Stefano Fontana explique les raisons pour lesquelles le Pape émérite est attaqué de manière si virulente, et pourquoi il est aussi peu défendu par ceux qui devraient accourir pour lui manifester leur soutien (en passant, il faut être réaliste, en dehors des « pouvoirs forts », la frange la plus à gauche de l’Eglise n’est pas la seule à l’agresser, le monde traditionaliste ne l’aime pas non plus et ne lui a jamais pardonné les positions réputées progressistes du jeune théologien « peritus » au Concile Vatican II: il suffit de lire certains blogs catholiqes et certains forums aujourd’hui silencieux, quand ils ne sont pas ouvertement critiques. En plus d’être dérangeant, Benoît XVI est incompris).

Désormais, il parle ou écrit très peu ou pas du tout, mais sa présence maintient en vie ce qu’il a écrit et dit. Ses enseignements, tant qu’il est en vie, ne peuvent être écartés aussi facilement qu’on le souhaiterait. Il ne dérange que parce qu’il est là.

C’est son existence qui dérange, comme un héritage encombrant de pensée et de foi.

Benoît XVI n’est pas défendu parce qu’il dérange

https://lanuovabq.it/it/benedetto-xvi-non-e-difeso-perche-e-scomodo

Ce qui fait que Benoît XVI dérange devient aujourd’hui beaucoup plus irritant. Sa seule présence est un rappel de beaucoup de choses qui perturbent. Les partisans de l’actuelle « poussée propulsive », qui guident l’Église depuis diverses positions, et qui craignent qu’elle ait même ralenti ces derniers temps, ne peuvent que considérer Benoît XVI comme très dérangeant

Nous avons déjà rendu compte dans ces pages [cf. Benoît XVI se défend] des accusations portées contre Benoît XVI qui ont secoué la scène ecclésiale ces derniers jours. Et de comment, malgré le choc, il y a eu très peu d’interventions, qui auraient pourtant été méritées, en sa faveur. Ces deux choses, à savoir les attaques contre lui et le silence de ceux qui auraient dû protester en sa faveur, nécessitent une explication supplémentaire. Je me souviens que le 2 mai 2009, La Civiltà Cattolica a publié un article de Giandomenico Mucci sur Benoît XVI, intitulé « Un pape qui dérange? ». Je m’en souviens parce que j’avais pris cet article comme point de départ d’un de mes livres qui est sorti l’année suivante : “L’età del papa scomodo” (L’âge du pape qui dérange). Aujourd’hui, j’expliquerais les attaques et les silences contre Benoît XVI par les mêmes mots : ces choses arrivent parce qu’il dérange. Avec une précision : il était dérangeant à l’époque, quand le magazine jésuite parlait de lui en ces termes, mais il l’est beaucoup plus aujourd’hui. Ce n’est pas parce que les raisons pour lesquelles il dérangeait à l’époque sont différentes des raisons pour lesquelles il dérange aujourd’hui, mais parce que ceux qui le considéraient alors comme dérangeant sont plus au pouvoir dans l’Église aujourd’hui qu’ils ne l’étaient alors. Le problème est de comprendre en quoi consiste le sentiment que Benoît XVI dérange et pourquoi il est plus grand aujourd’hui qu’hier.

Ce qui fait que Benoît XVI dérange devient aujourd’hui beaucoup plus irritant. Sa seule présence est un rappel de beaucoup de choses qui perturbent. Désormais, il parle ou écrit très peu ou pas du tout, mais sa présence maintient en vie ce qu’il a écrit et dit. Ses enseignements, tant qu’il est en vie, ne peuvent être écartés aussi facilement qu’on le souhaiterait. Il ne dérange que parce qu’il est là. C’est son existence qui dérange, comme un héritage encombrant de pensée et de foi.

Essayons de donner quelques exemples. Un article comme celui du père Carlo Casalone sur le suicide assisté [traduction en français sur Belgicatho] aurait-il été publié dans La Civiltà Cattolica à l’époque du pontificat de Benoît XVI ? Son contraste avec ses enseignements sur les principes non négociables aurait été trop évident. Qu’il y ait eu des jésuites qui le pensaient déjà à l’époque (et même bien avant), c’est parfaitement exact, mais qu’une telle thèse ait été publiée, non. Soit dit en passant, à cette époque, il existait encore une Congrégation pour la doctrine de la foi. Et puis il n’est que trop facile de faire remarquer que Traditionis custodes, qui empêchele rite ancien restauré par Benoît XVI lui-même, ne serait certainement pas sorti, on ne parlerait pas de femmes lectrices, ni de la possibilité de femmes diacres et encore moins de femmes prêtres.

