Un groupe d’universitaires et d’intellectuels conservateurs européens se sont retrouvés à Paris en mai 2017. Ils étaient réunis par leur commun souci concernant la situation politique, culturelle, sociale de l’Europe, et essentiellement la situation de l’esprit européen. Parmi eux, aux côtés de Remi Brague, Chantal Delsol et Robert Spaemann, il y avait le philosophe anglais récemment disparu Roger Scruton [voir à son sujet: www.benoit-et-moi.fr/2020…] . La sortie d’un ouvrage en italien qui lui est consacré est l’occasion pour Marcello Veneziani de revenir sur cette fausse Europe, caricaturale et anti-démocratique, qui siège à Bruxelles et à Strasbourg et que nous voyons particulièrement dans ses (mauvaises) œuvres en ce temps de crise sanitaire

Une fausse Europe nous menace, une Europe tyrannique et utopique, qui renie ses racines chrétiennes et classiques, grecques et romaines. La véritable Europe est une communauté de nations, avec leurs propres langues, traditions et frontières.

Maastricht et la fausse Europe

Il y a trente ans, à Maastricht, naissait le traité qui allait donner vie à l’Europe unie et mort à la souveraineté nationale. Depuis deux ans, la pandémie a enterré chaque critique de l’Union européenne et gelé ses structures et ses fonctions. Au moment même où était élue à la présidence du Parlement européen une femme, ex-anti-avortement [ndt: cf. Une pro-vie à la tête du Parlement européen? Pas si vite…!], Emmanuel Macron demandait que l’avortement devienne un droit fondamental dans l’UE, au même titre que l’environnement. Et la nouvelle présidente, la Maltaise Roberta Metsola, s’est empressée lors de son investiture de garantir que son péché originel, avoir critiqué l’avortement, serait mis de côté dans son rôle de présidente de l’Europarlement. Il y a un Maastricht idéologique à sens unique qui accompagne, en filigrane, le Maastricht économico-financier du traité signé en 1992 ; auquel même le plus grand parti européen, le Parti populaire, d’inspiration chrétienne, s’est plié. L’Europe d’aujourd’hui est un réseau de prescriptions, d’interdictions et d’obligations qui priment sur les États-nations ; même les prêts et les aides sont conditionnés par le « comportement » des dirigeants locaux.

Sur le thème de l’Europe vient de paraître un ouvrage de Luigi Iannone, « Roger Scruton« , dédié au philosophe anglais disparu il y a deux ans. Diverses contributions intéressantes sur le philosophe conservateur y sont rassemblées et deux textes importants sont publiés. L’un d’eux est signé par Scruton lui-même. S’exprimant sur la démocratie mondiale dans une salle du Parlement italien, Scruton notait que « la plupart des lois imposées par l’Union européenne sont rédigées par des bureaucrates que personne n’a jamais élus et qui ne sont responsables de leurs erreurs devant personne ».

Il en va de même pour les décisions qui affectent nos vies et qui sont rendues par la Cour européenne des droits de l’homme. Elles concernent les questions religieuses, les droits civils, les identités culturelles et sexuelles ; elles affectent directement la civilisation européenne et les traditions juridiques des États. Pour Scruton, une élite transnationale confisque les décisions ; et la forte poussée vers une gouvernance mondiale éloigne la démocratie et la souveraineté populaire. Scruton espérait que la politique contrebalancerait cette volonté, qui est à la fois une gestion d’en haut et une uniformisation par le bas à un modèle dérivé d’une idéologie progressiste et corrective très spécifique. L’Union européenne, note le philosophe, ne résiste pas à la mondialisation elle en est même une forme. Même le principe de subsidiarité brandi dans les traités de l’UE est en réalité un moyen d’exercer un « contrôle généralisé » des dirigeants unionistes et des commissions, au point de priver les États-nations de leurs pouvoirs législatifs.

Plus importante encore est la Déclaration de Paris que Scruton et d’autres universitaires de toute l’Europe (seuls les Italiens manquaient) ont signée en 2017 et qui est publiée ici. Il s’agit d’un appel pro-européen qui commence ainsi : « L’Europe nous appartient et nous appartenons à l’Europe« .

L’UE apparaît comme une caricature unilatérale de l’Europe, nourrie par un préjugé insurmontable contre son passé. Une fausse Europe nous menace, crie l’appel, une Europe tyrannique et utopique, qui renie ses racines chrétiennes et classiques, grecques et romaines. La véritable Europe est une communauté de nations, avec leurs propres langues, traditions et frontières. Son unité dans la diversité est naturelle et sa représentation historique la plus cohérente fut l’empire ; mais après sa disparition, nous sont restés les États-nations, « la marque de l’Europe ». L’Europe, avertissent les signataires, n’a pas commencé avec les Lumières et ne peut être réduite à cet universalisme « fallacieux » qui impose la perte de la mémoire et la répudiation de soi. « Les parrains de la fausse Europe construisent leur faux christianisme des droits de l’homme universels et nous, nous perdons notre maison ». S’y ajoutent la libération de toute contrainte, les libertés sexuelles, l’hédonisme libertin, l’individualisme et les fruits de 68 qui « a détruit mais n’a pas construit ». Mais dans le même temps, la liberté d’expression est restreinte, la tyrannie technologique s’accroît, toute dissidence est supprimée et un égalitarisme est promu, qui aboutit à la « colonisation de nos patries ».

Les classes intellectuelles, note Scruton et les autres chercheurs, sont victimes de la superbe de la fausse Europe et croient que « pensée critique » signifie seulement « récusation du passé ». Ainsi, « l’Europe est dominée par un matérialisme dénué d’objectifs, incapable de motiver les hommes et les femmes à avoir des enfants et à former des familles », masqué par les substituts pseudo-chrétiens d’une religion humanitaire.

L’appel laisse quelque peu perplexe lorsqu’il espère « reséculariser la vie politique de l’Europe » et « restaurer un véritable libéralisme » : il faudrait s’entendre mieux sur ces expressions, considérant que la sécularisation et le libéralisme ont été jusqu’à présent les vecteurs de cette perte d’identité et de tradition de la civilisation européenne.

L’appel exhorte ensuite à « résister au culte de la compétence qui s’impose au détriment de la sagesse, de la courtoisie et de la recherche d’une vie cultivée » ; il en appelle à la dignité humaine, à la famille comme fondement de la société civile et espère que les marchés seront « ordonnés à des fins sociales ». Le populisme est un raccourci émotionnel et simpliste, mais il représente « une saine rébellion contre la tyrannie d’une fausse Europe ». Cela revient à dire que le populisme est précieux pour ce qu’il combat et pour les raisons qui le font naître, mais qu’il n’est pas efficace en tant que ligne de gouvernement et d’orientation pour le peuple.

Cette Europe est fausse car elle a été construite à l’envers : ses pieds sont devenus sa tête – l’économie et la technocratie au lieu de la politique et de l’identité – et au lieu de protéger l’Europe de l’extérieur, elle la protège des États-nations qui la constituent. Imbécile par rapport au monde, oppressive à l’intérieur. D’où son échec historique.

Marcello Veneziani, La Verità
26 janvier 2022

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