Encore une forte analyse de Marcello Veneziani:  » La fabrique du consensus fournit la répétition sans fin de l’Identique : des flux de reportages et d’informations qui ne diffèrent pas ou peu, rapportant chaque jour la même version officielle des événements et commentant les mêmes images tout en restant dans le même cadre, sur fond de propagande de guerre ». Mais ne nous trompons pas de danger, avec cette information à sens unique: le vrai danger, c’est la Chine, ou plutôt un axe russo-chinois [(1)].

Les chaînes d’info, les mêmes têtes, les mêmes images, les mêmes titres, H24

Et le diktat de l’UniDem progresse dans notre pays.

Comment fonctionne la machine des médias et des opinions à l’heure de la guerre contre l’Ukraine ? Elle suit le schéma déjà testé avec la pandémie, avec les grands thèmes historiques et avec les crises graves : en premier lieu, elle devient monomaniaque, obsessionnelle, envahissante, elle passe du statut de thème principal à celui de thème unique des JT, des approfondissements. Même pendant la guerre mondiale, il n’est jamais arrivé que les journaux soient réduits au seul thème de ces jours.

La fabrique du consensus fournit donc la répétition sans fin de l’Identique : des flux de reportages et d’informations qui ne diffèrent pas ou peu, rapportant chaque jour la même version officielle des événements et commentant les mêmes images tout en restant dans le même cadre, sur fond de propagande de guerre.

Malheur à ceux qui font des allusions à une lecture qui rappelle simplement les faits: par exemple, ils demandent que Marc Innaro soit viré de la correspondance de Moscou pour la RAI juste parce qu’il a osé mentionner l’expansion de l’OTAN. C’est un fait objectif, il suffit de regarder n’importe quelle carte et de voir comment elle s’est étendue au cours des vingt dernières années. Mais noter cela devient immédiatement de l’intelligence avec l’ennemi… D’où la militarisation des opinions : si vous ne répétez pas tout ce qu’ils répètent tous les jours, alors vous êtes du côté de Poutine, vous êtes son supporter. Et si vous êtes dans le service public, c’est une circonstance aggravante.

Avertissement superflu pour ceux qui raisonnent, mais nécessaire à réitérer pour la police de la pensée et les imbéciles militants : voir les choses dans un horizon plus large et plus articulé et non à travers le schéma puéril et manichéen du bien/mal exclut toute indulgence envers l’agression et la méthode soviétique de Poutine et inclut la solidarité avec le peuple ukrainien qui est certainement victime et souffre l’enfer.

Enfin, dans ce cas aussi, les conservateurs et les progressistes, les modérés et les radicaux, les faucons et les colombes, les populistes maintenant réduits à des lèche-bottes, les nationalistes et les radicaux anti-système, tous adhèrent à l’UniDem, c’est-à-dire à l’unification de toutes les positions au Canon Dém[ocrate], en vigueur aux Etats-Unis depuis que les Démocrates sont revenus au pouvoir avec Biden, dans l’Europe techno-dem et en Italie avec ses dérivés [et bien entendu en France]. Vous vous rappelez à quel point les opinions étaient différentes il y a trois ans, ou même moins ? Il a suffi du covid, et maintenant de la guerre, pour arriver à une uniformité absolue, avec un minimum de nuances et de variables lexicales secondaires. Draghi [/Macron] pour tout le monde, tout le monde pour Draghi. Et à son tour, Draghi est le prolongement de l’OTAN dans le domaine économico-financier.

Est-il licite de douter que si des négociations avaient été sérieusement ouvertes sur la possibilité de rendre l’Ukraine neutre, c’est-à-dire hors de la présence de l’OTAN et de l’influence russe, nous n’en serions peut-être pas là ? On peut alors faire tous les procès d’intention et dire que Poutine a pris la rigidité occidentale et son hégémonie revendiquée comme prétexte pour attaquer.

