Nous avons parlé il y a quelques jours de la mise à pied pure et simple d’un évêque argentin de 57 ans (donc « jeune »), Mgr Daniel Fernández Torres,  coupable d’avoir refusé de se soumettre à la dictature sanitaire, et de la belle lettre que lui avait envoyée Mgr Aguer, archevêque émérite de La Plata. Le même Mgr Aguer dénonce aujourd’hui une authentique « chasse aux sorcières » menée en Argentine contre les prêtres proches de la tradition.

Au moment où le Pape demande à tous les évêques du monde de s’unir à lui pour l’acte de consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, cette histoire de « prêtres effacés », qui met en évidence la profonde division au sein même de l’Eglise, fait, au minimum, un peu désordre.

Lettre aux prêtres effacés [/annulés]

Infovaticana, via le blog d’AM Valli

+ Hector Aguer
Archevêque émérite de La Plata.

« Effacés« . On me dit que c’est ainsi qu’on les appelle, avec cet horrible adjectif que j’ai utilisé dans le titre de cette lettre. En espagnol correct, cancelar signifie effacer, annuler, éliminer de la mémoire, abolir, abroger. Honnêtement, je n’avais jamais entendu parler de cela jusqu’à maintenant. Permettez-moi, alors, une interprétation.

Le général Juan Domingo Perón, trois fois président de l’Argentine, a inventé une formule qui exprime non seulement ce qu’il a fait lui-même, avec un cynisme difficilement égalable, pendant ses périodes chaotiques de gouvernement, mais aussi un comportement profondément humain, ancestral (caractéristique du « vieil homme », selon l’apôtre Paul), observé dans divers régimes politiques. La formule énonce: « Pour les amis, tout; pour les ennemis, pas même la justice ».
Il est remarquable que le péronisme, qui a toujours essayé d’utiliser la religion, ait réussi à laisser sa marque sur l’Église catholique. Bien qu’il soit odieux de s’en souvenir après si longtemps, nous ne devons pas oublier l’incendie (juin 1955) des plus anciennes et des plus belles églises de Buenos Aires et la destruction, avec l’incendie qui a brûlé la curie ecclésiastique, des archives historiques, ou d’une bonne partie de celles-ci, qui contenaient des documents du XVIIe siècle. C’est la police du régime qui a commis cette aberration, avec l’approbation en clin d’œil, bien sûr, de Perón.

On peut donc dire que ceux qui ne sont pas considérés comme des amis sont effacés, par exemple en raison de différences doctrinales (notamment le désaccord sur la valeur et l’actualité de la Tradition de l’Église), pastorales ou politiques (toujours discutables) et que la justice est refusée. Connaissant la situation doctrinale et pastorale que l’on observe dans toute l’Église ces dernières années, depuis à peu près une décennie, on peut penser sans crainte de se tromper, puisqu’il s’agit de nombreux cas notoires, que ceux qui ont été conquis par le relativisme ou s’engagent dans des positions étrangères à la Tradition peuvent compter sur la sympathie officielle des dirigeants et sont considérés comme des amis. En ce qui concerne la Tradition, nous devons nous rappeler qu’elle est constamment actualisée, mais qu’elle reste toujours la même ; c’est une Tradition vivante. Saint Vincent de Lérins explique que le langage peut certes s’adapter : on peut dire nove [9: neuf], mais on ne peut pas dire nova, c’est-à-dire introduire des nouveautés étrangères à la Vérité immuable. Rappelons-nous le schisme imminent du Synode allemand, devant lequel Rome se tait, entraînant une grande confusion et un scandale parmi les fidèles catholiques. Où cette route va-t-elle mener ? Synode signifie quelque chose comme « marcher ensemble », mais vers quoi ?

