(Marcello Veneziani) Apparemment, c’est encore plus fort de l’autre côté des Alpes: Mario Draghi a annoncé que l’Italie était disposée à mobiliser jusqu’à 3400 militaires qui seront déployés « dans la zone de responsabilité de l’Otan ». Il a également annoncé des aides de 110 millions d’euros à l’Ukraine « à des fins humanitaires et de stabilisation macro-financière », ainsi qu’une aide en équipements militaires, avant de conclure: « L’Union européenne a donné ces derniers jours la preuve de sa détermination et de son union. Nous sommes prêts à des mesures encore plus dures si les dernières devaient se révéler insuffisantes » (ICI). Cette posture belliqueuse suggère à Marcello Veneziani quelques réflexions de bon sens (bien que je ne les partage pas totalement) qui ne valent pas seulement pour l’Italie, mais pour tout l’Occident aligné derrière les intérêts américains

L’Italie en guerre déléguée

L’Italie serait-elle en guerre ? Nous sommes passés d’une « neutralité active et agissante », pour parler comme Mussolini, à une belligérance déléguée, entre fournitures d’armes et représailles. Le vieux pacifisme de la gauche italienne, allant parfois jusqu’à manifester sa troisième position – ni avec la Russie ni avec l’OTAN – est descendu dans la rue contre la guerre et les armes que nous, Italiens et Occidentaux, fournissons aux Ukrainiens. L’histoire nous enseigne qu’aucun pacifisme n’a jamais vaincu une guerre, et que son seul effet est d’affaiblir un seul camp, le sien. Parce que le pacifisme n’est jamais bilatéral, il sert les bonnes âmes mais pas la résolution des conflits ; il est la croyance que les bonnes intentions peuvent vaincre les méfaits. C’est du moralisme contre l’histoire.

Les questions à poser, en revanche, sont réalistes : à quoi sert d’armer la résistance anti-russe: à contrer son avancée jusqu’à ce que l’envahisseur soit vaincu, ou seulement à élargir et à prolonger le conflit, et à nous impliquer encore plus, nous, pays tiers, dans la trame du conflit ? Cela sert-il à donner plus de force à l’Ukraine dans les négociations ou cela exacerbe-t-il la réaction russe et encourage-t-il l’utilisation d’armes pires ? Telles sont les questions réalistes pour évaluer s’il est approprié ou non d’armer les Ukrainiens, de les envoyer au bord du gouffre et au massacre. L’envoi d’armes aggrave la situation et nous fait entrer dans la guerre, même si c’est de manière indirecte. À ce stade, nous ne sommes plus des tiers, mais des parties impliquées, dans la négociation avec la Russie de Poutine ; et il appartiendra donc à d’autres – Israël, l’Église orthodoxe, la Chine, l’Inde, la Turquie – d’arbitrer le litige.

La deuxième question concerne les sanctions. En général, les sanctions n’ont presque jamais fait plier un régime, même si les sanctions contre la Russie sont de plus en plus fortes ; et les chances qu’elles la fassent plier à la négociation sont au moins aussi grandes que celles qu’elles exacerbent la réaction et les conséquences de la guerre.

Mais le plus odieux dans les sanctions, c’est qu’elles adoptent un principe digne d’un régime totalitaire et non d’une démocratie : elles ne frappent pas seulement un dictateur et son régime mais la population, elles exercent des représailles contre ses citoyens. Et encore plus viles et dangereuses sont les représailles contre des athlètes individuels, entrepreneurs, artistes. Un pays libre et démocratique fondé sur l’État de droit peut-il réquisitionner les biens de centaines d’entrepreneurs russes simplement parce qu’ils sont des compatriotes de Poutine ? Cela a-t-il un sens d’expulser les athlètes russes des compétitions sportives mondiales, même les handicapés (et peut-être de décerner des prix aux Ukrainiens), qui n’ont aucune responsabilité dans le conflit ; ou d’expulser le chef d’orchestre de la Scala de Milan simplement parce qu’il est russe et qu’en tant que Russe, il n’est pas contre son pays (il y a une devise occidentale qui dit : bien ou mal, mon pays). Sans parler de la cancel culture en œuvre contre la littérature russe et ce qui vient de la tradition culturelle russe ou du cas Orsini à la LUISS [Libera Università Internazionale degli Studi Sociali, le professeur Orsini a été censuré pour une prise de position jugée pro-Poutine] . Des infamies absolues.

Outre l’indignation que provoquent ces lâches représailles contre des populations, des personnes, des symboles, des figures et des cultures, cette guerre contre tout ce qui est russe commet une erreur et un crime : elle élargit au lieu de rétrécir les espaces du conflit, le rendant ethnique, religieux et total. C’est une prévarication digne d’un État illibéral qui ne fait pas de distinction entre la sphère publique et la sphère privée, entre l’État et la culture, entre les puissants et les citoyens, entre l’histoire et le présent. L’idée est d’exercer un chantage psychologique sur Poutine et les oligarques russes qui ne font pas preuve de cette sensibilité ; les avantages pratiques de cet embargo discriminatoire ne sont pas compensés par les dégâts et la barbarisation du conflit.

Pour revenir à la question générale, partons de deux prémisses, simples, évidentes, nées des faits et du bon sens : 1) quelle que soit la raison pour laquelle Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine et de faire la guerre, l’attaque doit être condamnée. 2) quel que soit le point de vue sous lequel on observe la guerre, reste une pitié et une aide inconditionnelles pour le peuple ukrainien et tous les autres qui souffrent des effets de la guerre sans que ce soit de leur faute.

Ceci étant établi, reste à savoir les responsabilités de ce conflit : est-ce uniquement celle de Poutine, ou est-ce aussi la responsabilité de ceux qui ont refusé toute véritable négociation pour établir que l’Ukraine resterait neutre, ni avec la Russie, avec laquelle elle est unie depuis des siècles, ni avec l’OTAN, au point de placer des bases militaires aux portes de la Russie? Tel devrait être l’objectif des négociations, sans espérer éliminer Poutine, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, et le traiter comme un criminel de guerre.

Et encore. Poutine utilise sans scrupule la propagande de guerre. Il me semble que la même chose se passe en Occident ; ils ont construit un arsenal narratif et figuratif digne de la pire propagande de guerre. Une chape. Une fois de plus, il arrive que l’information libre et démocratique utilise des formules hypocrites pour adopter les mêmes campagnes de manipulation que celle de la Russie. Parmi les causes qui aggravent le conflit et risquent de le prolonger et de l’attiser, il y a le fait de ne pas se démarquer des méthodes de Poutine mais de les adopter, avec les sanctions, les dommages aux populations, le « armons-nous, et partez », l’information manipulée.

Enfin, quel est le monde idéal et possible vers lequel il faut tendre ? Non pas un monde unifié et standardisé par l’Occident, non pas une américanisation globale, qui est irréaliste et impossible, mais la reconnaissance de différentes zones, espaces irréductibles de diversité dans un monde polycentrique où aucun État ou alliance n’est le gendarme et le juge du monde.

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