Le directeur du blog conservateur « Catholic Things », Robert Royal, a lu  Benedict : Defender of the Faith, la biographie de Benoît XVI parue récemment aux éditions Ignatius sous la signature de Joseph Pearce (nous en avons parlé ici: Cadeau du jour: un splendide hommage à Benoît XVI). Une autre pépite à ne pas manquer

En 1985, quand Joseph Ratzinger accordait au journaliste italien Vittorio Messori l’interview qui devait devenir un livre intitulé The Ratzinger Report [en français: « Entretiens sur la foi »], le futur pape expliquait que le Concile Vatican II, au cours duquel il avait été consultant, « voulait marquer le passage d’une attitude protectrice à une attitude missionnaire. Beaucoup oublient que pour le Concile, le contre-concept de ‘conservateur’ n’est pas ‘progressiste’ mais ‘missionnaire' ».

Ce n’est là qu’une des nombreuses perles du nouveau livre de Joseph Pearce, bref mais grand par le cœur Benedict XVI, : Defender of the Faith, un portrait concis de la personnalité qui a peut-être été le plus grand théologien à devenir pape, pour beaucoup « le Mozart de la théologie ».

Il est typique qu’il ait refusé à plusieurs reprises les efforts déployés de divers côtés pour imposer à l’Église un cadre politique de droite et de gauche. [Lire] Pearce est particulièrement utile à l’heure actuelle en raison de la polarisation qui se manifeste à nouveau parmi les catholiques. La sagesse de Benoît XVI pourrait nous offrir une voie à suivre.

Cette sagesse est particulièrement évidente dans la manière dont il a traité les questions relatives à la liturgie. Pearce raconte brièvement comment la nouvelle liturgie a été imposée à toute l’Église en six mois seulement, ce qui a inspiré à Benoît XVI ce commentaire: « J’ai été consterné par l’interdiction de l’ancien missel, car rien de tel ne s’était jamais produit dans toute l’histoire de la liturgie. »

Devenu pape, Benoît XVI a encouragé un effort raisonnable d’ « enrichissement mutuel » entre l’ancienne et la nouvelle messe (en observant, également, que l’ « ancienne » forme, valide, ne peut être interdite). Contrairement à la récente et dure remise en cause de cette trêve dans Traditionis custodes, l’intervention de Benoît XVI était douce et visait à permettre le développement lent et continu typique de la réforme liturgique tout au long de l’histoire catholique.

Cette douceur et cette prudence ont été invisibles pour ses détracteurs qui ne voyaient dans sa fidélité constante que « le Rottweiler de Dieu ». Il était donc amusant de voir comment la presse a été – même si ce n’est que brièvement – charmée par son humilité flagrante lors de sa visite aux États-Unis en 2008. Scott Hahn – qui a été converti en partie par la lecture de Ratzinger – décrit à juste titre le livre de Pearce dans l’avant-propos comme « le portrait d’un homme magnifique – un homme timide, gentil, chrétien, qui a reçu de nombreux dons au cours de sa vie et qui s’est efforcé d’utiliser tous ces dons pour servir avec amour le Donateur« . Le volume des écrits de Ratzinger en témoigne.

Ratzinger s’est toujours intéressé à l’histoire – non pas au sens neutre et laïc du terme, mais comme l’un des moyens de voir le Dieu de la Bible agir dans le temps. Il a choisi d’écrire l’une de ses thèses de doctorat sur la Théologie de l’histoire de Saint Bonaventure, qui adopte une approche entièrement différente de l’histoire humaine – c’est le moins que l’on puisse dire – que celle que nous voyons dans les approches marxistes et matérialistes.

Comme saint Jean-Paul II, ses premières années se sont déroulées alors que le nazisme et le communisme étaient des forces puissantes. Il n’a jamais été la proie de ce qu’il appelle la « naïveté optimiste » des révolutionnaires ou des progressistes modérés qui parlent avec désinvolture d’être « du bon côté de l’histoire ». Trop de gens ont été tués, et continuent de l’être – maintenant même dans le ventre de leur mère – par des gens limités qui débitent ces platitudes.

Pourtant, il a maintenu l’espoir chrétien à côté du réalisme chrétien :

Le chrétien sait que l’histoire est déjà sauvée, que le résultat final sera donc positif. Mais nous ne savons pas par quelles circonstances et par quels revers nous arriverons à ce grand final. Nous savons que les « puissances des ténèbres » ne l’emporteront pas sur l’Église, mais nous ne savons pas dans quelles conditions cela se produira.

C’est aussi un défi à un certain type de traditionaliste a-historique qui imagine qu’il y a eu un moment idéal dans l’histoire de l’Église et qui croit qu’il y a un chemin facile pour revenir à ce moment.

La plupart des penseurs d’aujourd’hui qui s’engagent dans de telles nuances finissent par tomber dans le relativisme ou une sorte d’agnosticisme. L’une des qualités frappantes de Benoît XVI est cette capacité à s’accrocher à la multiplicité des vérités sans perdre la trame principale – véritable – de l’histoire humaine.

Cette trame comprend l’action constante de Dieu dans l’histoire sacrée, y compris l’histoire de l’Église. Contrairement à ceux qui pensent que c’est au Concile que l’Église a découvert la justice sociale et sa véritable vocation: il n’y a pas d’Église « pré » ou « post » conciliaire : il n’y a qu’une seule et unique Église qui marche sur le chemin du Seigneur, en approfondissant et en comprenant toujours mieux le trésor de la foi que Lui-même lui a confié. Il n’y a pas de sauts dans cette histoire, il n’y a pas de fractures, et il n’y a pas de rupture de continuité ».

Cependant, même le plus grand admirateur de Benoît XVI doit se poser une question difficile : Pourquoi, alors, a-t-il démissionné de la fonction papale? Il a défendu Jean XXIII et Paul VI, les papes du Concile, pour leurs bonnes intentions, malgré leur optimisme erroné envers le monde, qui a eu, au mieux, des résultats mitigés. Peut-on dire la même chose de son abdication de 2013 ?

Les gardes suisses confirment qu’il était à peine capable d’encenser l’autel avant de démissionner ; il était devenu si faible physiquement. Sa survie inattendue ces huit années, après avoir démissionné, suggère à quel point les fardeaux de la fonction étaient devenus lourds. Dans l’annonce de sa démission, il a dit lui-même qu’en raison de la diminution de ses forces : « J’ai dû reconnaître mon incapacité à remplir le ministère qui m’a été confié. » Pourtant, de nombreuses questions persistent.

Pearce évoque l’abdication dans son dernier chapitre, mais se contente de dire que, malgré ses conséquences, Benoît XVI restera dans les mémoires « comme l’un des défenseurs de la foi les plus résolus de la longue et tumultueuse histoire de l’Église. »

Sur ce point, au moins, il n’y a aucun doute.

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