Est-il licite de dire que nous n’en serions peut-être pas là avec Trump, étant donné qu’avec cet étrange fanfaron, les guerres n’ont pas éclaté ? C’est un doute, au moins, mais la question de l’Ukraine/Europe/OTAN couvait déjà de son temps.

Est-il licite de noter qu’après avoir pendant des années piétiné, avili, disqualifié toute requête de souveraineté nationale et tout nationalisme connexe, il est grotesque aujourds’hui de louer le patriotisme souverain des Ukrainiens ?

Est-il licite de dire que le drame supplémentaire de ce conflit est qu’il n’y a pas d’arbitres, pas de garants, pas de figures tierces qui peuvent être acceptées par l’une ou l’autre des parties pour rechercher une solution ? Jusqu’à présent, seules les personnalités religieuses, notamment de l’Église orthodoxe, peuvent jouer un rôle important lorsqu’elles ne deviennent pas des Églises nationales. Mais il n’y a pas d’États tiers, de dirigeants d’organismes internationaux comme l’ONU, qui puissent jouer ce rôle de passerelle. Seulement des médiateurs.

Et enfin, est-il licite de dire que le fait d’avoir fait de Poutine l’ennemi numéro un de l’humanité, avant même qu’il n’envahisse l’Ukraine, au lieu de le considérer comme un autocrate avec lequel il faut inévitablement traiter comme avec Xi Jin Ping, Erdogan et d’autres, risque de précipiter la situation à des niveaux impensables? Si Poutine est vraiment ce dictateur fou, l’incarnation du mal, le fait qu’il n’ait aucun scrupule à utiliser le fameux bouton nucléaire dont il a déjà été menacé devrait nous inquiéter.

Et alors un jeu très dangereux se met en place : tenter de faire tomber Poutine, encourager la conspiration des oligarques, exacerber les dissensions internes, diviser le pouvoir russe et sa filière. Le danger suivant est qu’un pays isolé du monde, dont le dirigeant est l’ennemi de tous, soit poussé à s’allier avec la Chine, dont le profil est plus inquiétant pour le monde que celui de la Russie : la Russie veut rétablir sa domination sur la région, la Chine tente de coloniser le monde, de l’envahir avec son économie et sa technologie, en s’étendant et en s’insérant dans tous les systèmes nationaux. La Russie a seulement la possibilité d’avoir une influence à travers le gaz et d’une manière générale, l’énergie. On comprendra la puissance inquiétante d’un bloc asiatique entre la Russie et la Chine.

Ceux qui soutiennent ces choses n’établissent en aucun cas une préférence pour la dictature de Poutine ou même une sorte d’indifférence neutre entre une démocratie et une autocratie. Mais ils essaient simplement de dire que nous n’avancerons pas si nous continuons avec cette simplification militante, militaire, bipolaire, où la vérité coïncide avec l’Occident, le Bien absolu avec l’OTAN.

Chaque fois que la pensée cesse d’observer la réalité à partir de plusieurs points de vue et sous toutes ses facettes, ce n’est pas seulement une mortification pour l’intelligence, mais on met en danger la liberté et la dignité des individus, des groupes, des peuples et des États.

Bref, le mal dont nous sommes témoins en Ukraine est double, et il n’est pas seulement celui qu’on nous fait voir.

MV, La Verità (1er mars 2022)


(1) Ndt (mise à jour ultérieure)

Il me semble intéressant de mettre en perspective cette analyse de Marcello Veneziani avec un article publié hier sur le site d’AM Valli, issu du site libéral atlantico.it, qui montre comment la Chine pourrait tirer partie de la crise actuelle en jouant sur plusieurs tableaux:

Alors que l’invasion russe de l’Ukraine se déroule plus lentement que prévu en raison de la résistance inattendue des forces armées locales et de la population, la République populaire de Chine se taille un rôle de médiateur dans une crise qui n’est qu’européenne.

