Récemment, nous avons repris ici un article de Giuseppe Nardi où il était question d’un éminent canoniste américain critiquant sévèrement François pour avoir, le 12 mars dernier, concélébré la messe dans l’église romaine des jésuites « sans chasuble, sans aube ni étole », au mépris des règles liturgiques dont il est censé être le garant. Il me semble intéressant de lire le commentaire du blogueur argentin « The Wanderer », plus modéré puisqu’il n’impute pas spécialement la faute à François (qu’il trouve superflu, ou contre-productif, de harceler en « cherchant la petite bête » systématiquement…!), mais plutôt à une pratique courante depuis Vatican II.

Brefs commentaires sur le scandale au Gesù

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Dans ce blog, nous avons été très critiques à l’égard du pape François dès le début de son pontificat, même lorsque beaucoup d’autres préconisaient avec raison de laisser passer le temps et de voir ce qui arriverait. Ici, nous savions déjà ce qui allait se passer, et nous n’avions pas tort.

Cependant, l’attitude que l’on peut observer en de nombreux endroits d’une sorte de course à qui tapera le plus fort sur Bergoglio en cherchant la petite bête finit par empoisonner les âmes, et ne me semble pas non plus adéquate. Un exemple de ce que je dis est la légion de «fatimologues» qui ont surgi ces dernières semaines pour déterminer avec une précision millimétrique si la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie remplissait ou non les conditions nécessaires. Quiconque a regardé la cérémonie de manière dépassionnée et écouté la prière du pape François ne peut douter qu’il s’agissait d’une cérémonie catholique, où l’on a entendu des propos loin du politiquement corrects comme la mention de l’Immaculée Conception ou de la médiation universelle de la Vierge, et que la consécration a bien eu lieu. La FSSPX elle-même, au sujet de laquelle il ne peut y avoir le moindre soupçon de progressisme, l’a reconnu avec satisfaction.

Ces derniers jours également, des voix et des doigts accusateurs se sont élevés contre le Pape pour le scandale liturgique survenu dans l’église du Gesù [église du Saint Nom de Jésus] où, vêtu de la simple soutane blanche et assistant à la Messe, au moment de la consécration, il a étendu le bras et prononcé la formule, concélébrant ainsi la Sainte Messe en dehors de toutes les exigences et conditions requises par les lois liturgiques.

Ce qui s’est passé est vraiment scandaleux : celui qui est le maître suprême et le législateur de la liturgie romaine viole de manière flagrante les rubriques de ce rite. Le pape, comme tout évêque, peut assister à une messe « depuis le trône », comme le dit le rite traditionnel, et s’il n’aime pas ce mot, depuis un endroit approprié. Et il est logique qu’il le fasse en habit du chœur et avec l’étole. Bergoglio n’a jamais porté l’habit de chœur et porte rarement l’étole en dehors de la messe. Ainsi soit-il. Mais de là à concélébrer sans être réellement un concélébrant, il y a un grand pas à franchir. Pour cette raison même, le scandale est justifié.

Toutefois, je voudrais faire quelques commentaires :

  1. Le pape ne fait rien de plus que ce qui se fait très souvent. J’ai moi-même vu faire exactement la même chose (des prêtres en tenue de ville et assis sur les bancs d’une église), assister à la messe et, au moment de la consécration, tendre les bras et prononcer la formule, dans les années 1990 et à Rome. Cela se fait dans le monde entier depuis plus de trente ans, au moins. Et je ne trouverais pas étrange que Bergoglio lui-même l’ait fait en tant que prêtre ou évêque à Buenos Aires, ou ait permis à ses prêtres de le faire. Je ne dis pas que c’est une pratique généralisée, mais c’est une pratique assez courante, surtout dans les milieux religieux, comme les résidences ou les assemblées de prêtres.
  2. Ce fait est un autre exemple de ce que nous avons invariablement dit dans ce blog : le pape François ne s’intéresse pas à la liturgie, ni à la liturgie renouvelée ni à la liturgie traditionnelle, et parce qu’il ne s’y intéresse pas, il ne la connaît pas et ne se soucie pas de la connaître. Je suis sûr que lorsqu’il a fait ce qu’il a fait au Gesù, il l’a fait avec la conscience la plus claire possible, et il ne lui est jamais venu à l’esprit que cela ne pouvait pas être fait, parce que le rite romain, aussi renouvelé soit-il, ne le permet pas. Ces « menus détails » échappent au pontife. Son intellect purement pratique est consacré à d’autres intérêts, pour la plus grande gloire de Dieu.
  3. Le fait montre également un dommage collatéral et pas toujours perçu qui s’est infiltré en Occident. Le pape François a dû trouver inconvenant et étrange d’assister à la messe sans concélébrer alors qu’il est lui-même prêtre.

Dans la culture catholique d’aujourd’hui, même chez les plus traditionalistes, on ne comprend pas qu’un laïc assistant à la messe et en état de grâce ne reçoive pas la communion. Recevoir la communion est devenu une condition presque nécessaire pour assister à la messe. Il en va de même pour les prêtres : il ne leur vient pas à l’esprit d’assister à la messe sans concélébrer. Et cette attitude, tant de la part des laïcs que des clercs, est une nouveauté. Il n’en a jamais été ainsi avant, et je crois qu’il ne devrait pas en être ainsi. En fait, l’obligation pour les premiers est de recevoir la communion et pour les seconds de célébrer la messe une seule fois par an. Je ne décourage pas la communion fréquente, ou la célébration quotidienne de la messe, mais je souligne qu’il n’y a pas d’obligation ou de précepte dans ce sens, et que la pratique de l’Église a toujours été différente. Aujourd’hui, cette pratique a changé et je me demande si ce changement est positif. L’exemple du Gesù m’incite à penser qu’il n’en est rien.

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