Une interview de Mgr Nicola Bux, théologien, ex-consultant de la CDF sous Benoît XVI, par la journaliste Diane Montagne. Les questions portent sur le mémorandum circulant au Vatican sous la signature d’un mystérieux « Demos » (probablement un initié, peut-être même un cardinal), publié par Sandro Magister. Mgr Bux prend acte du « désastre » bergoglien et esquisse les priorités du prochain Conclave

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Illustration de The Remnant

Mgr Bux. Le mémo de Demos. La lassitude envers François chez les cardinaux

Interview de Mgr Bux par Diane Montagne (The Remnant)
Traduite en italien par Marco Tosatti

Diane Montagna (DM) : Dans quelle mesure les opinions de « Demos » sont-elles représentatives des personnes au Vatican ?

Monseigneur Bux : Il faudrait une enquête aux différents niveaux, des huissiers, aux fonctionnaires et aux autorités, pour le savoir. Le Mémo pourrait venir de ce dernier niveau. Le mécontentement est général, mais il est évident qu’il existe un niveau inférieur (underground) qui ne s’exprime pas et qui n’attend que la fin du pontificat.

Le pape a dit au patriarche orthodoxe Kirill que nous devons parler le langage de Jésus et non celui de la politique. C’est vrai ! Cependant, même cela me semble être une façon politique de parler, puisque, dans un autre forum, il a dit qu’il ne sait pas pourquoi les innocents souffrent: cela signifie ne pas savoir pourquoi le Christ est mort sur la croix.

Pour la plupart des vaticanistes, le bilan du pontificat de François, de la doctrine de la foi à la morale, montre un déficit par rapport à ses prédécesseurs, sans parler des finances. Ce pontificat a contribué à exacerber la sécularisation de l’Occident, car le pape est intervenu sur le plan social et politique et a soutenu une spiritualité sans identité. La question se pose alors : qu’est-ce que le ministère pétrinien ?

Nous assistons à un culte émotionnel du pape qui l’exaspère théologiquement, comme cela s’est produit depuis l’époque de Pie IX et maintenant avec les médias. Les gens du Moyen Âge distinguent le rôle du pape de la personne qui l’incarne, tout comme ils distinguent l’Église des hommes d’Église, et ce qui est humain et terrestre de ce qui est divin. C’est pourquoi même Dante pouvait mettre les papes en enfer. Il arrive ainsi que beaucoup de ceux qui étaient bergogliens au début ont pris leurs distances avec le pontificat actuel et le considèrent comme chaotique et despotique.

Les modérés sont agités. Certains imaginent une solution, préconisant une Église synodale, d’autres un pontificat de transition. Entre-temps, un jour Marx intervient, un autre jour Müller, Hollerich et – heureusement – Pell. Arrêtons avec les cardinaux. Mais ni Ladaria ni François ne disent qui a raison. Si nous passons ensuite aux évêques, aux prêtres, aux théologiens laïcs et non laïcs, c’est une douche écossaise. Au Vatican, on est bien conscient de l’apostasie des catholiques d’Amérique latine, tombés à 52 %, contre une croissance de 25 % des sectes.

Le 13 janvier, le Wall Street Journal titrait (parce que l’Église est en train de perdre l’Amérique latine): « L’Église catholique a opté pour les pauvres et les pauvres ont opté pour les pentecôtistes ». C’est une énorme contribution au processus d’auto-démolition dont parlait Paul VI. L’Église a été transformée en une agence chargée de résoudre les problèmes sociaux, économiques, psychologiques, voire environnementaux, abandonnant sa mission de sauver les âmes. Au synode de l’Amazonie, il n’a pas été question de réévangéliser la région, mais de l’environnement, ni de favoriser la rencontre personnelle avec le Seigneur, mais de questions politiques et sociales. En résumé, alors que les fidèles demandent plus de religion, les évêques proposent le socialisme.

DM : Quelle est la probabilité que le Mémo influence le choix du prochain pape ?

Monseigneur Bux : Il me semble que, dès le début, il indique les traits saillants du ministère pétrinien, qui doivent être le point de référence pour le choix dans tout conclave : le Pape vu comme un pasteur et un enseignant, et non comme un idéologue ou un politicien. Ainsi, sa relation avec l’Église est celle d’un membre et d’un serviteur, et non d’un monarque absolu.

Il est surprenant que les modernistes ou les progressistes qui étaient anti-romains jusqu’à Benoît XVI soient silencieux face à la papolâtrie actuelle, pour reprendre les mots de Martini. Comme tout chrétien, le pape est soumis à la loi divine révélée, et avant cela à la loi naturelle, puis au droit canonique, qui le lie par rapport à la doctrine et à la constitution essentielles de l’Église, qui n’est pas synodale mais hiérarchique. Le Mémo semble s’en souvenir.

Avec ces contraintes, le ministère pétrinien doit servir à construire et non à détruire (cf. 2 Co 13,10), ce qui est important pour faire des lois et administrer la justice. On ne peut pas aller de l’avant avec des motu proprio, en modifiant des articles du Catéchisme et en rendant inutiles les appels à la Segnatura. Il existe des droits acquis par des tiers que le pape ne peut pas violer ; étant donné qu’il est le gardien suprême du droit, il ne peut pas permettre des abus ni même en commettre. Comme Pierre par Paul, le pape doit se laisser corriger fraternellement. Sinon, on ne peut pas lui obéir, car ce qui prime, c’est la conscience qui vient en premier car, selon la parole de saint John Henry Newman citée dans le Catéchisme, elle est le premier « vicaire du Christ ».

