Andrea Gagliarducci, appartient au microcosme des vaticanistes et on doit reconnaître que c’est un journaliste d’une profonde honnêteté même si on ne partage pas toutes ses analyses. Or ce microcosme est le reflet fidèle d’une des caractéristiques de ce pontificat: une polarisation excessive, et une division qui a commencé dès les premiers jours (qu’on pense aux « gestes » du Pape et à l’emphase que leur a donnée le récit médiatique, dont j’ai gardé personnellement un souvenir très déplaisant) et qui, loin de s’aplanir s’est aggravé au fil du temps. En réalité, explique-t-il (et il sait de quoi il parle)…

il n’y a pas de véritable débat sur le pape, et s’il y en a un, ceux qui en débattent sont immédiatement divisés en bons et mauvais. Il va sans dire que les bons sont ceux qui aiment le pape, les mauvais ceux qui le critiquent.

Andrea Tornielli LE vaticaniste, devenu directeur éditorial du dicastère pour la communication

La communication du Vatican, a-t-elle changé avec le Pape François ?

Andrea Gagliarducci
https://vaticanreporting.blogspot.com/2022/03/comunicazione-vaticana-e-cambiata-con.html
13 mars 2022

Le problème n’est peut-être pas les journalistes, ni la communication en général. Mais les journalistes font certainement partie du problème. Si, après neuf ans de pontificat, la communication sur le Saint-Siège et le Pape semble de plus en plus polarisée et de moins en moins équilibrée, le problème peut, doit se situer dans le facteur humain, dans la manière dont la profession est interprétée aujourd’hui.
Neuf ans après l’élection du pape François, il convient donc de se demander ce qu’il est advenu de l’information vaticane, et en particulier du pape. A-t-elle pris la direction attendue ? A-t-elle radicalement changé ?

Il existe plusieurs facteurs qui peuvent aider à comprendre. Tout d’abord, le pape François connaît le pouvoir des images et des gestes symboliques. Et il les utilise. Il le fait depuis le début de son pontificat, lorsqu’il est allé payer [sa note] à la résidence de la Via della Scrofa où il s’était rendu avant les Congrégations générales. Mais ce n’était pas un geste privé. Le père Federico Lombardi, alors directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, avait souligné que le pape avait agi ainsi pour « donner le bon exemple ».

Ensuite, il y a eu le récit de l’utilisation de la croix en argent au lieu de la croix en or, qui a été accompagné de récits plus pittoresques, mais probablement [??] moins réels, comme la réponse irritée à Mgr Guido Marini lorsqu’il a essayé de faire porter au Pape nouvellement élu une mozzetta rouge pour sa première apparition en tant que pontife depuis la Loggia delle Benedizioni.

Le fait est que le pape François ne fait rien pour empêcher ce récit de se répandre. Mais la question qui se pose est de savoir à quel point les médias ont voulu ce récit. Je me souviens que lorsque le pape a été élu, il y avait une certaine excitation dans l’air, comme l’idée que l’Église entrait enfin dans un nouveau monde. Comme si l’ancien monde devait être mis de côté, effacé, ignoré. Il était nécessaire de donner une nouvelle image de l’Église, et cette image était donnée par le nouveau pape.

Il y a eu ce péché originel, qui a ensuite créé de plus en plus de péchés plus grands. Parce que le Pape François est certainement un Pape plus complexe que ce qui a été dit au début, parce que le Pape François est Pape à sa manière, et il le fait aussi avec un doigté législatif qui n’a pas d’égal dans l’histoire. Pourtant, on continue à parler d’un pape de gestes, comme si tout était resté cristallisé il y a neuf ans.

Ne serait-ce pas alors la faute des journalistes ? En partie. Certes, il existe une communication institutionnelle qui risque de devenir propagande, même si elle a ensuite du mal à orienter le débat. Mais il n’y a pas de véritable débat sur le pape, et s’il y en a un, ceux qui en débattent sont immédiatement divisés en bons et mauvais. Il va sans dire que les bons sont ceux qui aiment le pape, les mauvais ceux qui le critiquent.

Ce manichéisme communicatif a profondément affecté l’information religieuse au cours des neuf dernières années. Il y avait des signes de cela avant, et nous savons très bien que les journaux se vendent sur la construction d’ennemis et sur les récits d’opposition. Mais ce n’est pas, et ne pourra jamais être, le journalisme qui traite de l’information religieuse et du Vatican.

Parce que le journalisme du Vatican est un journalisme qui parle d’histoire, pas d’images. Il est appelé à remettre les choses dans leur contexte. Il est appelé à faire des analyses, pas à commenter, et surtout à commenter avec un esprit acritique. Et pourtant, ce manichéisme est devenu partie intégrante du journalisme religieux, il en est comme possédé depuis les années du Concile Vatican II, pour trouver aujourd’hui une nouvelle forme.

Ainsi, neuf ans de pape François me font penser que ce pontificat doit d’abord être un stimulant pour reconsidérer la profession. Non pas pour chercher des nouveautés, mais pour répondre aux prétendues nouveautés avec les arguments de l’histoire. Ne pas tomber dans le récit facile des gestes afin de comprendre le récit plus profond des actions concrètes. Non pas pour regarder uniquement les mots qui pourraient me plaire, mais pour essayer de comprendre ce que le pape dit qui fait le plus mal, et pour comprendre pourquoi cela fait mal.

Neuf ans de pape François m’ont appris que le scoop, surtout lorsqu’il s’agit de vaticanisme, est souvent quelque chose que nous avons décidé être un scoop, mais qui ne l’est pas vraiment. Il n’y a pas de scoops, et il ne faut pas se leurrer. Il y a, au contraire, un monde à démêler à force d’étude.

Neuf ans de pape François m’ont appris non seulement à ne pas regarder les apparences, mais à essayer de ne pas avoir besoin des apparences. On essaie d’être objectif, même si cela signifie aller à contre-courant.

Neuf ans de pape François m’ont appris que les journalistes ne sont utilisés que lorsqu’ils sont d’accord avec le narratif, mais qu’il y a toujours quelqu’un qui accepte et promeut un certain type de narratif. Les journalistes sont des homines homini lupo, ils prennent position pour montrer où ils se situent, et de cette façon ils obtiennent un soutien, des lecteurs, un public.

On dira que c’est un choix honnête. Cela se peut. Au moins, le point de vue dont le journaliste part est clair pour tout le monde. Il n’est toutefois pas honnête que certains journalistes soient considérés comme moins dignes de confiance que d’autres, non pas en raison de la qualité de leurs articles, mais plutôt en raison de ce qu’ils pensent.

Le risque d’un délit de pensée dans le journalisme religieux est à portée de main, et pas même très éloigné. Nous sommes immergés dans un journalisme qui se nourrit de polémiques, et qui apporte les polémiques partout.

Mais peut être faut-il souffler un peu, pour comprendre d’abord si cela vaut vraiment la peine de faire de la polémique.
Et je repense à ce qui s’est passé il y a neuf ans, je repense à l’excitation de beaucoup, qui est celle que l’on ressent quand on est confronté à la nouveauté. Et je me demande si un journaliste a vraiment le droit de s’enthousiasmer, ou si, face à un fait historique, il doit faire l’exercice de disparaître pour laisser passer l’histoire, apprenant ainsi à éviter les pièges de la surinterprétation. Ceux-ci, oui, toujours présents, et pas seulement avec ce Pape. Mais ils ont été accentués au cours de ce pontificat, selon un principe qui est plus fils de cette époque que du Pape lui-même.

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