 femmes et deux hommes ; à Vallemaio, deux sœurs ont dû satisfaire un peloton de 200 goumiers ; 300 d’entre eux ont abusé d’une femme de 60 ans. D’après les documents de l’Association nationale des victimes des « maroquinades », il apparaît qu’à Prossedi le plus jeune enfant tué par les troupes coloniales n’avait que 3 ans et la plus jeune fille violée avait 4 ans et était originaire d’Albanova (aujourd’hui une municipalité supprimée). Castro dei Volsci, dans la province de Frosinone, fut la municipalité la plus touchée avec 940 viols, tandis que Pico en subit 809 ; une fillette fut crucifiée avec sa sœur. A Amaseno, 706 cas de viols, à Cassino une femme, après avoir été violée, fut brûlée vive. À Vallecorsa, le curé Enrico Iannone fut tué parce qu’il avait essayé de sauver des femmes. De nombreuses femmes des municipalités de Carpineto Romano, Vallecorsa, Patrica, Pastena et Lenola furent violées par 40, 100 et jusqu’à 200 soldats. À Esperia, 700 femmes fuent violées sur une population de 2.500 habitants. Même le curé de la paroisse, don Alberto Terrilli, en tentant de défendre deux fillettes, fut attaché à un arbre et violé pendant toute une nuit. Il est mort deux ans plus tard de lacérations internes. A Pico, une fillette fut crucifiée avec sa sœur. Après le viol collectif, elle fut tuée. A Polleca (Esperia), le summum de la bestialité fut atteint. Luciano Garibaldi écrit que les troupes marocaines du général Guillaume violèrent des petites filles et des vieilles femmes ; les hommes qui réagirent furent sodomisés, tués à la mitrailleuse, émasculés ou empalés vivants. Un témoignage tiré d’un rapport de l’époque décrit leur méthode typique : « Les soldats marocains, ayant frappé à une porte qu’on ne leur avait pas ouverte, ont défoncé la porte, ont frappé la mère avec la crosse du mousquet à la tête, la faisant tomber au sol inconsciente, puis elle a été portée à bout de bras à environ 30 mètres de la maison et violée pendant que le père, par d’autres soldats, était traîné, battu et attaché à un arbre. Les passants terrifiés n’ont pas pu aider la petite fille et ses parents car un soldat montait la garde avec son mousquet pointé sur eux. Voici quelques-unes de ces atrocités pour donner une idée générale.

Germano, Pofi Pontecorvo, S.Giovanni Incarico, Sant’Ambrogio sul Gariglaino, Terella, Vallerotonda, Vallemaio,Villa Santo Stefano, Frosinone, Giuliano di Roma, Albano Laziale, Allumiere, Anguillara Sabazia, Cesano, Colleferro, Frascati, Gavignano, Gorga, Grottaferrata Ladispoli, Lanuvio Lariano. Montecelio, Rome, Segni, Tolfa Velletri, Zagarolo futrent les communes touvhées dans le Latium. Ainsi que de nombreuses villes de la province de Viterbo et des régions de Campanie, de Toscane et des Pouilles. Des milliers de femmes ont été fécondées et infectées par la syphilis, la blénorrhagie et d’autres maladies vénériennes, et ont souvent infecté leurs maris légitimes. Des milliers d’entre elles se sont retrouvées enceintes: après la guerre, l’orphelinat de Veroli a accueilli à lui seul quelque 400 enfants nés de ces unions forcées.

Les documents des Archives centrales de l’État montrent que des Français blancs ont également participé aux violences : à Pico, 51 femmes (dont neuf mineures) ont été violées par 181 Franco-Africains et 45 Français blancs. Compte tenu de cet épisode et du fait que les Français d’Europe représentaient 40 % de l’ensemble du CET il est limite d’imputer la responsabilité des violences aux seuls goumiers marocains.

Dans tout cela, De Gaulle était là. L’officier Robichon rapporte : « Dans l’après-midi du 16 mai 1944 (alors que les goumiers violaient les réfugiés), le général De Gaulle se rendit soudainement avec les généraux Juin, Brosset, de Lattre et le ministre de la Défense, M. Diethelm, sur les arrières français à 3,5 km d’Esperia, pour avoir une vue d’ensemble de l’opération. Du « balcon d’Esperia », de Gaulle peut comprendre et distinguer clairement la bataille : il est arrivé d’Ausonia avec une colonne de voitures jusqu’aux ruines d’une ferme ». Le professeur D’Epiro, historien local déjà cité, identifie la ferme au pavillon de chasse du baron Roselli, qui, comme l’indiquent les photographies de Massimo Lucioli, domine exactement le plateau de Polleca. Ces éléments montrent que De Gaulle se trouvait sur le plateau de Polleca le jour même où les atrocités marocaines ont commencé.

L’essayiste et historien Massimo Lucioli, auteur du premier essai sur les marocains (La Ciociara e le altre) explique : « Compte tenu de l’implication de sous-officiers et d’officiers blancs, dont certains étaient italophones car corses et non présents dans les divisions de la troupe Goumier, on peut dire que les violeurs se cachaient dans les quatre divisions du CEF. Peut-être pour cette raison également, les officiers français n’ont répondu à aucune demande des victimes et ont regardé impassiblement leurs hommes faire leur travail. Selon les témoins, lorsque des civils se présentaient pour signaler les violences, les agents haussaient les épaules et les renvoyaient avec un petit sourire. Cette attitude a duré jusqu’à l’arrivée du CEF en Toscane. Les violences reprennent à Sienne, Abbadia S. Salvatore, Radicofani, Murlo, Strove, Poggibonsi, Elsa, S. Quirico d’Orcia et Colle Val d’Elsa. Même les membres de la Résistance ont dû subir des abus. Comme en témoigne le partisan rouge Enzo Nizza : « À Abbadia, nous avons compté jusqu’à soixante victimes de violences cruelles, qui se sont déroulées sous les yeux de leurs familles. Une des victimes était la camarade Lidia, notre fille de relais. Notre camarade Paolo a également été violé par sept Marocains. À nos protestations, les commandants français, ont répondu que c’était une tradition pour leurs troupes coloniales de recevoir une telle récompense après une bataille difficile ».

C’est peut-être la raison pour laquelle, dans le film La Ciociara de De Sica, à un moment donné, Sofia Loren et sa fille, qui viennent d’être violées, rencontrent quelques alliés, dont un Français dans une jeep, qui ignorent leur cri de douleur perçant et passent à autre chose.

Même les Américains étaient au courant de ces horribles épisodes : ce n’est que dans quelques cas qu’ils ont faiblement tenté de retenir les goumiers. Eric Morris écrit dans « The Useless War » que, toujours près de Pico, les hommes d’un bataillon du 351e Infanterie américaine ont tenté d’arrêter les viols, mais leur commandant de compagnie est intervenu et a déclaré qu’ « ils étaient là pour combattre les Allemands, pas les goumiers ».

Des gens bien.

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