Je constate également que le Mémo est influent dans un sens œcuménique, dans la mesure où il dénonce l’abus de l’autorité papale qui, à mon avis, a jusqu’ici favorisé un sentiment anti-romain, surtout en Orient. La multiplication des révocations d’évêques sous ce pontificat, comme si le pape était un mufti islamique, est un abus de pouvoir et a des relents pathologiques. François est allé jusqu’à dire : « Ils voulaient ma mort », craignant peut-être que ce qui a été fait pour influencer son élection se répète contre lui.

Mais les limites de l’autorité pontificale sont également régies par l’autorité des évêques, qui est elle aussi de droit divin : c’est un point à garder à l’esprit et à discuter dans les congrégations générales du prochain conclave.

DM : Quelles devraient être, selon vous, les priorités du prochain conclave ?

Monseigneur Bux : Selon l’avis de laïcs et d’ecclésiastiques faisant autorité, le prochain conclave devrait élire un pape conscient de son mandat apostolique, de ses obligations et de son devoir de préserver le status generalis ecclesiae. Élire un pape qui fera la promotion de la foi catholique, mettra fin à la réduction du nombre de prêtres et de fidèles en Occident causée par la sécularisation qui a pénétré l’Église – Peguy tenait les clercs responsables de cette déchristianisation – selon laquelle les principales valeurs sur lesquelles sont fondées les sociétés ne sont pas religieuses et, si elles le sont, doivent être justifiées de manière « séculière » ou rationnelle. Il en résulte un langage politiquement correct purgé de toute connotation religieuse, la perte du sens des limites (les cas de l’avortement, du mariage dit homosexuel, du genre, de l’euthanasie, etc. sont typiques), la perte du sacré, et la transformation de la foi religieuse en religion « humanitaire », de l’Évangile en moralisme, et de l’homélie en réunion politique. La priorité du conclave est donc d’élire un pape catholique, faute de quoi la perte de la foi sera non seulement l’effet mais aussi la cause de la sécularisation du christianisme, qui finira par devenir insignifiant.

Le prochain conclave devra clarifier ce que signifie être « pastoral » : personne ne le sait jusqu’à présent, et il est utilisé comme un passe-partout pour justifier tout dans l’Église. Il doit remettre au centre sa mission aujourd’hui dévalorisée et clarifier les limites de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux. Les modernistes et les progressistes en sont eux aussi conscients.

Le prochain conclave devrait élire un pape conscient de son mandat apostolique, de ses obligations et de son devoir de préserver le status generalis ecclesiae.

La sécularisation doit être combattue par l’évangélisation. La lutte contre le cléricalisme ne doit pas bouleverser l’identité du clergé, qui est un « ordre » distinct des fidèles et des religieux. Le prochain pape doit avoir en tête de son agenda la promotion et la croissance de la foi, afin que les familles chrétiennes et les vocations sacerdotales et religieuses prospèrent. Il faut revenir au Magistère, qui décide infailliblement des questions de moralité familiale, en nommant des évêques qui acceptent la tradition apostolique. Le schisme maintenant latent sera probablement atténué, même si la « persécution » par les médias laïques augmentera.

Les forces vives de l’Église doivent être libérées par un pontificat qui se tourne vers un catholicisme qui remplit les églises de croyants fervents et la place publique de témoins de la foi et de la vie, démontrant qu’il « fonctionne » parce qu’il produit des conversions. L’Église catholique doit avoir un pape qui dit et fait ce qui est catholique – moralement, doctrinalement et liturgiquement. Rappelez-vous la couverture du Time Magazine : « Le pape est-il catholique ? » Serait-il étrange que l’Église catholique ait droit à un pape catholique ? Les orthodoxes veulent aussi un tel pape, sinon les tendances centrifuges entre eux prendront le dessus. Un pape catholique est nécessaire pour ramener à l’unité le monde protestant brisé et les nombreux laïcs qui tentent de revenir à la foi, mais aussi pour sécuriser les juifs, les musulmans et les membres d’autres religions qui voient dans le pape l’autorité morale qui indique que la ligne entre le bien et le mal n’a pas été abolie.

Le nouveau pape devra être capable de faire face au nouvel ordre mondial qui émerge de la mort de l’ancien, avec un rôle moindre pour l’Occident et le système capitaliste occidental. Il devra se différencier de François, qui a entretenu avec lui une relation confuse et contradictoire, entre idéologie et utopie. Pour mettre fin à la confusion dans l’Église, le prochain conclave devra chercher des candidats qui répondent aux Dubia sur Amoris laetitia, corriger Evangelii gaudium où il est dit que le pire mal social est l’inégalité, c’est-à-dire une mauvaise répartition des richesses, et non le péché ; Laudato si’, où il exalte l’environnementalisme néo-malthusien, qui est au contraire la source de tous les problèmes des cinquante dernières années ; Fratelli tutti, qui déclare la fin du capitalisme, puis suggère comment survivre et se déguise avec les mots magiques « inclusion » et « durabilité ». Surtout, l’encyclique ne dit pas que si nous ne reconnaissons pas notre Père céleste, nous ne pouvons pas nous considérer comme des frères. C’est Jésus qui l’a dit.

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