Le 3 avril, au terme de son bref voyage à Malte, le Pape a rencontré ses confrères jésuites à la nonciature de Rabat, et a répondu « en roue » libre à leurs questions (qui oscillaient entre la dévotion et l’obséquiosité) , comme il l’avait déjà fait à l’issue de son voyage en Slovaquie en septembre dernier (cf. François et les jésuites maltais) et au Mozambique (cf. Le Pape et les jésuites du Mozambique) en septembre 2019. La Civiltà Cattolica, sous la signature du Père Spadaro rend compte de leur échange (*). On relève en particulier l’hommage du Pape à « l’Emérite », saluant son ancienne prophétie d’une Eglise plus petite et plus pauvre, ayant perdu sa superbe et ses biens matériels. Mais un peu plus tard, il ne peut s’empêcher de glisser une critique. Ce qui conduit Giuseppe Nardi à dénoncer « des réponses étonnantes, irrationnelles, confuses et contradictoires du pape aux questions de ses confrères »

Déclarations déroutantes : Benoît XVI était-il pour François un prophète de « l’Eglise du futur », ou ne l’avait-il pas compris ?

François avec des jésuites à Malte le 3 avril 2022. Des réponses étonnantes, irrationnelles, confuses et contradictoires du pape aux questions de ses confrères.

Giuseppe Nardi
katholisches.info
16 avril 2022

(Rome) Le jeudi saint, la revue jésuite romaine La Civiltà Cattolica, dirigée par le père Antonio Spadaro, confident du pape, a publié, comme après chaque voyage du pape, un résumé de la rencontre avec les jésuites locaux. Lors de sa visite à Malte, François a rencontré la communauté jésuite maltaise le 3 avril à la nonciature apostolique de Rabat, l’ancienne Melite. En réponse à la question d’un confrère, François a avoué que sa lettre apostolique Gaudete et exsultate avait été « archivée » (cf. Note).

L’exhortation porte la date du 19 mars 2018 et a été publiée par le Vatican le 9 avril de cette année-là. Le 26 mai 2018, François l’a offerte au patriarche œcuménique Bartholomée Ier de Constantinople et l’a signée personnellement à cette occasion pour le primus inter pares de l’Église orientale.

L’exhortation apostolique est consacrée à « l’appel à la sainteté dans le monde d’aujourd’hui ». Elle a été qualifiée de « catalogue d’exhortations » par des cercles proches de François. En réalité, il s’agit d’un catalogue d’insultes. Katholisches.info écrivait le 10 avril 2018 : « Peu de joie, beaucoup d’invectives ». Cela rappelle les messages de Noël de François à la Curie romaine, connus sous le nom de « réprimandes de Noël ».

Le vaticaniste Sandro Magister avait qualifié alors la conférence de presse vaticane pour la présentation du document de « totalement superflue, que ce soit en raison de la nullité de ce qui a été dit ou de l’insignifiance de ceux qui l’ont dit ».

Un théologien allemand avait tenté de sauver le document en indiquant que François aspirait à une « démocratisation du concept de sainteté ». Cela n’avait servi à rien.

Il n’est donc pas étonnant qu’un document contenant toute une salve d’insultes soit voué à l’ « oubli » – et que François lui-même l’ait désormais avoué.

Benoît XVI était-il un « prophète de l’Eglise du futur » ou ne l’avait-il pas compris ?

Ce qui devrait par contre étonner, c’est une autre réponse que François a donnée à ses confrères jésuites. A la question sur l’avenir de l’Eglise « dans une Europe sécularisée et matérialiste », la réponse du pape, doublement étonnante, fut la suivante :

« Le pape Benoît était un prophète de cette Eglise du futur, une Eglise qui sera plus petite, qui perdra beaucoup de privilèges, qui sera plus modeste et plus authentique et qui trouvera l’énergie pour l’essentiel. Ce sera une Eglise plus spirituelle, plus pauvre et moins politique : une Eglise des petits. Quand il était évêque, Benoît avait dit : préparons-nous à être une Église plus petite. C’est l’une de ses principales conclusions ».

Ce qui étonne, c’est que François cite comme témoin principal son prédécesseur Benoît XVI, dont il a annulé une orientation pour l’Eglise de demain avec le motu proprio « Traditionis custodes ». Benoît a rendu le rite et la tradition transmis accessibles à l’ensemble du clergé, car il y a vu un instrument pour préparer l’Église pour demain. François, en revanche, veut contraindre la tradition à revenir dans un enclos étroitement délimité. Elle peut exister, comme le montre le décret pour la Fraternité Saint-Pierre, mais seulement dans un petit enclos, si possible à l’écart du reste de l’Eglise.

Il est encore plus étonnant que ce soit justement « l’homme politique sur le trône pontifical », connu comme étant François au cours des neuf années de son pontificat, qui parle d’une « Eglise moins politique ».

