A force de se concentrer sur l’ « agenda global » (immigration, écologie, désarmement), l’Eglise a perdu le rôle que devrait lui assurer la détention de la plus ancienne diplomatie du monde et risque de devenir (ou est déjà) une ONG comme les autres. Il lui manque « cet élan supplémentaire cette parole de prophétie qui se tient en arrière-plan, donnée par la foi en Dieu et par la rencontre avec Jésus-Christ ». Sans remettre en cause les initiatives de François (comme de se rendre à l’ambassade russe), car toute initiative en faveur de la paix est respectable, il n’a peut-être pas fait tout ce qu’il aurait dû faire, et comme il aurait dû le faire. Et ce n’est pas d’hier. L’analyse hebdomadaire (critique), et les suggestions d’Andrea Gagliarducci.

Le 25 février 2022, le pape François s’est rendu à la représentation de la Fédération de Russie près le Saint-Siège, et a rencontré l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Russie, A. A. Avdeïev (https://mospat.ru/fr/news/89023/).

[La diplomatie du Saint-Siège] aurait dû continuer à souligner l’importance de la foi. Il n’y a pas de fraternité s’il n’y a pas de Père commun. Mais les chrétiens croient que ce père a déjà un Fils incarné, qui est le Christ. C’est la présence du Christ, vivant dans l’Eucharistie, qui appelle à défendre la dignité humaine, qui rend vivante la doctrine sociale de l’Église. Cela peut sembler absurde, mais à partir du moment où l’Eucharistie est relativisée, où la réalité salvatrice de l’Évangile est mise de côté dans le discours, l’Église perd de sa vigueur. Elle devient quelque chose comme une ONG.

Le pape François et la crise ukrainienne. Ce qu’il a fait, ce qu’il aurait pu faire

Andrea Gagliarducci
28/2/2022
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-and-the-ukrainian-crisis-what-he-did-what-he-could-have-done

Le pape François a appelé à une nouvelle journée de prière pour la paix le 2 mars, mercredi des Cendres, centrée sur la guerre en Ukraine. Depuis le début de son pontificat, le pape François a voulu donner à la prière un rôle de premier plan dans ses décisions diplomatiques. De la journée de jeûne et de prière pour la Syrie en septembre 2013 à la prière pour la paix au Moyen-Orient dans les jardins du Vatican en juin 2014, à la retraite spirituelle pour les dirigeants du Soudan du Sud au Vatican en avril 2019, en passant par les journées de prière pour le Congo et le Soudan du Sud, puis pour le Liban.

Concernant l’Ukraine, le pape François a rencontré le synode de l’Église gréco-catholique ukrainienne en juillet 2019. Lors de cette rencontre, ni lui ni le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, n’ont hésité à définir ce qui se passe en Ukraine comme une  » guerre hybride. « 

Ensuite, il y a eu l’initiative « Pope for Ukraine« , les rencontres avec l’archevêque majeur de l’Église gréco-catholique ukrainienne Sviatoslav Shevchuk, que le pape connaît depuis qu’il (Bergoglio) était archevêque de Buenos Aires, les deux visites dans le pays, du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, et du cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales.

La nonciature en Ukraine a compté, ces dernières années, des diplomates éminents: la crise de 2014, avec les émeutes dites  » Euromaïdan « , a vu sur le terrain l’archevêque Thomas Gullickson, qui a démontré qu’il était capable de lire les événements ukrainiens avec clarté ; puis l’archevêque Claudio Gugerotti a été nommé nonce, un profond connaisseur des Églises orientales parlant couramment le russe et capable, parmi les rares diplomates de la zone, d’atteindre les lieux de conflit ; enfin, cette année, Visvaldas Kulbokas a été choisi comme nonce, un homme qui connaît bien la situation en Ukraine puisqu’il était le responsable des dossiers de Kiev à la Secrétairerie d’État du Vatican.

Pourtant, malgré de nombreux gestes, la diplomatie du Saint-Siège est apparue faible, presque marginalisée. Elle n’a pas développé une perspective critique sur les actions de la présidence de Vladimir Poutine. Elle a préféré ne pas prendre position sur certaines questions cruciales, gardant le silence au nom d’un dialogue dont les forces en présence ne voulaient pas. En revanche, le pape a renchéri sur ses positions, en lançant de vagues appels à la paix et à la bonne volonté qui peuvent toucher le cœur des gens mais n’ont certainement aucun impact politique à court terme.

Le dernier événement en date a été la visite du pape François à l’ambassade de la Fédération de Russie auprès du Saint-Siège le 25 février. Il ne s’agissait toutefois pas d’une intervention diplomatique. Le pape aurait pu convoquer l’ambassadeur. En ne le faisant pas, il a quelque peu diminué l’impact de son rôle institutionnel. Il a agi comme un prêtre, et non comme le chef de la plus ancienne diplomatie du monde. Cela semble étrange, mais de tels gestes peuvent donner moins d’autorité à ses interventions. S’il n’est qu’un berger, même s’il est important, quel est l’impact de ce qu’il dit ou demande ?

Nous devons être clairs : penser qu’un simple appel papal peut avoir un impact diplomatique aujourd’hui est une illusion. Le Saint-Siège conserve son rôle de partenaire crédible sur le plan international, principalement en tant que nation tierce sur laquelle on peut compter pour les médiations. Mais la médiation ne fonctionne que si les parties veulent négocier, et pas seulement parce que le Saint-Siège veut la faciliter.

