J’avais essayé de partager avec mes lecteurs la surprise teintée de plaisir que j’avais éprouvée après avoir vu le film, sorti en 1973, racontant la visite apostolique effectuée sur ordre du Vatican par un jeune prêtre moderniste chargé de remettre de l’ordre dans une communauté traditionaliste fictive basée sur un île déserte au large des côtes irlandaises et s’obstinant à célébrer la messe ancienne. Jack Tollers (une vieille connaissance, à qui nous devons un portrait sans concession du Pape actuel) en donne aujourd’hui sur le blog argentin « The Wanderer » une recension (bien plus documentée que la mienne!) qui devrait convaincre les récalcitrants ou les distraits de se procurer cette pépite de toute urgence.

Catholics. Le film et l’introduction de Jack Tollers

http://caminante-wanderer.blogspot.com/2022/01/catolicos-la-pelicula.html

Lorsque j’ai découvert que quelqu’un avait téléchargé le film Catholics sur Youtube en HD, j’ai décidé de le sous-titrer (sans savoir ce qui m’attendait – plus de 120 heures de travail, même si j’avoue l’avoir fait avec beaucoup de plaisir et être assez satisfait du résultat).

La première chose à noter est que le roman de Brian Moore qui l’a inspiré a été écrit un an plus tôt, en 1972, il y a exactement un demi-siècle. L’année suivante, en 1973, ce film a été réalisé et nous le présentons à nos lecteurs, étonnés comme nous le sommes de son actualité et de la façon dont il traite tous les sujets qu’il aborde, surtout le principal, qui est la volonté venant de Rome de supprimer une fois pour toutes la célébration de la messe selon le rite de Saint Pie V. Comme si Traditiones Custodes avait été écrit il y a 50 ans (je suis sûr qu’il l’a été).

L’intrigue consiste essentiellement en une « visite » par un inspecteur d’un ordre contemplatif fictif (les Albanais) dans un monastère du 12ème siècle, perdu sur une de ces petites îles au large de la péninsule de Dingle en Irlande. L’inspecteur, le Père James Kinsella, magnifiquement interprété par Martin Sheen, est un prêtre sécularisé, moderne, parfaitement idéologisé, œcuménique, en phase avec le  » Concile Vatican IV  » et dont la mission est d’interdire à l’abbé de continuer à célébrer la messe tridentine devenue mondialement célèbre grâce à… la télévision, attirant des foules de pèlerins du monde entier et au grand dam du Supérieur général de l’Ordre qui envoie le Père Kinsella avec toute l’autorité nécessaire pour y mettre fin une fois pour toutes. Voilà.

Avec une intelligence caractéristique, Moore ne présente pas cet inspecteur comme un ogre, mais comme un prêtre sympathique qui ne veut déranger personne, qui s’intéresse à tout… bien qu’il veuille faire exactement ce qu’on lui demande. Malgré cela, il ne s’entend pas tout à fait avec les vieux paysans de l’endroit, il se met en colère dans un pub lorsqu’il apprend que dans cette partie du monde, les gens se confessent encore en privé, et à une autre occasion, il perd son sang-froid en défendant les prêtres subversifs qui vont en Amérique du Sud pour mourir martyrs dans leur lutte pour la justice sociale (« compagnons de route des marxistes » comme on les appelait à l’époque). Mais en général, il est cordial et ne semble pas tout à fait à l’aise avec sa mission, même si la liturgie latine et tout le reste l’ennuie au plus haut point.

La photographie de cette Irlande gaélique (celle qui a sauvé la civilisation, comme l’a montré Thomas Cahill [1940-] dans son livre incontournable [How the Irish Saved Civilization]), la voix de cornemuse typique des vieux moines, les repas au réfectoire, l’abbaye médiévale, les coutumes monastiques, les personnages hauts en couleur qui y vivent paisiblement, l’humour ambiant… tout est dépeint à la perfection.

Or, la partie la plus importante du film, à mon avis, ce sont les quatre discussions que l’inspecteur Kinsella a, l’une avec l’abbé (sur les études ecclésiastiques de Boston au sujet des prêtres guérilleros en Amérique du Sud), une autre avec un moine pêcheur (le père Manus) qui a tout d’un saint et qui défend mystiquement l’Eucharistie en des termes aussi éloquents qu’émouvants. Les deux autres discussions ne sont pas sans intérêt, notamment celle avec le portier sur l’implication du clergé dans les luttes pour la justice sociale. Dans une partie de celle-ci, le jeune homme explique à Kinsella que s’il avait pensé avoir une telle vocation, il aurait choisi de rejoindre l’IRA, et non de devenir moine. Et nous avons souri à la référence au fait que, bien sûr, nous sympathisons davantage avec les descendants d’Eamon de Valera qu’avec Camilo Torres).

Mais nous sommes aussi presque tous représentés dans la figure du Maître des novices (Frère Matthieu), une « tradi » typique exaspéré par la répression romaine, soulignant avec véhémence le caractère mystérieux et surtout miraculeux de la transsubstantiation dans la messe. Et on ne peut pas le nier : nous aussi, le plus souvent, cela nous met de mauvaise humeur.

Mais tout cela est très bien dit, car tous ces moines s’opposent au Novus Ordo principalement parce que le caractère miraculeux – et donc éminemment mystérieux – de la messe est plus ou moins explicitement nié. Le reste, la messe joyeuse avec ballons et guitares, n’est qu’une conséquence.