En pensant aux nombreux prêtres qui ont été effacés, permettez-moi d’aborder un cas très douloureux, celui du diocèse de San Rafael (Mendoza, Argentine). La conduite de Mgr Eduardo María Taussig (que j’ai toujours estimé comme un frère et un ami, et que j’estime encore aujourd’hui) a été incompréhensible, quand il a décrété qu’il était obligatoire de distribuer la Sainte Eucharistie dans la main (comme indiqué par l’État en raison de la pandémie, car chacun devait contribuer à la prévention de la contagion en commençant par son propre comportement). À deux reprises, lors de conversations téléphoniques résultant de ses appels, je lui ai conseillé de ne pas insister pour maintenir cette obligation, qui était contraire à la discipline en vigueur dans l’Église, puisqu’elle permet aux fidèles de recevoir librement la communion debout ou à genoux, dans la main ou dans la bouche. Mais quelque chose de pire s’est produit : la plupart des clercs qui n’ont pas accepté la disposition de l’évêque ont été sanctionnés, créant ainsi une situation intenable. Je n’exclus pas qu’il y ait eu une certaine composante idéologique dans l’opposition à la mesure épiscopale ; les cortèges, les manifestations hostiles contre siège épiscopal et autres réactions des laïcs sont injustifiables. Mais je ne comprends pas comment Mgr Eduardo ne s’est pas efforcé, avec sérénité et amour, de se faire comprendre ; l’environnement créé ressemblait à l’odium plebis, quelque chose de très douloureux. L’évêque, dans un tel cas, doit souffrir héroïquement, sans s’obstiner dans sa position. L’initiative d’interdire et de s’opposer a-t-elle été décidée par lui, ou lui a-t-elle été indiquée ou suggérée ex auctoritate d’en haut ? La démonstration de force a conduit à quelque chose de très grave, la fermeture du séminaire diocésain, avec la dispersion de ses nombreux étudiants. Rome a-t-elle joué un rôle dans cette décision ?

Dans notre pays, à partir du milieu des années soixante du siècle dernier (je donne une date approximative), le progressisme a commencé à prendre possession de presque toutes les maisons de formation sacerdotale. Des petites « maisons » ont été créées, avec des petits groupes promus par certains évêques, dans lesquelles, à mon avis, on n’a pas développé une formation intégrale ; c’était une sorte d’imitation des séminaires. Si un évêque parvenait à exclure ses propres séminaires de ce courant, dont les fruits néfastes sont indéniables, en adaptant la formation des séminaristes à la grande Tradition ecclésiale, il était mal vu par  » l’officialité « .

Quant à moi, à la fin des années 1970, on m’a confié l’organisation du séminaire diocésain de San Miguel, dont j’ai ensuite été le recteur pendant une décennie, paternellement soutenu et accompagné par les deux premiers évêques de ce diocèse. Puis le cardinal Antonio Quarracino m’a nommé archevêque auxiliaire. Comme je me consacrais à la formation des prêtres, je ne sais pas ce qu’on pensait de moi et du séminaire que je dirigeais ; il me suffisait d’avoir l’approbation et le soutien de l’évêque. Mais il y eut le cas d’un séminaire d’orientation traditionnelle, auquel arrivaient des jeunes de différentes régions du pays, qui a dû souffrir d’une mauvaise réputation créée par l’omniprésence du progressisme.

Pour en revenir à San Rafael, il n’était pas possible que l’effacement injuste des prêtres et des séminaristes se poursuive indéfiniment. Je suis très attristé par la situation de Mgr Taussig ; a-t-il démissionné de sa propre initiative ou sa « démission » lui a-t-elle été imposée par une auctoritas supérieure ? Les dommages causés peuvent-ils être réparés rapidement ? Quel sera le sort des nombreux bons prêtres qui ont été effacés ?

Je me suis attardé sur ce cas – je crois que ma mémoire ne m’a pas trahi en l’exposant – parce qu’il est proche de ma pensée et de mon cœur ; mais on me dit que le phénomène de l’effacement des prêtres se produit dans toute l’Église. Par exemple, si un prêtre veut célébrer en latin, ou utiliser le Missel de 1962, ou si dans sa prédication il aborde des sujets que l’Église catholique a abandonnés (des sujets de doctrine spirituelle, qui ne doivent pas être négligés), il a de fortes chances d’être effacé. Il sera privé d’une charge pastorale normale qui lui a été confiée et il sera privé du revenu économique nécessaire pour mener une vie digne. Et sa famille, ou les fidèles qui le suivent avec dévotion et gratitude, devront l’aider à survivre. Que cela se produise dans une Église où, dit-on, la valeur de la miséricorde a été redécouverte, est tout simplement scandaleux. Tout comme il est scandaleux que le bon évêque d’Arecibo (Porto Rico), Mgr Daniel Fernández, ait été destitué mercredi 9 mars pour avoir défendu l’objection de conscience face à la ridicule « obligation morale » de vacciner imposée par le Saint-Siège. Je reviendrai sur ce cas dans de prochains articles.