D’une certaine manière, le Saint-Siège a perdu cette aura de fiabilité qui lui permettait d’être écouté au niveau international. La diplomatie du pape François s’est concentrée sur les grandes questions mondiales et l’agenda du développement, comme la migration, le désarmement et l’écologie. Mais il a manqué cet élan supplémentaire cette parole de prophétie qui se tient en arrière-plan, donnée par la foi en Dieu et par la rencontre avec Jésus-Christ. Elle est devenue une diplomatie pragmatique, ce qui en a fait, à certains égards, une diplomatie semblable à toutes les autres. L’Ostpolitik du Vatican a été accusée de pragmatisme excessif après la guerre froide. Mais il s’agissait néanmoins d’un pragmatisme qui servait à sauver des prêtres constamment persécutés, à garantir la succession apostolique. C’était quelque chose de profondément différent dans les thèmes et le cadre. Peut-être critiquable, mais différent.

Qu’aurait dû ou pu faire la diplomatie du Saint-Siège dans cette crise particulière ?

  • Premier point : développer la sensibilisation internationale. Le réseau d’information croisée des nonces et des missionnaires est l’un des meilleurs au monde. L’Eglise est sur le terrain, parle aux gens, et dispose des outils pour faire une analyse détaillée. Qu’il puisse y avoir une escalade est une éventualité. Mais supposons que la diplomatie du Saint-Siège ne puisse pas arrêter une escalade. Dans ce cas, elle peut créer une opinion publique qui comprend les raisons de l’escalade, allant au-delà des dichotomies typiques du non à la guerre / oui à la guerre. Où était l’analyse des médias catholiques sur le sujet pendant ces années de conflit en Ukraine ? Où l’information a-t-elle été diffusée ? Où le débat a-t-il été diffusé ?
  • Deuxième point : en plus de s’engager dans des réseaux de communication, il est essentiel de travailler de manière multilatérale et de façon coordonnée et soutenue. Le Saint-Siège a des représentants auprès des Nations Unies et des grandes organisations internationales. Mettre les questions géopolitiques au centre, notamment la question d’une éventuelle guerre au cœur de l’Europe, était fondamental et nécessaire. Des événements parallèles auraient dû être organisés, des textes et des appels rédigés, des entretiens accordés de manière périodique et structurée. Il fallait faire savoir aux partenaires internationaux que le Saint-Siège observait la situation.
  • Troisième point : abandonner la politique d’apaisement au profit d’une diplomatie de la vérité. Cela signifie parler de manière pragmatique avec tous les partenaires, collaborer avec eux, mais ne pas prendre de positions précises sur certaines questions. Poutine a même réussi à devancer le pape, en l’appelant pour son anniversaire une fois que l’on a su que le pape voulait l’appeler pour parler de l’Ukraine. Ce sont des initiatives que le Saint-Siège devrait prendre. L’engagement humanitaire ne suffit pas. Il est également nécessaire de se montrer comme n’ayant pas peur de mettre les problèmes sur la table. Le Saint-Siège peut le faire parce qu’il n’a aucun intérêt d’aucune sorte, si ce n’est celui de la liberté de ses enfants et de la dignité de l’être humain.
  • Quatrième point : travailler avec le corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Les rencontrer, échanger les positions, faire connaître ces positions aux gouvernements. Rendre ces échanges publics pour que les gens sachent qu’il existe un point de vue dominant mais aussi un point de vue plus large. Les mots d’espoir naissent de perspectives plus grandes.
  • Cinquième point : continuer à souligner l’importance de la foi. Il n’y a pas de fraternité s’il n’y a pas de Père commun. Mais les chrétiens croient que ce père a déjà un Fils incarné, qui est le Christ. C’est la présence du Christ, vivant dans l’Eucharistie, qui appelle à défendre la dignité humaine, qui rend vivante la doctrine sociale de l’Église. Cela peut sembler absurde, mais à partir du moment où l’Eucharistie est relativisée, où la réalité salvatrice de l’Évangile est mise de côté dans le discours, l’Église perd de sa vigueur. Elle devient quelque chose comme une ONG. On parle beaucoup de christianophobie, et c’est un thème qui reste sacro-saint. La persécution des chrétiens, cachée ou non, est très forte et présente. Mais la christianophobie est un concept sociologique.

En 2012, lorsque Benoît XVI a parlé de christianophobie, une rumeur a circulé selon laquelle, dans la première version de son discours, il avait utilisé le terme de christophobie, c’est-à-dire la peur du Christ. Je pense que c’est un thème qui devrait être reproposé, et avec force, également dans le discours sur les conflits. Il faut comprendre que le retour au Christ est le seul moyen, non seulement pour l’Europe mais pour le monde entier, d’éviter les conflits, de réconcilier la mémoire, de créer une identité authentique qui a pour centre la dignité humaine.

En un mot, nous devons revenir à la force de l’Évangile, soutenue par les arguments de la raison. Il ne faut pas seulement espérer avoir un effet dissuasif sur les forces en présence. Le dernier conseil des cardinaux a également parlé du rôle des nonces. Ils sont eux aussi conçus comme ayant davantage un profil missionnaire. Il a déjà été établi qu’une année de mission doit être ajoutée à leurs études. Mais le nonce doit créer une élite culturelle. Il doit coordonner les missionnaires. Il doit travailler à la nomination des nouveaux évêques. Ce n’est que de cette façon qu’il pourra regarder vers l’avenir.

Et c’est, peut-être, l’une des plus grandes leçons que la diplomatie du Saint-Siège doit apprendre en ce moment. Du moins à mon humble avis.

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