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Jusqu’à présent, Poutine et Xi Jinping se sont soutenus mutuellement sur le plan international. Le dirigeant russe a soutenu sans réserve les revendications chinoises sur Taïwan. Le dirigeant chinois a, quant à lui, déclaré qu’il considérait que la demande d’indépendance des deux républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk était justifiée.
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Il est probable, cependant, que Pékin ne s’attendait pas à l’invasion totale de l’Ukraine ordonnée par Poutine, estimant que le chef du Kremlin ne visait que l’annexion des deux républiques russophones. Au contraire, l’opération a pris des dimensions beaucoup plus vastes, dans le but de ramener l’ensemble de l’Ukraine dans l’orbite de Moscou.

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Quand il a réalisé que Poutine visait directement Kiev, Xi a adopté une position plus prudente, appelant à une solution diplomatique au conflit, ce qui a déplu à son collègue russe. Les deux autocrates semblent désormais plus éloignés l’un de l’autre qu’auparavant.

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Il s’agit d’une nouveauté importante. Après le désastreux retrait américain d’Afghanistan, les Russes et les Chinois ont agi en tandem, essayant d’exploiter la crise américaine et la faiblesse de Joe Biden pour tenter de remodeler l’ancien ordre mondial centré sur l’Occident.
La Fédération de Russie et la République populaire ont mené des exercices militaires conjoints de grande portée, montrant clairement aux États-Unis et à leurs alliés qu’un axe politique, diplomatique et militaire fort a été établi entre Moscou et Pékin. D’où les critiques que de nombreux analystes adressent aux États-Unis et à l’Union européenne pour n’avoir pas su empêcher cet axe de prendre forme.

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Il convient également de rappeler que, malgré l’entente actuelle, il existe des désaccords historiques entre les Russes et les Chinois, qui ont même conduit en 1969 à des affrontements armés sur le fleuve Oussuri entre les deux puissances, toutes deux communistes à l’époque. La Chine a toujours considéré la présence russe en Sibérie et en Extrême-Orient comme une intrusion indue. Les Russes, quant à eux, n’ont pas l’intention de renoncer à l’immense territoire conquis à l’époque des tsars.

La prudence de Xi Jinping est donc également justifiée par les anciens désaccords mentionnés plus haut, qui se sont considérablement accrus lorsque l’Union soviétique existait encore.

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Tout en réaffirmant son alliance « de facto » avec la Fédération de Russie, le dirigeant chinois s’est proposé comme médiateur dans la crise ukrainienne, estimant que le différend doit être résolu au sein des Nations unies. Une proposition que Poutine n’apprécie évidemment pas, et qu’il peut de toute façon bloquer puisque la Russie dispose d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.

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À cet égard, le ministre des Affaires étrangères de Pékin, Wang Yi, a, d’une part, partagé les préoccupations de la Russie concernant l’élargissement de l’OTAN à l’Est et, d’autre part, insisté sur la cessation des hostilités et sur une solution diplomatique au conflit.

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Cela suffira-t-il à creuser un fossé entre les deux pays qui, ces derniers temps, ont toujours voyagé de concert? Cela dépendra de l’évolution de la crise ukrainienne et de la capacité de l’armée russe à réellement prendre le contrôle total du pays envahi, et sur ce dernier point les doutes s’intensifient.

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Quoi qu’il en soit, il est clair que la Chine est également en train d’acquérir un rôle important dans le scénario politique européen, et c’est une nouvelle très inquiétante. Mais Poutine, en supposant qu’il reste en selle même en cas d’échec en Ukraine, pourrait riposter en retirant son soutien – jusqu’ici total – aux revendications chinoises sur Taïwan. Il convient toutefois de noter que Xi a immédiatement tiré parti de la crise ukrainienne, en intensifiant les vols de son armée de l’air au-dessus de l’île et en faisant effectuer à la flotte chinoise des manœuvres très près des côtes taïwanaises.
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 atlanticoquotidiano.it (via https://www.aldomariavalli.it/2022/03/01/vicino-a-mosca-ma-non-troppo-ecco-come-pechino-sta-cercando-di-sfruttare-il-conflitto-ucraino/)
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