Face à l’information (il faudrait dire: la propagande) totalement unitérale que les médias nous infligent à propos du conflit ukrainien Marcello Veneziani nous invite à « revenir en pensée à ce qui s’est passé en Irak, d’abord avec la guerre du Golfe, puis en 2003 et les années suivantes, avec l’accusation que Saddam cachait des armes létales. Une accusation qui s’est avérée infondée, construite par la machine à fabriquer des faux ». Il semble qu’aujourd’hui, cette machine fonctionne à plein régime. Pour rester équilibrée on va ajouter (mais sans conviction): des deux côtés.

La photo illustre le bombardement américain de Mossoul en 2014

Pour donner un sens et une mesure à la guerre actuelle, j’ai un petit conseil à donner : revenez en pensée à ce qui s’est passé en Irak, d’abord avec la guerre du Golfe, puis en 2003 et les années suivantes, avec l’accusation que Saddam cachait des armes létales. Une accusation qui s’est avérée infondée, construite par la machine à fabriquer des faux. Faites une petite recherche sélective sur Internet, comparez les sources, lisez ce qui est écrit et ce qu’ils ont dit. Et ensuite, faites des comparaisons avec la guerre actuelle.

Je laisse de côté le conflit entre les forces armées de l’OTAN et les forces armées irakiennes ; un conflit bien plus inégal que celui que nous connaissons aujourd’hui, mais il s’agissait tout de même d’un conflit entre des soldats armés. Je pense plutôt à ce qui est arrivé à la population, aux civils, aux personnes âgées, aux femmes et aux enfants, aux malades. Il s’agit d’un massacre de dizaines de milliers de personnes, presque toutes victimes des bombardements en tapis des Américains et de leurs alliés. Maintenant, pensez un instant à ce que vous avez vu à la télévision, entendu dans des histoires, lu dans les journaux de l’époque ; ou si vous ne vous en souvenez pas ou si vous n’étiez tout simplement pas là, recherchez-les sur le web. Vous ne trouverez presque rien.

CNN avait, surtout lors du premier conflit, le monopole quasi exclusif de la « narration » sur le terrain et des images correspondantes. Qui a raconté l’histoire des enfants massacrés, des familles forcées de vivre dans la terreur et décimées, des centres de population et des sites historiques et archéologiques importants bombardés et détruits ? Qui a raconté l’histoire des vies brisées des Irakiens, pas des soldats de Saddam mais des gens ordinaires, des fosses communes, des personnes enterrées sous des montagnes de sable, des gens tués dans les rues, dans les écoles, dans les hôpitaux, près des mosquées ? Personne, ou presque. Si seulement nous avions vu ce qui s’est passé, nous dirions aujourd’hui que Bush père et Bush fils, comme Clinton pour la Serbie et le Kosovo et de nombreux autres présidents américains, devraient être considérés comme coupables non seulement de crimes de guerre mais de crimes contre l’humanité ; eux aussi devraient être jugés et soumis, comme on le dit aujourd’hui, à « un nouveau Nuremberg ».

Nous savons également quel poids la guerre du Golfe et l’intervention militaire dans d’autres points chauds du Moyen-Orient ont eu dans la montée du terrorisme de la part des fanatiques islamistes, et aussi dans le soutien dont ils ont bénéficié en mémoire de ce qui s’était passé. Nous savons combien de dictateurs étaient alliés et amis de l’Occident et sont restés indemnes ; et d’autres, comme Saddam, ont été jugés et tués une fois la guerre terminée ou laissés massacrer, comme Kadhafi.

Je me souviens des appels sincères et inaudibles du pape Jean-Paul II, de ses dénonciations, même quand, à la fin de la guerre, des sanctions ont été imposées à l’Irak et que l’embargo a privé de médicaments et de produits de première nécessité, entraînant la mort de malades, de personnes fragiles et d’enfants. Des choses que nous avons vaguement apprises mais dont nous ne savions pas grand-chose. Nous ne pouvions pas non plus nous fier à Al Jazeera et prendre ce qu’ils nous disaient pour argent comptant.

Mais je reviens à la question cruciale dont je suis parti et je me demande : pourquoi certaines catastrophes humanitaires suscitent-elles notre horreur, notre indignation et notre révolte, et d’autres pas ? Parce que nous ne les avons pas vues, nous ne les avons pas suivies en détail, ils ne nous les ont pas montrés, alors qu’ils avaient les moyens de le faire. Ils ne nous ont pas raconté ces histoires et ces vies terribles, nous ne savons rien ; l’œil ne voit pas, le cœur ne pleure pas [/loin des yeux, loin du cœur].

Quelle est alors l’importance de l’usine à images dans une guerre, non seulement dans les dictatures ou les régimes autocratiques comme celui de Poutine, mais aussi dans nos démocraties ? Voyez, je n’aborde même pas un sujet sensible, pour lequel l’accusation de négationnisme est immédiatement déclenchée, à savoir la remise en cause de certains massacres et l’attribution de certaines victimes à l’un ou l’autre camp. Beaucoup ont exprimé des doutes, certains les ont bien documentés et argumentés, je n’ai pas envie de me prononcer même si je ne peux pas dire que je suis convaincu par ce que passe notre couvent médiatique. J’exerce mon doute, je suis convaincu que je suis devant deux appareils de propagande, certes l’un qui remonte à un régime autoritaire et me semble tout à fait compréhensible, voire normal dans son anormalité, mais l’autre remonte à un monde qui se considère libre et démocratique, transparent et contrôlable, où l’on peut aussi exercer le droit à la dissidence et à la divergence d’opinion. Et au contraire non, ils sont de plus en plus proches l’un de l’autre. Sans aucune possibilité de démenti.

Maintenant, je veux préciser deux choses. La première est que nous défendons notre civilisation, nous nous sentons profondément italiens et européens, et nous reconnaissons que les États-Unis ont joué un rôle décisif, important et positif, dans de nombreux cas, au cours du siècle dernier. Même lorsque nous critiquons l’américanisation du monde, nous sommes bien conscients que finir sous le parapluie soviétique aurait été pire. Mais nous défendons notre civilisation, pas ce qui la renie ; nous défendons notre libre passion pour la vérité et non ses dénis ou les crimes commis pour des « raisons humanitaires ».

La deuxième chose est claire comme le jour, mais elle doit être dite dans le climat de guerre et d’idiotie qui nous entoure. Non pas qu’une extermination en justifie une autre, non pas que les péchés de Poutine soient atténués s’il y a et s’il y a eu des péchés d’autres présidents américains. Cependant, la vérité doit être connue dans son intégralité, nous devons être réalistes et notre jugement et notre action doivent être à la mesure de l’ensemble du contexte et de ses précédents. Certes, le dernier pays qui peut en accuser un autre de crimes contre l’humanité, ce sont les États-Unis (qui sont aussi mille autres choses, ils ne sont certes pas que cela, gardons toujours cela à l’esprit). L’Empire du Mal n’existe pas, mais encore moins l’Empire du Bien.

Bref, comprenez-vous pourquoi il est utile d’avoir de la mémoire et de se souvenir de l’histoire ? Pour beaucoup de choses, mais aussi parce qu’on comprend mieux la réalité actuelle et qu’on comprend que dans le monde il n’y a jamais la lutte finale entre le Bien et le Mal, mais entre les erreurs, les horreurs, les misères et les grandeurs des hommes.

MV, La Verità (7 avril 2022)

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