Il y a également un dialogue incontournable entre Kinsella et le père Abbé, dans lequel Kinsella soutient qu’au 20e siècle, il n’y a plus d’hérésies. Et l’abbé lui propose une définition:

L’orthodoxie d’hier est l’hérésie d’aujourd’hui ; et l’hérésie d’hier est l’orthodoxie d’aujourd’hui.

Pas mal du tout.

L’action se déroule en 48 heures, plus ou moins, mais le film offre 80 minutes de suspense qui vous tiennent (qui s’intéresse à ces choses-là) en haleine.

La partie la plus difficile à interpréter est l’espèce de « nuit noire » que vit l’abbé (et qu’il rapporte à l’inspecteur) : une sorte de crise de la foi, dont les caractéristiques spécifiques ne ressemblent à rien de ce que j’ai pu lire dans Saint Jean de la Croix, ou dans les journaux de Mère Teresa de Calcutta… ou ailleurs : le type se met à prier et cela le transporte dans une sorte de nirvana où Dieu n’existe pas. Et parfois, il lui faut beaucoup de temps pour revenir. Il décide alors de ne plus prier. C’est un type compliqué, qui vit une expérience spirituelle compliquée, dans une situation très compliquée : va-t-il obéir ou non à ses supérieurs ? Et s’il n’obéit pas… quel choix a-t-il ?

On se souvient d’un texte de Castellani :

Que doit faire un chrétien dans une Église délabrée, disons corrompue, un homme de vérité qui a le malheur de vivre à une mauvaise époque ? Est-il obligé de parler ? Le problème est terriblement compliqué par d’autres questions : Quelle est sa mission publique ? Dans quelle mesure l’Église est-elle corrompue ? Quel effet positif peut-on attendre s’il crie ? Comment doit-il crier ?

L’obligation expresse de « rendre témoignage à la Vérité », qui était la mission spécifique du Christ, devient épineuse chez Socrate, angoissante chez un pasteur comme Kierkegaard, perplexe jusqu’à l’infini chez un simple fidèle.

En 1970, Mgr Lefebvre choisit d’ouvrir le séminaire d’Écone en Suisse et fonde une fraternité sacerdotale aux fortunes diverses (finalement, contrairement à ce qu’il disait depuis plus de 20 ans, il est contraint d’ordonner quatre évêques). Et il s’en est sorti comme il l’a fait.

D’autres ont joué le jeu d’une autre manière. Ils s’en sortent tous assez mal. Beaucoup, la plupart, se sont fait avoir à la fin. Certains sont devenus fous.

Quoi qu’il en soit, je pense que l’on peut soutenir que ce film est prophétique dans la mesure où, situé dans un futur indéterminé (l’époque de Vatican IV), il semblerait que Rome obtienne enfin ce qu’elle veut : tout simplement l’abolition du sacrifice perpétuel (puisque dans les rites alternatifs, la messe n’est plus qu’une réunion de frères pour rompre le pain, etc, etc, etc).

Une chose purement symbolique.

Pour autant que je puisse voir, c’est l’intention de Traditiones Custodes, de nous pousser tous dans la Fraternité St Pie X, afin qu’une fois enfermés là, ils puissent nous excommunier tous et en finir. Et puis réformer le Novus Ordo avec une liturgie des droits de l’homme, de l’écologie, de la pachamama et de la grande putain qui l’a portée.

Une chose purement symbolique.

Quoi qu’il en soit, en 1972, alors que la bourrasque post-Vatican II faisait rage, il était extrêmement difficile de réagir avec lucidité, tant les barbaries apparaissaient quotidiennement, sur les fronts dogmatique, moral, liturgique et canonique, dans… tout. De grands esprits se sont levés pour protester, pour dénoncer la saleté qu’était tout cela, en commençant par Dietrich Von Hildebrand et en poursuivant avec une pléiade de brillants esprits, que je rappelle maintenant, tels que Jean Madiran, Salleron, Romario Amerio, Josef Pieper, Leonardo Castellani, Louis Bouyer, Plino Correa de Oliveira, Mgr Marcel Lefebvre, Giacomo Biffi, … et tant et tant d’autres (pardonnez les omissions de ma pauvre mémoire) qui ont essayé d’endiguer le flot d’hérésies, de stupidités, de blasphèmes et de profanations qui se déchaînaient sous la bannière de « l’esprit du Concile ». Les fronts étaient innombrables, les questions soulevées presque infinies, les problèmes à résoudre, les distinctions nécessaires… c’était, tout bien considéré rétrospectivement, une chose impossible.

Ce qui pouvait être fait a été fait, et chacun a choisi les moyens, la manière et le front du combat à mener. Chacun à sa manière, et chacun a fait comme il a fait.

Mais ce romancier, Brian Moore, qui a écrit ce roman en 1972… Je pense qu’il est génial dans la mesure où il anticipe ce qui n’était pas aussi facile à voir qu’aujourd’hui : que les progressistes ont un programme progressiste, que puis-je dire, et que l’ambiguïté de Vatican II était délibérée (comme Kasper le reconnaît maintenant) afin d’aller, étape par étape, tout détruire ?

Et par ma foi, s’ils parviennent à abolir le sacrifice perpétuel (comme prophétisé), ils auront gagné la partie.

Jack Tollers

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