Enfin, le chef de l’Eglise a cité la « voie synodale » comme élément décisif pour l’avenir de l’Eglise. « Apprenons à parler et à écrire ‘synodalement' », a déclaré François aux jésuites de Malte. Comme la conférence épiscopale allemande avait déjà occupé le terme avec sa « voie synodale » controversée, François parlait jusqu’à présent d’un « processus synodal ». Lors de l’entretien interne avec les jésuites à Malte, il a fait coïncider les deux termes et a nommé son processus synodal « voie synodale ». Il a en outre déclaré :

« C’est Paul VI qui a repris le discours synodal perdu. Depuis, nous avons fait des progrès dans la compréhension, dans la compréhension de ce qu’est le synode ».

C’est à partir de ce moment que les explications sont devenues contradictoires, car François a en même temps adressé une pique à ses prédécesseurs, le pape de l’époque Jean-Paul II et son préfet de la foi Joseph Ratzinger et futur pape Benoît XVI, qu’il avait encore loué quelques phrases auparavant comme « prophète ». Lors du synode des évêques de 2001, auquel lui, Bergoglio, avait participé en tant qu’archevêque de Buenos Aires, il était apparu « clairement » qu’à Rome, « on n’avait pas compris ce qu’était un synode ».

« Aujourd’hui, nous avons évolué et il n’y a pas de retour en arrière possible. A la fin du récent synode, les deux premiers thèmes qui devaient être traités lors du prochain synode étaient le sacerdoce et la synodalité. Il m’a semblé évident que nous voulions réfléchir à la théologie de la synodalité afin de faire un pas décisif vers une Église synodale ».

Ces déclarations sont également remarquables si l’on considère à quel point la « Régie » synodale a été manipulatrice lors de la tenue des précédents synodes des évêques sous François. Rien de tel ne s’était produit sous ses prédécesseurs, qui n’avaient soi-disant « pas compris ce qu’était un synode ».

Benoît XVI était-il donc un « prophète » de l’Eglise du futur ou [François] ne l’avait-il « pas compris » ? Avec François, tout semble fluide et surtout motivé par la politique. Une petite dose de louange, mais en réalité une critique. Ce par quoi François se contredit lui-même, car aucun pape avant lui n’avait autant politisé l’Eglise que lui.

Dans l’espace germanophone, il suffit de penser au synode de Würzburg de 1971 à 1975 et à la voie synodale depuis 2019, les expériences « synodales » des 50 dernières années sont du reste tout sauf positives.

Ne pas se préoccuper du climat est un péché ?

François s’est montré irrationnel dans sa réponse à la question étrangement dans l’air du temps d’un jésuite sur la manière de « lier évangélisation et changement climatique ». Le pape a invité ses confrères à travailler « dans ce domaine » et a souligné un péché inconnu avant son pontificat. L’exhortation à ne pas pécher contre la Création a été transposée par François au climat :

« Ne pas prendre soin du climat est un péché contre le don de Dieu qu’est la Création ».

Comment « s’occuper » du « climat » ? Comment changer « le climat » ? Comment se rendre coupable de quelque chose sur lequel on n’a aucune influence ? Énigme sur énigme, qui perdure depuis 2015, lorsque François a engagé l’Église dans l’agenda climatique de l’ONU.

En outre, il a indirectement repris une critique dirigée contre lui et l’a dialectiquement inversée. Les catholiques croyants lui reprochent d’avoir introduit dans l’Eglise la Pachamama comme une sorte d’idole terrestre ésotérique dans le cadre du synode sur l’Amazonie. A Rabat, François a retourné le reproche et a en même temps déclaré de manière apocalyptique que ne pas se préoccuper du climat « est pour moi une forme de paganisme »:

« Cela signifie utiliser comme des idoles ce que le Seigneur nous a donné pour sa gloire et sa louange. Si je ne m’occupe pas de la création, c’est comme si je la déifiais, que j’en faisais une idole et que je la coupais du don de la création. En ce sens, prendre soin de la maison commune est déjà ‘évangélisateur’. Et il y a urgence : si on continue comme ça, nos enfants ne pourront plus vivre sur notre planète ».

D’autres thèmes ont été abordés, comme la promotion de la migration, à laquelle François a appelé, et « l’hypocrisie » de supérieurs engagés dans la pastorale des vocations de l’Église.


Ndt

(*) Le compte-rendu en français est à lire ici: www.laciviltacattolica.fr/quelle-est-la-vocation-de-leglise-le-pape-francois-en-conversation-avec-les-jesuites-de-malte/
Curieusement la traduction diffère de la version en italien (www.laciviltacattolica.it/articolo/la-vocazione-della-chiesa-qual-e/) sur un point-clé, qui concerne l’Exhortation Apostolique « Gaudete et exsultate » , et c’est manifestement cette dernière qui a servi de support à l’article de Nardi.
En effet, en français, on lit la réponse du Pape « Oui, cette exhortation apostolique a été importante« , alors que dans la version en italien (‘confirmée par le commentaire audio du Père Spadaro lui-même – vers 5’40), il dit  » Sì, quella Esortazione apostolica è stata archiviata« , ce qui évidemment change tout, et interroge sur les motivations du traducteur dans notre langue.

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