La question des prêtres mariés resterait archivée et toute la liturgie et la promotion des vocations suivraient d’autres voies. Selon toute probabilité, la structure des études théologiques dans les universités pontificales serait également différente, étant donné qu’à l’heure actuelle, suivant les dernières dispositions pontificales en la matière, prévaut une méthode de dialogue et de synodalité de type historiciste et herméneutique plutôt que d’ordre métaphysique. L’évolution rapide actuelle vers une transformation radicale de la théologie morale trouverait un certain frein et l’ « éthique de situation » ainsi que la centralité absolue de la conscience seraient au moins tempérées par la préservation d’une certaine référence à la loi morale naturelle prévue par la loi divine elle-même. Le concept ambigu de « tradition vivante » de l’Église, où ce « vivant » comporte de nombreux accents évolutifs, ne serait pas utilisé pour confondre approfondissement et actualisation du dogme, et l’on n’insisterait pas autant sur le fait qu’il ne faut pas avoir peur de la nouveauté et que la tradition n’est pas un compte en banque ou un vêtement rangé dans une armoire avec la naphtaline.

J’ai donné quelques exemples de la façon dont de nombreuses impulsions actuelles trouvent en Benoît XVI une résistance qui le rend dérangeant. Je suis bien conscient que beaucoup disent que l’accélération actuelle d’un certain aventurisme ecclésial trouve ses prémisses dans certaines positions de Benoît XVI lui-même. Mais, comme j’ai essayé de l’expliquer dans mon livre Capire Benedetto XVI, [Comprendre Benoît XVI] [1], le cadre général de sa pensée théologique et de son enseignement pontifical permet, sur de nombreux points cruciaux, de s’arrêter et de réfléchir sans trop s’avancer, y compris la possibilité de récupérer une grande partie de ce qui avait été écarté dans un passé récent. C’est en cela que réside tout ce qui le rend dérangeant aujourd’hui. Les partisans de l’actuelle « poussée propulsive » qui guident l’Église depuis diverses positions et qui craignent qu’elle ait même ralenti ces derniers temps, ne peuvent que considérer Benoît XVI très dérangeant.

Dans des phases de la vie de l’Église comme celle que nous vivons actuellement, de fortes tensions et de luttes douloureuses, on peut voir prendre corps d’un côté des initiatives de dénigrement, et de l’autre des compromis silencieux, abandon, isolement, en même temps que des décisions de gouvernement ecclésial qui sont même offensantes pour le pontife précédent et encore parmi nous. Ce sont des phases dans lesquelles on veut goûter les fruits du changement et les goûter très vite.

Stefano Fontana, 25 janvier 2022

NDT

(1) La présentation par l’éditeur du livre de Stefano Fontana Capire Benedetto XVI (disponible sur Amazon, malheureusement seulement en italien) est une excellente réponse aux catholiques progressistes et conservateurs – mais surtout aux seconds – qui critiquent (c’est une litote!) Benoît XVI parce qu’ils ne l’ont pas compris.

Le premier objectif de ce livre est de comprendre Benoît XVI et d’exposer ses principales idées. Mais il y a aussi un deuxième objectif, exprimé par le sous-titre : la pensée de Benoît XVI peut être considérée comme la dernière grande tentative de réunir la tradition et la modernité, qui se sont donné en lui un ultime rendez-vous. Avec sa statue théologique, Benoît XVI est allé à la base de tous les principaux problèmes de l’Église dans le monde moderne, récupérant ce qui doit toujours être récupéré de la tradition et essayant de s’ouvrir intelligemment à la nouveauté, dans l’intention d’établir une continuité théologiquement et philosophiquement fondée. Le livre expose la pensée de Benoît XVI sur les principaux points de jonction et nœuds de cette relation, en essayant de montrer quelques acquisitions brillantes, en contraste avec les tendances modernistes de la théologie qui lui est contemporaine, et en promettant d’importants développements positifs. Dans le même temps, le livre montre comment, sur certaines questions fondamentales, Benoît XVI n’a pas été en mesure de résoudre la quadrature du cercle et de conclure la partie. Son histoire théologique, comme celle de son pontificat, est comme un film qui aurait été interrompu avant sa conclusion. Une théologie et un pontificat inachevés.

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