Le pontificat de Benoît XVI, et son intention déterminée et sage d’évangéliser la culture et de revendiquer la Vérité naturelle et surnaturelle, avait enthousiasmé de nombreux prêtres (dont moi-même), mais son passage au statut de Pape émérite (quelle chose étrange !) a assombri l’Église, et ouvert des fissures par lesquelles beaucoup de ses membres s’échappent. On sait que des problèmes similaires se sont posés en d’autres occasions dans l’histoire de l’Église ; le regard de la foi doit être tourné vers les origines, vers les temps apostoliques, dont nous avons des témoignages dans le Nouveau Testament. A plusieurs reprises, le Saint-Père a invité ses auditeurs à faire du bruit [fare chiasso dans la traduction en italien, « mettre la bazar »] (c’est une expression figurée et familière avec laquelle il a particulièrement ému les jeunes). Cela signifie promouvoir l’agitation, le vacarme, exprimer la situation que l’on vit, mais bruyamment, en cherchant la participation des autres et en s’opposant à quelque chose. Mais je suis sûr qu’il n’apprécierait pas que les prêtres effacés se réunissent pour « faire du bruit ». Comment réagirait-il si cela arrivait ?

Je m’adresse maintenant à vous personnellement, mes frères prêtres effacés, avec une parole qui se veut une parole de compréhension et de consolation. Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, saint Paul commence par écrire :

Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (pasēs paraklēseōs), qui nous console (parakalōn) dans toutes nos tribulations (thlipsei)… De même que les souffrances (pathēmata) du Christ abondent en nous, de même par le Christ notre consolation (paraklēsis) abonde

Puissiez-vous, chers frères, vivre intensément ces paroles ! Vivre la situation d’injustice avec force d’esprit, sans indignation ni acrimonie. L’Apôtre nous apprend à vivre joyeusement dans l’espérance. La joie et l’espérance peuvent sembler excessives dans ce contexte ; mais je ne parle pas d’une espérance mondaine qui change la situation temporelle, bien que ce soit une attitude humaine légitime. Je fais référence à l’Espérance théologique, qui nous relie au Ciel.

Une des plus belles dimensions de la spiritualité catholique, que la tradition a élaborée à partir de l’enseignement du cardinal Pierre de Bérulle, est l’abandon confiant entre les mains de Dieu. Je me souviens de la spiritualité française, en passant par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus jusqu’au bienheureux Charles de Foucauld, à qui nous devons la prière suivante :

« Mon père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce que tu veux.
Quoi que tu fasses avec moi
Je te remercie.

.

Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Tant que ta volonté est faite en moi,
dans toutes vos créatures.
Je ne désire rien de plus, mon Dieu.

.

Je remets mon âme entre Tes mains,
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et parce que j’ai besoin d’amour,
de faire don de moi-même
de me remettre entre Tes mains sans mesure,
avec une confiance infinie,
parce que Tu es mon Père.

Cette attitude passive a une merveilleuse force pour changer les choses. Priez les uns pour les autres ; priez aussi pour ceux qui vous font souffrir. Faites-le devant le Tabernacle, en adorant le Seigneur qui y est présent. Confiez-vous filialement à la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Dieu fait Homme, Mère de l’Eglise, Mère de chacun de nous.

Que puis-je vous dire d’autre ? Je suis proche de vous, je vous bénis de mon cœur et je vous demande de me bénir.

Buenos Aires, 16 mars 2022.
Mémoire de Saint José Gabriel del Rosario, curé Brochero

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